[Critique] DE ROUILLE ET D’OS

CRITIQUES | 18 mai 2012 | Aucun commentaire

Festival de Cannes 2012 – Sélection Officielle – En Compétition

Rating: ★★★½☆
Origine : Belgique/France
Réalisateur : Jacques Audiard
Distribution : Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts, Armand Verdure, Céline Sallette, Corinne Masiero, Bouli Lanners, Jean-Michel Correia, Mourad Frarema…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 17 mai 2012

Le Pitch :
Stéphanie, une jeune femme pleine d’assurance, croise la route d’Ali, un homme fraîchement débarqué dans le sud, au détour d’une soirée animée en boite de nuit. Il est sans le sou et doit s’occuper de son gamin de 5 ans. Elle a une bonne situation professionnelle, est belle et indépendante. Leur rencontre est furtive. Pourtant, lorsque Stéphanie perd ses deux jambes dans un terrible accident, elle ne tarde pas à recontacter d’Ali. Une relation va vite se nouer….

La Critique :
En choisissant d’adapter le recueil de nouvelles de Craig Davidson, Jacques Audiard n’a clairement pas choisi la facilité. On comprend aisément pourquoi le cinéaste s’est intéressé à cette histoire, tout comme on saisit à quel point il se l’est approprié. De rouille et d’os se place dans la continuité de sa filmographie. On retrouve cette détresse et cette envie parfois bien enfouie d’aller de l’avant, ces comportements borderlines et cette rage sous-jacente. La tendresse aussi ; qui pointe régulièrement, dans les regards ou les gestes anodins… À un moment du film, Stéphanie, le personnage de Marion Cotillard demande à Ali de la délicatesse. Une requête légitime qui arrive à point nommé, pour le spectateur qui est en droit de lui aussi demander un peu de douceur.

Le dernier Audiard est en effet une œuvre difficile. Âpre sur bien des aspects. À commencer par la situation elle-même. On a vu plus rose : un type fauché se traine avec son fils et tape sur d’autres gars pour gagner sa croute. Il perd des dents, pisse le sang, délaisse son gosse, etc… En face, une nana, séductrice, se fait bouffer les jambes par un orque qui doit en avoir marre de jouer au con dans un bassin pour divertir la foule. Elle se retrouve handicapée et doit se reconstruire, à peu près à tous les niveaux. Ces deux âmes cabossées se rencontrent et commencent sans trop s’en rendre compte à panser mutuellement leurs plaies sur fond de crise sociale. Régulièrement, Audiard force le trait. Il multiplie les plans sur les jambes mutilées de son héroïne et use des ralentis quand son héros se fait taper sur la poire. Un plan sur une dent qui tournoie, un autre qui voit Marion Cotillard jouer le remake de la séquence de Forrest Gump où le lieutenant Dan fait la paix avec Dieu et avec lui-même en se jetant à l’eau (littéralement). La beauté, il faut aller la chercher. Elle se mérite. Pour le spectateur et pour les personnages.

Alors la question qui se pose est la suivante : un tel sujet, déjà bien chargé, méritait-il un tel traitement, quelquefois tourné vers une surenchère plombante ?

N’allez pas croire pour autant que De rouille et d’os soit dénué d’espoir. Bien au contraire. L’espoir est omniprésent. L’amour aussi. D’un père pour son fils. D’une femme pour un homme et inversement. Comme dans Un Prophète qui orchestrait l’ascension d’un bandit à la petite semaine vers les hautes sphères du crime, De rouille et d’os met en scène la lutte pour la survie de deux êtres humains bousillés. Des personnages qui se retrouvent dans leur détresse. Qui nagent à contre-courant dans une société malade et qui expriment leur amour d’une façon détournée, parfois violente.

Le charisme et le talent conjugués des deux têtes d’affiche confèrent à cette histoire un souffle remarquable. Et si Audiard aime à souligner les boulets que se trainent Stéphanie et Ali, il excelle dans la description de leurs cheminements intérieurs. Régulièrement séparés, évoluant dans leurs sphères respectives, se retrouvant à l’occasion de silences éloquents, Stéphanie et Ali sont deux personnages complexes. Difficiles, au point de parfois avoir du mal à saisir leurs ressentis et le sens de certaines de leurs actions.

C’est un choix et si il laisse parfois perplexe, il n’en demeure pas moins respectable. Audiard n’a jamais emprunté les chemins balisés d’un cinéma grand public. Là encore il surprend, expérimente, tout en restant cohérent avec lui-même. Sa mise en scène est fluide et percutante. Certains passages du film coupent le souffle et ce ne sont pas nécessairement les plus évidents. Là où d’autres auraient pris une direction, Audiard lui, va dans le sens inverse. De quoi gommer les imperfections de son dernier film. Un film qui peut se reposer sur le jeu solide d’une Marion Cotillard tout à fait juste, parfois irritante (mais c’est bien car son rôle le justifie) et toujours magnétique. Bravo aussi à Audiard pour avoir jeté son dévolu sur Matthias Schoenaerts. Bourrin et déchirant dans son mutisme, Schoenaert incarne avec intensité un rôle casse-gueule (dans tous les sens du terme) et joue avec pertinence d’un physique solide sans jamais s’y reposer entièrement non plus. Le duo navigue en eaux troubles. Les deux acteurs sont impressionnants. En permanence, bien qu’il soit parfois difficile d’éprouver une sincère empathie pour eux. C’est fluctuant. À chacun de voir suivant sa sensibilité.

De toute façon, le film ne donne pas l’impression de rechercher à tout prix l’empathie. Elle vient naturellement, avec la boule dans la gorge lors de certaines séquences spécialement puissantes. De quoi ressortir de la salle circonspect et secoué par ce brûlot organique. À défaut d’être totalement ébloui.

Audiard a pris des risques. En cela, et même si son dernier long-métrage pêche par endroits, il demeure l’un de nos plus grands réalisateurs. Un artiste passionnant, imprévisible et facétieux.

@ Gilles Rolland

Crédits Photos : Why Not Productions

Par Gilles Rolland le 18 mai 2012

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