[Critique] DETROIT

CRITIQUES | 12 octobre 2017 | Aucun commentaire
Detroit-poster

Titre original : Detroit

Rating: ★★★★½
Origine : États-Unis
Réalisatrice : Kathryn Bigelow
Distribution : Algee Smith, John Boyega, Will Poulter, Hannah Murray, Jason Mitchell, Anthony Mackie, Ben O’Toole, Jack Reynor, Jacob Latimore, Kaitlyn Dever…
Genre : Drame
Date de sortie : 11 octobre 2017

Le Pitch :
Été 1967 : une descente de police déclenche une émeute d’envergure à Detroit, qui sombre rapidement dans le chaos. La guerre du Vietnam, les violences policières envers la population afro-américaine et la ségrégation nourrissent des manifestations de violence assorties de pillages. L’armée est dans les rues et les bavures se multiplient. Un peu en marge du conflit, dans un motel, des coups de feu sont entendus par les soldats de la garde nationale. Immédiatement, les forces de l’ordre se rendent sur place et se livrent à un interrogatoire d’une violence extrême, allant à l’encontre de toutes les règles en vigueur. Histoire vraie…

La Critique de Detroit :

Il fut un temps, quand elle commença sa carrière de réalisatrice, où Kathryn Bigelow donnait dans le fun buriné. Dans l’action décomplexée et les thrillers percutants. Des films comme Blue Steel et Point Break ont marqué leur époque, s’imposant tout aussi bien comme des œuvres cultes que comme des références que beaucoup se sont ensuite évertués à reproduire (sans succès). Puis vint le fascinant Strange Days, lui aussi fantastiquement divertissant, moins léger que prévu et efficace au possible. Bigelow enchaîna par la suite avec Le Poids de l’eau et K-19 : le Piège des Profondeurs, avant de prendre tout le monde à revers avec Démineurs. Un véritable uppercut lancé à la face de l’Amérique. Une machine à récompenses qui se payait le luxe de penser à voix haute sans jamais sacrifier la forme. Un peu comme Zero Dark Thirty d’ailleurs, dont l’exploit fut de traiter d’un sujet hyper sensible (la traque de Ben Laden), de raviver les blessures du 11 septembre mais aussi de faire montre de la maestria d’une artiste désormais véritablement concernée par son art et par le contexte politico-social de celui-ci. Les cinéastes capables de faire du grand cinéma, hyper chiadé, remarquablement interprété et soigné jusque dans les moindres détails et de faire entendre une voix qui a notamment pour mérite d’énoncer quelque vérités pas faciles à dire, sont très rares. Souvent, c’est soit l’un, soit l’autre. Soit on verse dans le blockbuster superficiel, soit dans le trip indépendant animé de profondes velléités. Kathryn Bigelow, elle, fait les deux. Et ce n’est pas Detroit, son dernier film en date, qui va nous encourager à penser le contraire…

Detroit-John-Boyega

Prophet of rage

Avec Detroit, fidèle à elle-même, Kathryn Bigelow regarde son sujet en face et fait en sorte de l’embrasser avec toute la force et le dévouement nécessaires pour correctement le retranscrire à l’écran. Elle prend le risque de coller de près aux personnages et donc aux événements, dans une démarche quasi-documentaire, soulignée par la superbe photographie de Barry Ackroyd, qui évite au long-métrage de sonner avec le même académisme que d’autres œuvres sur le papier un peu similaires. Ici, c’est du brutal à tous les niveaux. On rentre directement dans le vif du sujet et on se retrouve, aux côtés de la réalisatrice, dans les rues de Detroit, mises à feu et à sang par un conflit qui cristallise plusieurs problèmes nécrosant propres à l’Amérique des années 60. Le truc, et on s’en doutait quand même un peu, c’est que Detroit tend bien entendu un miroir à l’Amérique d’aujourd’hui. À celle de Trump qui ne réagit pas face à des tragédies comme celle de Charlottesville et à celle qui, plus globalement, se retrouve souvent dans l’incapacité de résoudre ses problèmes autrement qu’en les entretenant et en en créant de nouveaux. Avec Detroit, Kathryn Bigelow parvient à trouver le bon angle d’attaque pour que son propos sonne avec une tragique universalité. Elle s’est refusée à prendre de la distance et a fait mouche tant ce qui se déroule à l’écran rappelle qu’au fond, si la forme a changé en 50 ans, la rage et la douleur sont toujours là et le combat donne toujours lieu à des débordements inadmissibles. C’est donc aussi pour cela que Detroit tape avec autant de puissance et réussit à toucher au vif. Pour cela et parce qu’il sait comment s’y prendre. Kathryn Bigelow a pris son temps et son retour rime toujours avec cette maestria qui lui est propre et qui ne cesse de la positionner parmi les meilleures cinéastes en activité.

