[Critique] LA PART DES ANGES

CRITIQUES | 15 juillet 2012 | Aucun commentaire

Titre original : The Angels Share

Festival de Cannes 2012 – Sélection Officielle – En CompétitionPrix du Jury

Rating: ★★★★½
Origine : Royaume-Uni/Écosse
Réalisateur : Ken Loach
Distribution : Paul Brannigan, John Henshaw, William Ruane, Gary Maitland, Jasmin Riggins, Roger Allam, Siobhan Reilly, Charles MacLean, David Goodall…
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 27 juin 2012

Le Pitch :
Robbie, jeune délinquant écossais avec un passé violent, évite de justesse d’être envoyé en taule lorsque sa petite amie lui annonce qu’il va devenir père. Condamné à des travaux d’intérêts généraux, Robbie rencontre Albert, Mo, et Rhino, trois autres voyous qui ont foutu leurs vies en l’air. Avec l’aide de Harry, son agent de probation, Robbie est déterminé à se remettre sur la bonne voie pour éviter que la menace des lascars vengeurs touche aussi son fils. Lors de la visite d’une distillerie de whisky, Robbie découvre qu’il possède un talent caché qui pourrait bien lui présenter de nouvelles perspectives…

Critique :
Dés le début, on sent que ça va être la même histoire. L’action commence dans le style typique de Ken Loach : les magistrats d’un tribunal énoncent une par une les peines prévues pour diverses infractions commises par un groupe de voyous, puis on assiste aux rencontres avec les familles concernées et les menaces de représailles de la bande du quartier.
Ça sent immédiatement le réalisme social, le thème préféré du vieux Ken, et on craint d’emblée qu’il nous resserve la formule classique : un long-métrage sombre, cru, tragique, réaliste, qui traite des sujets politiques et porte le même regard critique sur la situation des classes ouvrières, le tout suscitant un sentiment profond qu’on a bien regardé un bon film, mais la déprime est telle qu’on ne peut pas dire qu’on a strictement « aimé ». Le Vent se Lève, Route Irish, It’s a Free World… Enfin, passons…

Sauf qu’avec La Part des Anges, c’est différent. Lauréat du Prix du Jury à Cannes, le film voit Ken Loach au sommet de sa forme. Parce que si son œuvre traite bien les mêmes sujets et adopte le même réalisme social (cette fois au menu, c’est le chômage apparemment permanent chez les jeunes et les conséquences désespérantes que cela engendre), il se trouve qu’elle bénéficie d’une bonne dose d’humour et d’optimisme, chose à la fois surprenante et gratifiante.

Le Ken n’est pas généralement vu comme étant le maître de la comédie, mais son travail comporte indéniablement des moments qui figurent parmi les séquences les plus drôles du cinéma des cinquante dernières années. La chose ne se remarque pas trop, finalement, puisque ces quelques moments d’hilarité sont souvent incorporés dans des films sinistres et tragiques. D’ailleurs, le cinéaste arrive à changer ou même à casser l’ambiance dans ses métrages avec une telle facilité, que la soudaineté avec laquelle cela arrive est carrément dérangeante. On pense notamment à l’un de ses premiers longs-métrages, Kes.

Le film rassemble une poignée de jeunes criminels à la manière de Usual Suspects. Le crime n’a rien de nouveau chez Ken Loach, mais ici les délinquants sont présentés sous une lumière sympathique, et leur criminalité est traitée avec humanité et légèreté : leur comportement c’est que de la gueule, et leurs délits sont finalement assez mineurs : vol, état d’ébriété sur voie publique, vandalisme sur des statues… Seul le personnage principal, Robbie (interprété à merveille par le nouveau venu Paul Brannigan) possède un casier judiciaire dangereux. Un fait bien souligné au début, où Robbie doit faire une rencontre avec la famille de sa dernière victime et assister (en compagnie du spectateur) à une récapitulation en détail des faits, pendant que l’agression en question l’accompagne en flashback. Une séquence brutale et difficile à regarder.

Pour ce qui est du titre, La Part des Anges fait apparemment référence au pourcentage du whisky (2%) qui s’évapore du tonneau chaque année. Aspect intéressant du folklore de la distillation, c’est initialement une vanne lancée à propos de l’exploitation capitaliste, mais lors de la fin du film, l’anecdote se transforme en métaphore de la générosité et la gratitude.

