[Critique] HANNAH ARENDT

CRITIQUES | 14 juin 2013 | Aucun commentaire

Titre original : Hannah Arendt

Rating: ★★★★☆
Origine : Allemagne/France
Réalisateur : Margarethe Von Trotta
Distribution : Barbara Sukowa, Axel Milberg, Janet McTeer, Julia Jentsch, Ulrich Noethen, Michael Degen, Victoria Trauttmansdorff, Klaus Pohl…
Genre : Biopic/Drame
Date de sortie : 24 avril 2013

Le Pitch :
En 1961, Hannah Arendt se rend à Jérusalem pour couvrir le procès de l’un des plus grands collaborateurs et criminels du Troisième Reich : Adolf Eichmann. S’en suivra un ouvrage et un « concept » : La Banalité du mal, qui s’il fît couler beaucoup d’encre à l’époque, est aujourd’hui reconnu, étudié et plutôt compris…

La Critique :
Hannah Arendt (1906-1975), philosophe fameuse de son époque (même si elle refusa ce terme, notamment dans son ouvrage, Condition de l’Homme moderne) a marqué son temps avec des œuvres comme, Les Origines du Totalitarisme (composée de trois tomes), L’Antisémitisme, Le Totalitarisme, L’Impérialisme et d’autres encore.

Cependant, l’ouvrage qui a eu le plus d’impact dans les mœurs et dans sa vie personnelle fut Eichmann à Jerusalem : Rapport sur la banalité du mal. Au début des années 60, Hannah couvre le procès d’Adolf Eichmann pour le compte du New Yorker, et le rendu qu’elle en fera ne correspondra pas à l’attente de la majorité. C’est exactement sur cette période de sa vie que le film va se baser. Le comportement et le caractère d’Adolf Eichmann, haut fonctionnaire du Troisième Reich, responsable logistique de la « solution finale », seront l’objet de ce livre si controversé. Le contenu est une analyse sur les origines du mal, ou comment cerner et analyser ce dernier, afin de le comprendre et de le combattre. Un thème qui ne cessera de la hanter.

Si le long-métrage se concentre sur cette période précise de sa vie, il se voit également agrémenté de nombreux flashbacks. Ceux là même qui vont aller s’attarder sur sa jeunesse d’étudiante préférée du professeur Heidegger, ou encore sur de brefs moments choisis en fonction de leur pertinence. Le choix de ces retours en arrière à des moments importants de son existence, servent intelligemment le propos. Ils nous permettent de mieux comprendre la personnalité complexe de l’écrivaine, et par leur biais, le spectateur dispose des outils nécessaires pour comprendre sa pensée profonde. Qui plus est, ces choix judicieux donnent aussi une saveur toute particulière au film, il s’en dégage un aspect intemporel. Tout le long, on découvrira alors une femme pleine d’entrain, de vivacité, principalement concentrée sur sa tâche d’écriture. Le film nous dresse le portrait d’une personnalité joyeuse, rigoureuse mais aussi mal comprise. Une incompréhension qui se manifesta principalement à la sortie de ses premières lignes d’observation du procès d’ Adolf Eichmann, et de son livre qui s’ensuivit. Pour mieux situer le contexte, voici quelques passages fondamentaux extraits de ce bouquin « litigieux » :

« Il eût été réconfortant de croire qu’Eichmann était un monstre (mais s’il en était un, alors l’accusation d’Israël contre lui s’effondrait, ou, du moins, perdait tout intérêt ; car on ne saurait faire venir des correspondants de presse de tous les coins du globe à seule fin d’exhiber une sorte de Barbe-Bleue derrière les barreaux). L’ennui avec Eichmann, c’est précisément qu’il y en avait beaucoup qui lui ressemblaient et qui n’étaient ni pervers ni sadiques, qui étaient, et sont encore, effroyablement normaux. Du point de vue de nos institutions et de notre éthique, cette normalité est beaucoup plus terrifiante que toutes les atrocités réunies, car elle suppose (les accusés et leurs
avocats le répétèrent, à Nuremberg, mille fois) que ce nouveau type de criminel, tout Hostis Humani Generis qu’il soit, commet des crimes dans des circonstances telles qu’il lui est impossible de savoir ou de sentir qu’il a fait le mal. »

« Eichann n’était ni un lago ni un Macbeth, rien n’était plus éloigné de son esprit qu’une décision comme Richard III de faire le mal par principe, mise à part un zèle extraordinaire à s’occuper de son avancement personnel, il n’avait aucun mobile. Et un tel zèle en soit n’était nullement criminel, il n’aurait certainement jamais assassiné son supérieur pour prendre son poste, simplement il ne s’est jamais rendu compte de ce qu’il faisait pour le dire de manière familière (…)
Il n’était pas stupide, c’est la pure absence de penser, ce qui n’est pas du tout la même chose que la stupidité, qui lui as permis de devenir un des plus grands criminels de son époque. Et si cela est banal et même comique, si avec la meilleure volonté du monde, on ne parvient pas à découvrir en Eichann la moindre profondeur diabolique ou démoniaque, on ne dit pas pour autant, loin de là que cela est ordinaire. (…)
La question du genre de crime dont il s’agit vraiment ici, un crime dont de plus tout le monde s’accordait à dire, qu’il était sans précédant, est une question apparemment plus complexe, mais elle est en fait bien plus simple, que celle de l’étrange lien entre l’absence de penser et le mal ».

