[Critique] JACKIE

CRITIQUES | 1 février 2017 | Aucun commentaire
Jackie-poster-france

Titre original : Jackie

Rating: ★★★★☆
Origine : États-Unis
Réalisateur : Pablo Larraín
Distribution : Natalie Portman, Peter Sarsgaard, Greta Gerwig, John Hurt, Billy Crudup, Richard E. Grant…
Genre : Drame/Biopic
Date de sortie : 1er Février 2017

Le Pitch :
Quelques mois après l’assassinat du président JFK, son épouse Jackie Kennedy accorde un entretien à un journaliste et évoque les trois jours qui suivirent le drame, jusqu’aux funérailles nationales qu’elle voulut lui offrir. Histoire vraie…

La Critique de Jackie :

Tout a été dit et écrit sur le clan Kennedy. Ses membres font figure de mythe au sein du folklore américain moderne et leur histoire dépasse bien des fictions en matière de glamour et de drame. Le cinéma et la télévision les ont intégrés dans des œuvres parfois directement biographiques (la mini-série Les Kennedy en 2013), mais aussi et le plus souvent comme toile de fond dans des histoires illustrant une certaine perte d’innocence de l’Amérique suite à l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. On citera le JFK d’Oliver Stone (1991) et sa théorie du complot, Love Field de Jonathan Kaplan (1992), Parkland de Peter Landesman (2013), Bobby de Emilio Estevez (2006) ou encore Ruby de John MacKenzie (1992).
JFK, Bobby, Ruby… Le public américain sait tout de suite de qui il est question : John Fitzgerald Kennedy, son frère Robert Kennedy et le mafieux Jack Ruby. Il ne manquait plus qu’un long-métrage consacré à Jacqueline Bouvier-Kennedy-Onassis… Alias Jackie. L’oubli est enfin réparé !

 

Point de vue extérieur

Il est intéressant de noter que Jackie n’est pas à proprement parler un film 100% américain. Si le projet fut initié par Daren Aronofsky et écrit par Noah Oppenheim, scénariste n’ayant à son actif que deux scénarios tout sauf intimistes (Labyrinthe de Wes Ball et Divergente 3 de Robert Schwentke), c’est finalement le chilien Pablo Larraín (No, Post Mortem mais surtout Neruda, sorti récemment en France – que des sujets politico-historiques) qui signe la mise en scène. À la photo, un français : Stéphane Fontaine, chef-opérateur ayant travaillé avec Jean-Pierre Jeunet (Amélie Poulain, Un long Dimanche de Fiançailles) ou Jacques Audiard notamment. Aux costumes, une autre compatriote : Madeline Fontaine (la série Versailles, Amélie Poulain). Re-cocorico pour les décors, avec Jean Rabasse (La Cité des Enfants perdus, Vatel). Ajoutez un monteur chilien lui aussi, Sebastiàn Sepùlveda, une compositrice anglaise, Mica Levi (Under the Skin), un tournage en studios à Paris et vous obtiendrez un point de vue forcément oblique sur une saga 100% américaine.