Dans la chaleur de la nuit

L’incroyable impact de Detroit provient aussi de la façon dont Bigelow a d’attaquer son récit. En se focalisant tout particulièrement sur un épisode de ces violentes émeutes, elles met encore plus en exergue des problématiques brûlantes propres à l’entièreté de la révolte. Elle recrée l’Amérique dans un simple motel où s’est déroulée la plus grande tragédie des émeutes. Celle qui a donné lieu à un procès et qui coûta la vie à plusieurs personnes innocentes. Elle met face à face l’immonde visage du racisme à celui de la tolérance. Elle oppose la beauté d’un morceau de John Coltrane, une mélodie chantée par une voix portée par la grâce et l’insouciance d’un baiser au tonnerre des armes portées par des hommes mus par une haine incompréhensible, viscérale et terrifiante. Tout le paradoxe de tout un pays est là, dans ce couloir où a lieu l’interrogatoire qui contribuera à la funeste célébrité des événements. La façon de faire est franchement pertinente et le résultat brillant car totalement éloquent et bien sûr effrayant.

Au bout de la haine

Incarné par un casting véritablement impressionnant, Detroit donne lieu à des performances qui sont amenées à rester. John Boyega par exemple, est formidable de sobriété, tout comme Anthony Mackie, ici parfait, sans oublier les formidables Algee Smith et Jacob Latimore, deux acteurs à suivre de très près, capables de transmettre beaucoup sans trop en faire. Sans oublier Hannah Murray, la transfuge de Skins, en ce moment dans Game Of Thrones, qui, en première ligne, atteint l’excellence. Cela dit, si il y a en un qui surprend, c’est bien Will Poulter. Plutôt discret jusqu’alors, celui qui aurait pu exceller dans l’adaptation du roman de Stephen King, Ça, que Cary Fukunaga aurait dû réaliser, trouve dans Detroit le rôle de sa vie. Celui d’un policier raciste. D’un homme plein de haine et de colère, de frustration et d’une méchanceté crasse, incapable de nuances et de pitié, aveuglé par sa lâcheté et par ses peurs infondées. D’une justesse absolue, Will Poulter s’impose avec une puissance dont seuls les grands peuvent se faire les vecteurs. Il est flippant, tétanisant même, et c’est justement pour cela qu’il convient de lui tirer notre chapeau.

Effet à long terme

Vu l’incroyable portée de Detroit, il est presque normal de trouver la fin un peu décevante. Ou au moins un peu maladroite. Mais les intentions sont bonnes. Alors que l’épisode de l’interrogatoire du motel, qui occupe les ¾ du métrage, est terminé, le film s’attache ensuite à suivre les conséquences, et le procès des coupables. L’occasion pour Kathryn Bigelow de s’attacher à un personnage en particulier et de souligner les effets secondaires des événements sur la psyché des personnages. De montrer à quel point les blessures causées par le racisme cicatrisent difficilement, quand elles y parviennent. C’est louable, mais c’est formellement maladroit donc. Cela dit, cela n’impacte pas vraiment la force du film dans son ensemble. Surtout si on considère l’émotion que la réalisatrice parvient à communiquer dans l’ultime plan, épaulée par un acteur d’une justesse infinie. Un seul plan, un seul regard, qui dit tout et qui laisse son empreinte dans les esprits très longtemps après la projection.

En Bref…
Œuvre à la puissance évocatrice rare, Detroit voit sa portée amplifiée par l’extraordinaire capacité de Kathryn Bigelow de trouver le bon angle d’attaque et la bonne façon de faire pour traiter sans ambages mais avec une conviction d’une puissance sans cesse renouvelée de sujet graves. Sujets qui trouvent un écho de nos jours… Au final, Detroit, en plus d’être un film formellement tétanisant de virtuosité, trouve le ton juste et montre du doigt l’innommable. Il déterre et pourchasse la bête qui évolue ainsi à visage découvert, exposant sa laideur crasse. Un film utile et infiniment courageux. Et c’est peu de le dire.

@ Gilles Rolland

Detroit-Will-Poulter  Crédits photos : Mars Films

Par Gilles Rolland le 12 octobre 2017

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