Ces propos font partie de ceux qui ont choqué les gens, à commencer par celles et ceux de la communauté juive. Après la publication, Il a été reproché à la philosophe de déresponsabiliser Eichmann, de le rendre innocent et de lui retirer toutes les fautes qui lui incombaient. Certains ont également dit qu’elle rendait le peuple juif responsable de sa propre extermination, et qu’elle était une honte pour sa propre communauté. Ces réactions virulentes sont majoritairement celles qu’a rencontré l’ouvrage, à ses premières parutions.

Le film retranscrit avec vérité la violence morale dont a été victime la philosophe. Cette violence que l’on ressent intensément au visionnage, est forcément issue d’une intolérance palpable mais c’est surtout le résultat d’une profonde incompréhension. On comprend aussi très bien que Margarethe Von Trotta a voulu rendre justice à Hannah Arendt, en exposant frontalement les réactions négatives et mauvaises dont cette dernière a été victime. Mais aussi en rétablissant le véritable propos du bouquin et de sa réflexion globale. Et si on peut aisément comprendre certaines réactions de l’époque exprimées à vif et sans recul, on saluera le geste de cette réalisatrice investie.

Dans son intégralité le long métrage se voit gratifié d’une photographie particulièrement soignée, mais au delà de son esthétisme sublime, il se veut tout simplement réaliste. Et le tour est pour le coup, superbement réussi. On est totalement transporté d’une époque à une autre, en s’imprégnant plus facilement de chacun des moments cruciaux de la vie de cette philosophe si controversée.
Et si cet esthétisme si poli, offre à ce film manifeste une qualité indéniable, c’est sans compter sur un casting spécialement bien choisi, dans son ensemble. Le personnage principal va comme un gant à l’actrice de grand talent Barbara Sukowa, qui parvient à lui donner toute la dimension puissante, complexe et mystérieuse qui lui convient.

La thématique de l’amour est également très bien exploitée. Cet amour qui est si présent dans le film, est incarné par les amitiés sincères qu’entretient Hannah avec son entourage, mais est surtout illustré par la relation fusionnelle qu’elle a avec son mari. Un mari fidèle et aimant qui restera une épaule sûre pour l’écrivaine, tout le long de son parcours. Grâce à ce personnage, formidablement incarné par Axel Milberg, une autre facette de la personnalité d’Hannah apparaît : sa vulnérabilité.

On observe globalement dans ce film une très grande qualité de réalisation, qui sur tous les points de vue, est toujours intelligente et bien construite. On a également une musique savamment choisie, qui sème le trouble et nous donne des frissons. Le film soulève de nombreux points très intéressants. À travers l’histoire d’Hannah Arendt, il soulève le point de la conformité. À son époque la philosophe n’a pas voulu faire de mal autour d’elle, mais elle a essayé de comprendre, mais par conformité la majorité n’a pas voulu étudier le fond. Penser différemment à tendance à faire peur, et le souci de conformité est toujours d’actualité. D’ailleurs rappelons qu’Hannah Arendt a elle-même été victime de la Shoah dans sa jeunesse et qu’elle a dû fuir et immigrer aux États-Unis, avec sa famille. Ce qu’il y a de fantastique avec le cinéma, c’est que par son intermédiaire, un public plus large peut accéder à des sujets passionnants, comme la vie de cette philosophe fascinante.
Nous avons affaire ici à un excellent biopic, qui se veut être un hommage vibrant. Plus précisément, une sorte de réhabilitation de la pensée d’Hannah Arendt, car ce n’est pas la banalité du mal qui est évoquée, mais de la personne qui fait le mal. Le mal lui, est impardonnable.

Hannah Arendt voit dans l’action de penser, le seul moyen d’éviter le mal politique extrême. Ce qu’il en ressort, c’est que chacun, à chaque époque, a des responsabilités, et que ce degré de conscience est augmenté par l’action même de penser perpétuellement et profondément.
Libre au spectateur de se faire sa propre idée…

@ Audrey Cartier

Hannah-Arendt-photoCrédits photos : Sophie Dulac Distribution

Par Audrey Cartier le 14 juin 2013

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