Point de vue introspectif

Pablo Larraín livre non pas un biopic classique, mais un portrait psychologique quasiment abstrait de par sa non-linéarité. Le film démarre avec l’interview que Jackie Kennedy (Natalie Portman) accorde à un journaliste (Billy Crudup) quelques mois après l’assassinat de son mari. Elle annonce clairement la couleur en exigeant d’exercer son droit de regard sur le moindre mot publié. La suite est composée de flash-back se déroulant au cours des trois jours qui suivirent le drame de Dallas le 22 Novembre 1963. Le scénario ne se veut jamais didactique, préférant peindre le portrait de Jackie par touches impressionnistes et le montage opère des liens thématiques plutôt que chronologiques. Tenter de dresser le portrait d’un personnage comme Jackie Bouvier-Kennedy en se focalisant sur une si courte période est une gageure dont s’affranchit parfaitement Pablo Larraín, nous faisant partager le ressenti et les émotions de la première dame, alternant moments de désespoir et d’errances solitaires (les glissandos de cordes du score ajoutent une dimension claustrophobe et dépressive de chaque instant), avec des moments de grande lucidité où son ambition et son instinct de survie reprennent le contrôle.
C’est sur ces deux derniers points que se focalise le réalisateur, et la façon dont Jackie Kennedy, née Bouvier, a voulu faire accéder son mari de président (et donc elle-même) à la postérité. Loin de l’image populaire et glamour généralement associée au personnage, Pablo Larraín présente Jackie comme l’initiatrice de l’ère de la « people-isation » de la politique et des médias en général. L’émission de CBS au cours de laquelle elle fit office d’hôte de prestige pour faire découvrir au peuple les coulisses de la Maison Blanche est utilisée comme élément pivot du film. Jackie maîtrise le rapport à l’image et construit elle-même le mythe JFK.

Point de vue rétrospectif

Ce que certains pourraient qualifier de manipulation trouve néanmoins une justification noble. Si le drame personnel (la gestion du deuil auprès de ses deux enfants, le rapatriement auprès du corps de leur père des deux autres nouveaux-nés que le couple perdit) alimente en permanence le mythe national, c’est finalement pour la bonne cause lorsque l’on connait à posteriori l’influence idéologique du 35ème président des États-Unis. Tout au long du film, Larraín filme une Natalie Portman sans artifice, fumant cigarette sur cigarette, anxieuse, angoissée, noyant son chagrin dans l’alcool afin de tenter de surmonter le deuil et l’insécurité matérielle (le point est évoqué à deux reprises). Comme Madame Tout-le-Monde serait-on tenté de dire. Jackie (dont le patronyme entier n’est jamais prononcé) n’est jamais montrée comme la star médiatique et « people » que l’on connaît, mais c’est sur la construction de cette image que le film discourt. Et de construction, il en est littéralement question puisque le montage agence les scènes comme les pièces d’un puzzle, pour dévoiler, dans son épilogue, « la » Jackie. sous forme de consécration de l’image qu’elle voulait construire pour la postérité de son mari, de son couple, et donc d’elle-même. Un rapide aperçu de l’influence de son style vestimentaire dans les vitrines des grands magasins lui apporte la confirmation qu’elle a réussi dans son entreprise, rentrant dans l’Histoire comme la représentante d’une certaine royauté à l’Américaine, une idée développée dans le film via l’évocation de Camelot au travers de la comédie musicale d’Alan Jay Lerner et Frederick Loewe, dont JFK raffolait.

Point de vue féministe

Même si Jackie évoque une figure importante des années 60, son discours et son approche témoignent parfaitement du contexte actuel. Jackie est enfin présentée comme une femme influente, plutôt que comme la simple hôtesse de la Maison-Blanche dans l’ombre de son mari, ou encore la veuve qui attira la compassion des américains après la mort de ce dernier.
Alors que viennent de défiler dans les plus grandes villes du monde des centaines de milliers de militants pour la reconnaissance et la considération de la Femme, Pablo Larraín et Natalie Portman apportent leur pierre à l’édifice de la cause, arguant que sans Jackie, le mythe Kennedy n’aurait pas trouvé la place qui est la sienne dans l’histoire américaine des cinquante dernières années. On saluera au passage l’interprétation de Natalie Portman, dont les choix audacieux ne cessent de payer (y compris sa décision de ne plus rempiler pour les marvelleries après sa participation figurative aux deux Thor !). Et même si elle devait ne pas décrocher l’Oscar de la meilleure actrice, sa nomination constitue déjà en soi une récompense totalement méritée.

@ Jérôme Mulewski

Jackie-Natalie-Portman  Crédits photos : BAC Films

Par Jérôme Muslewski le 1 février 2017

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