Car oui, l’élément dramatique et thématique majeur du film, qui relie l’action, l’humour et la moralité ironique, c’est le scotch (fallait la sortir). Il se trouve que l’agent de probation est un connaisseur en l’alcool, et il saisit l’occasion d’amener les jeunes voyous à une distillerie en campagne. Et si la vie de Robbie devient vraiment pourrie, il découvre qu’il a quand même un talent caché : un très bon nez pour le whisky…Ces occasions donnent lieu à des passages documentaires charmants et palpitants (si, si) sur le scotch, son histoire, sa production, et l’appréciation du consommateur. La révélation que Robbie est calé pour identifier la gnôle est ironiquement la chose qui le pousse à chercher une vocation, retourner au crime, ou trouver la rédemption.

Personne ne filme les réunions mieux que Ken Loach. C’est peut-être étrange à dire, mais les scènes dans la distillerie de whisky ressemblent franchement à de vraies réunions, où les gens se rassemblent dans une salle et causent comme on le fait tous. La plupart de ses long-métrages comportent une ou deux de ces scènes-là, comme une scène brillante dans Land and Freedom, qui voit des gens se disputer au sujet de l’anarcho-syndicalisme. Certains se lassent peut-être de cette habitude bizarre du réalisateur, mais le génie de Loach, c’est qu’il arrive sincèrement à faire passer ses personnages pour de véritables personnes, sans conception scénarisée.

Ainsi, lorsque l’action et le drame partent dans des délires fantastiques qui sont pour le dire franchement assez peu crédibles (la seconde partie du film se transforme essentiellement en quête d’aventuriers à la recherche d’un whisky rare et ensuite en film de cambriolage surréaliste. Vraiment.), ça n’a pas d’importance, puisque les personnages sont tellement bien fondés, tellement attachants et sympathiques, et on y croit tellement, que le film s’approprie le droit d’avoir un côté un peu fantaisiste.

La Part des Anges doit clairement quelque chose à Whisky à Gogo !, qui à son tour se trouve bien dans la trame de fond de Local Hero. Certains peuvent le caractériser comme la version écossaise de The Full Monty. C’est pas faux, mais la nouvelle œuvre de Ken est un film plus solide, avec les deux pieds bien sur Terre. En partie à cause du choix du casting, puisque toutes les prestations sont formidables (comme cité plus haut, le cinéaste sait filmer ses personnages). Et en partie parce que le thème récurrent de Ken Loach répond fidèlement à l’appel : des gens marginalisés par la société, peuvent posséder des talents qui pourraient les propulser vers de grandes choses, si seulement on leur donnait une chance de les exploiter. Thème familier qui revient à Kes, dont le dénouement est sombre et glacial, un moment d’opportunité et de joie qui se termine en tragédie. Ici on se rapproche plutôt du côté optimiste de Looking for Eric.

Il a été dit que Ken Loach est autant un ouvrier social qu’un réalisateur, et même si c’est vrai, ici c’est aussi un animateur. Il sait être positif, il sait faire rire, et il voit de la bonté chez tout le monde, tout en prenant en compte les défauts et les difficultés.
L’utilisation de la chanson 500 Miles des Proclaimers, pourrait passer pour un choix musical condamnable, puisque la plupart des films qui l’emploient le font par flemmardise. Mais La Part des Anges mérite ce droit, puisque le morceau respecte complètement le ton du long-métrage.

Il y a ces films qui surprennent, et La Part des Anges en fait partie. C’est une fable qui conte l’histoire de gens qui peuvent triompher de l’adversité. Et si ce message sonne un peu cliché, ici il est pertinent et on s’en moque. Ken Loach fusionne l’humour avec la politique comme un expert et signe un long-métrage vif, drôle, détendu et même émouvant, qui a beaucoup de cœur et les deux pattes bien enterrées dans un réalisme social bien solide, avec le genre de prestations magistrales qui sont maintenant attendues dans le travail du cinéaste. Certains d’entre nous commençaient à en avoir un peu notre claque du vieux Ken. La Part des Anges est son meilleur film depuis des lustres, et nous montre à quel point on avait tort.

@ Daniel Rawnsley

Crédits photos : Wild Bunch

Par Daniel Rawnsley le 15 juillet 2012

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