[Critique] UN HOMME TRÈS RECHERCHÉ

CRITIQUES | 19 septembre 2014 | Aucun commentaire
Un-Homme-très-recherché-affiche-France

Titre original : A Most Wanted Man

Rating: ★★★★☆
Origines : États-Unis/Angleterre/Allemagne
Réalisateur : Anton Corbijn
Distribution : Philip Seymour Hoffman, Rachel McAdams, Robin Wright, Grigoriy Dobrygin, Willem Dafoe, Homayoun Ershadi, Nina Hoss, Daniel Brühl…
Genre : Espionnage/Thriller/Drame/Adaptation
Date de sortie : 17 septembre 2014

Le Pitch :
Plus de 10 ans après les attentats du 11 septembre 2001, la ville de Hambourg en Allemagne a encore du mal à se remettre d’avoir abrité sans le savoir une importante cellule terroriste à l’origine des attaques contre le World Trade Center. Toujours en alerte, les services secrets allemands repèrent soudainement un immigré russo-tchétchène de confession musulmane fraîchement débarqué dans la cité. Suivi à la trace par Günther Bachman, un espion chevronné, et son équipe, l’homme cherche à entrer en contact avec un mystérieux banquier, tandis qu’une avocate spécialisée dans l’humanitaire lui propose son aide. Commence alors une enquête périlleuse pour Bachman, qui va devoir percer les intentions de ce personnage peu affable. S’agit-il d’un extrémiste aux intentions louches ou d’une victime de plus dans la guerre contre le terroriste ? L’étau se resserre sur les espions, parfois opposés les uns aux autres, alors que la présence d’un homme bien plus puissant exerçant son influence sur la ville est grandement soupçonnée…

La Critique :
John Le Carré sait de quoi il parle. Écrivain d’envergure responsable de nombreux best-sellers, dont certains adaptés au cinéma (La Maison Russie, The Constant Gardener, Le Tailleur de Panama, La Taupe…), le britannique œuvra dans un premier temps pour le MI6 en qualité d’espion au service de sa Majesté. Reconverti dans l’écriture, Le Carré appartient en cela au même club que Ian Fleming, le paternel de James Bond, qui lui aussi fut officier du renseignement naval. Leurs visions sont pour autant radicalement différentes. Leurs intentions plutôt, tant l’espion chez Flemming est un homme d’action spectaculaire, flegmatique, séducteur et taquin. Chez Le Carré, il s’avère discret, effacé, et plutôt torturé. Début 2012, La Taupe, réalisé par Tomas Alfredson affirme -cinématographiquement parlant- un peu plus le fossé qui sépare ces agents de l’ombre et James Bond, devenu sous les traits de Daniel Craig, encore plus bourrin et frondeur. Un Homme très recherché continue dans cette voie.

Cela dit, il n’y a pas trop de ramifications dans le film d’Anton Corbijn. L’intrigue est assez simple et le nombre de personnages impliqués relativement limité (le film est donc plus accessible). Là où La Taupe s’avérait très complexe dans sa faculté à prendre beaucoup de chemins de traverses, Un Homme très recherché suit un fil conducteur sans jamais s’en détourner. Un détail qui devrait réjouir ceux que la précédente adaptation de Le Carré avait ennuyé, voire carrément irrité.

