[Critique] GREEN ROOM

CRITIQUES | 28 avril 2016 | Aucun commentaire
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Titre original : Green Room

Rating: ★★★★½
Origine : États-Unis
Réalisateur : Jeremy Saulnier
Distribution : Anton Yelchin, Imogen Poots, Patrick Stewart, Alia Shawkat, Joe Cole, Callum Turner, Mark Webber, Macon Blair…
Genre : Thriller
Date de sortie : 27 avril 2016

Le Pitch :
Alors qu’ils tentent de maintenir à flots une tournée chaotique, les membres d’un groupe de punk acceptent de jouer dans un club tenu par des skinheads, perdu au fin fond de la campagne. Alors qu’ils retournent backstage après leur concert, les musiciens tombent sur un cadavre. Bien décidé à ne pas les laisser repartir, le patron des lieux met en place un plan visant à faire disparaître ces témoins gênants. Retranché dans une petite pièce sans issue de secours, le groupe s’attend au pire et tente de trouver une solution…

La Critique :
Blue Ruin, le précédent film de Jeremy Saulnier mettait en avant une mélancolie plutôt macabre, notamment distillée par son personnage principal, un type au profil atypique lancé dans une vengeance brutale. Un long-métrage lent, contemplatif, tragique par bien des aspects et, il faut bien le dire, un peu ennuyeux. Bonne nouvelle, Green Room, la troisième livraison de Saulnier n’a rien d’ennuyeux. C’est même tout l’inverse et franchement, ça secoue !

Green-Room-Imogen-Poots

Il y a donc de fortes chances que ceux qui n’ont guère goûté (ou qui ne faisaient pas partie des spectateurs qui ont crié au génie) à la tonalité de Blue Ruin aiment Green Room. L’autre bonne nouvelle, c’est que ceux qui ont adoré Blue Ruin adoreront probablement tout autant Green Room, car on retrouve le style si âpre du réalisateur dans la moindre image du film. Si ce dernier, également auteur du scénario a d’ailleurs choisi de placer son action dans le milieu musical qui est le sien ce n’est pas pour rien. Le groupe au centre de l’histoire n’a rien de glorieux. C’est un groupe comme on en voit tant. De ceux qui galèrent à faire leur trou, jouant une sorte de punk hardcore mâtiné de metal, dans des endroits poisseux à souhait, avec à la clé des cachets minables et l’espoir tenu d’un jour se faire connaître par les personnes qui comptent. Un combo à l’ancienne, loin des considérations propres à Facebook, à Soundcloud et à tous ses trucs qui font aujourd’hui la pluie et le beau temps sur l’industrie musicale. The Ain’t Rights, c’est son nom, qui se retrouve à jouer devant une bande de skinheads dans un bâtiment aussi crade que truffé de symboles d’une idéologie nauséabonde et agressive. Dès le début, quand on découvre les conditions de la tournée de l’orchestre, le ton est donné. Ceux qui ont déjà avalé des kilomètres pour se produire sur de petites scènes en pleine campagne trouveront vite leurs marques. Réaliste, Green Room l’est assurément. Pas de strass et de paillettes, mais des jeans troués, de la bière bon marché et des riffs bien lourds assénés avec une sorte d’énergie du désespoir dont seuls ceux qui croient dur comme fer en leur musique, peuvent se targuer de posséder.
Le ton est donné. Quand les choses dérapent et que les nazis acculent les musiciens dans une petite pièce, sans espoir de fuite, le film passe à la vitesse supérieure et met en place les bases de ce qui s’annonce comme un survival aussi bourrin que crépusculaire, avec en fond sonore du gros son qui tâche. Sans s’adonner aux clichés les plus communs, Jeremy Saulnier gomme de l’équation tous les menus défauts qui émaillaient son Blue Ruin et fonce dans le tas, mettant la pertinence de sa mise en scène au service d’une dynamique pleine de hargne. Le tout sans concession aucune comme peuvent l’illustrer les affrontements aussi brefs que violents qui ponctuent la progression du récit.

Dans le camp des skinheads, Patrick Stewart mène la danse, à des millions de kilomètres de l’académie des mutants du professeur Xavier. Désireux d’interpréter un vrai salopard, le comédien a frappé à la bonne porte et en profite. Sa composition glace le sang. On pense à Stacey Keach dans American History X et au final, c’est une bonne chose, tant son travail s’inscrit dans une logique aussi redoutable que parfaitement intégrée par le film. En face, Anton Yelchin, Imogen Poots et leurs amis opposent une résistance hésitante mais farouche. Yelchin qui a d’ailleurs le truc pour choisir les bons rôles, préférant ce genre de petites productions inspirées, aux grosses machines pleines de fric. Encore une fois, il est impeccable. Imogen Poots quant à elle, prend le contre-pied de la majorité des rôles qu’elle a pu interpréter auparavant. La voir dans Knight of Cups de Terrence Malick puis ici, fait prendre la mesure du grand-écart. Pas glamour pour deux sous, boostée par une rage amenée à s’exprimer d’une façon ou d’une autre, elle fait un travail qui force le respect. Idem pour Alia Shawkat, Joe Cole, Callum Turner, et Mark Webber, qu’ils évoluent dans l’un ou l’autre des camps. Il est aussi intéressant de remarquer le retour devant la caméra de Macon Blair, l’acteur déjà au centre de Blue Ruin, dans un rôle plutôt différent et vraiment intéressant, car porteur d’une nuance qui interdit au métrage de sombrer dans un manichéisme trop gênant.

Pur film de genre dans la lignée d’Assaut de Carpenter, nourri de références nobles comme Apocalypse Now ou La Nuit des Morts-Vivants, Green Room est aussi brutal et maîtrisé qu’il pouvait l’être si on considère l’objectif que Saulnier s’était donné et la nature du (ou des) genre auquel il s’attaque de front. Garant d’une tension croissante, il se permet de surprendre en enchaînant les variations de rythme. Les pauses sont toutes pertinentes, et les dialogues, mesurés, complètement à leur place. Derrière la caméra, le réalisateur fait également un excellent boulot, bien aidé par la photographie éloquente de Sean Porter. À la lisière du pur trip horrifique, Green Room n’est pas porté par des ambitions monumentales, mais ce qu’il entend faire, il le fait de la meilleure façon possible. Il ne détourne pas le regard, assume tous ses choix et sait aussi dispenser par moments une poésie terrassante, déjà au centre de Blue Ruin, mais étrangement encore plus flagrante dans le cas présent. Ici ou là, de petites idées donnent lieu à des bouts de séquences au sein desquels s’expriment une tristesse et une détresse infinies, qui en disent plus que bien des mots, tandis que l’instant d’après, l’humour sous-jacent et la frénésie emportent le morceau. Sans en faire des caisses, en entretenant un savant équilibre, Jeremy Saulnier soigne les formes, armé d’une histoire béton, simple et efficace, et se permet au final de livrer une réflexion radicale sur son époque, à la façon des plus grands, Romero et Tobe Hooper en tête. En gros, le type a tout compris. Son film marque les mémoires. Il met dans le mille et s’impose directement comme un modèle du genre. De ceux dont on ne sort pas indemne et qui font réfléchir.

@ Gilles Rolland

Green-Room-Anton-Yelchin  Crédits photos : The Jokers/Bac Films

Par Gilles Rolland le 28 avril 2016

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