Anti-spectaculaire, Un Homme très recherché l’est assurément. Personne ne tire sur personne et il n’est jamais vraiment avéré que les protagonistes soient armés. Idem pour les poursuites en voiture. Anti-James Bond au possible, la nouvelle livraison de Corbijn se concentre sur la psyché de ses personnages. Sur celle des espions et sur celle des prétendus antagonistes.
Habité par de douloureux souvenirs inhérents à une opération ratée, le personnage campé par Philip Seymour Hoffman s’avère obsessionnel mais pas démonstratif. Ponte du renseignement allemand, pris en tenaille entre des supérieurs peu confiants et une CIA intrusive, il tente de mener à bien sa mission en suivant ses instincts, épaulé par une équipe dévouée. L’œuvre elle-même subit l’influence majeure du 11 septembre, en se déroulant à Hambourg, qui servit de planque à une cellule terroriste directement responsable des attentats contre les Tours Jumelles. Le but est de ne pas répéter des erreurs similaires. De ne pas se laisser berner. De voir la faille chez l’adversaire tout en démêlant le vrai du faux. Pas manichéen le moins du monde, le récit tient à ne pas diaboliser l’ennemi présumé. Les individus sont mis en cause et non leurs croyances. Mine de rien, en s’attachant à des personnages allemands, opposés d’une certaine façon à des américains plus fonceurs et par ce biais toujours assez unilatéraux dans leur façon d’appréhender la géopolitique, Un Homme très recherché dénonce les méthodes brutales mises en œuvre dans la guerre contre le terrorisme, par ceux qui occupent souvent le devant de la scène. S’il est plutôt fonceur, Seymour Hoffman n’en est pas pour autant une brute. Il sait ce qu’il sait et fait confiance à son instinct, mais n’a pas oublié comment s’ouvrir aux autres. Finalement asseznaïf, il mène un combat contre une hiérarchie prompte à lui nouer les poignets pour laisser parler celui qui gueule le plus fort, à savoir les américains.
La façon dont les allemands capturent puis détiennent l’avocate du présumé terroriste (incarnée par Rachel McAdams) prouve bien que leurs méthodes ne sont pas celles de Guantanamo, qui est d’ailleurs cité lors d’un passage clé où s’opposent Robin Wright, l’observatrice américaine, et Seymour Hoffman.

Adapter ce roman précis de John Le Carré, ne pouvait donc pas déboucher sur autre chose qu’un film lent. Étrangement, rien n’est à jeter. Il n’y aucun passage en trop. Pourtant, il est tout à fait légitime de regarder sa montrer deux ou trois fois durant les 2 heures que dure le film. La faute à personne en particulier, si ce n’est à un script dont le seul travers est peut-être de diluer un peu trop le propos pour en conserver toute l’efficacité sur la longueur.
Un travers qui n’entache pas le caractère passionnant de l’entreprise. Anton Corbijn reste dans la même démarche que son The American et prend un malin plaisir à profiter de Le Carré pour continuer à déconstruire les codes d’un genre habituellement traité à grand renfort de violence graphique. Superbement éclairé, son film jouit d’une identité puissante, et d’une mise en scène léchée mais âpre. Technicien de l’image très appliqué, le réalisateur fait un boulot remarquable, sans oublier d’offrir à ses comédiens un écrin sensationnel, ainsi que toute la liberté nécessaire pour proposer des interprétations venant alimenter la tension du récit.
Évidemment porté par Philip Seymour Hoffman, Un Homme très recherché se retrouve impacté, presque malgré lui par le fait qu’il s’agit là de l’une des dernières occasions de voir le comédien disparu en février de cette année, sur grand écran. Certes présent (notamment grâce à la magie des effets-spéciaux) dans la conclusion en deux parties d’Hunger Games et attendu dans God’s Pocket, de John Slattery, Seymour Hoffman tient là ce qui restera comme son dernier grand rôle. Et grand, il l’est dans tous les sens du terme. Intense, émouvant même, investi et profond, l’acteur brille de mille feux dans un rôle taillé sur mesure, prouvant une ultime fois son caractère polymorphe. Prodige de l’acting, Philip Seymour Hoffman tire sa révérence en interprétant un espion usé mais toujours marqué par une acuité presque terrifiante. Laissant les coudées franches à ses collègues, Rachel Mc Adams (à contre-emploi, formidable), Robin Wright, Willem Dafoe et Grigori Dobryguine en tête, il embrasse son ultime contrat en donnant beaucoup. Le dernier plan, superbe et tragique, apparaît alors presque comme la mise en scène d’adieux viscéraux à l’attention du public et plus largement du cinéma, qui a perdu l’un de ses plus authentiques génies.

@ Gilles Rolland

Un-Homme-très-recherché-Philip-Seymour-HoffmanCrédits photos : Mars Distribution

 

Par Gilles Rolland le 19 septembre 2014

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