[Critique] LE MAJORDOME

CRITIQUES | 13 septembre 2013 | Aucun commentaire

Titre original : Lee Daniels’ The Butler

Rating: ★★★☆☆
Origine : États-Unis
Réalisateur : Lee Daniels
Distribution : Forest Whitaker, Oprah Winfrey, John Cusack, Jane Fonda, Cuba Gooding Jr., Terrence Howard, Lenny Kravitz, James Marsden, David Oyelowo, Vanessa Redgrave, Alan Rickman, Liev Schreiber, Robin Williams, Clarence Williams III, Mariah Carey…
Genre : Drame/Biopic
Date de sortie : 11 septembre 2013

Le Pitch :
La vie de Cecil Gaines commence en plein esclavage, dans les champs de coton du Sud, où sa mère perd la raison à la suite d’une violente agression et où son père se fait froidement assassiné. Pour le protéger de la brutalité des propriétaires, la matriarche de la ferme fait de l’enfant un domestique, et il finit par être tellement doué qu’une fois devenu adulte, il trouve un travail très bien payé en tant que majordome d’hôtel – avant de choper le job de sa vie en intégrant le personnel de la Maison Blanche. Au fil des années, Cecil servira des générations de présidents américains (Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Reagan…) tout en essayant de garder en équilibre sa vie de famille à la maison. Chose pas facile : Cecil travaille de longues heures, sa femme devient alcoolique et le trompe, et les rébellions de son fils aîné risquent de lui coûter bien plus que sa patience réputée…

La Critique :
C’est assez ironique, en quelque sorte, qu’une dispute de droits d’auteurs chez les studios américains (qui demeure incompréhensible) obligea le nom Lee Daniels à apparaître dans le titre anglais de son film The Butler, traduit en France comme étant simplement Le Majordome. Pourtant, c’est de loin le plus modéré et le moins Lee Daniels-ien des quatre long-métrages du cinéaste, jusqu’ici, essayant de remblayer quelques-unes de ses tendances mélodramatiques les plus merveilleusement sordides. On imagine qu’après avoir montré Nicole Kidman faire pipi sur Zac Efron dans son Paperboy injustement diffamé de l’année dernière, Daniels n’avait sans doute pas le choix de nous la jouer respectable. Évidemment, Oprah Winfrey n’allait pas balancer une télé dans la gueule de quelqu’un. Mais l’excitation dans Le Majordome se trouve en voyant l’énergie malpolie du réalisateur se heurter face aux contraintes indigestes d’un biopic traditionnel à la sauce Oscar. Dans d’autres mains, ça aurait pu donner un autre Miss Daisy et Son Chauffeur, mais on sait qu’on regarde un film de Lee Daniels quand Mariah Carey se fait violer dans la scène d’ouverture.

Version fictionnelle de l’histoire vraie d’Eugene Allen, un majordome vétéran à la Maison Blanche, le film a pour vedette Forest Whitaker dans le rôle de Cecil Gaines, le fils métayer assassiné qui passe sa vie à servir toute une procession de présidents américains, restant sagement dans son coin pendant presque quatre décennies d’Histoire. Whitaker est un acteur formidable qui a toujours l’air physiquement inconfortable, qu’il est impossible de l’imaginer au repos. Bon choix de casting comme casting, pour un rôle qui requiert une grande discrétion (La Majordome doit rester le plus invisible possible aux yeux de ses employeurs).
Hanté par des souvenirs brutaux du Sud pendant l’ère de Jim Crow, Cecil désire ardemment protéger son fils rebelle, Louis, mais on sait tous comment les gosses peuvent être entêtés. Gaines Junior recule devant la vie silencieuse du serviteur endossée par son père, séchant la fac pour devenir le Forrest Gump du mouvement des droits civils, et répondant présent – par pure coïncidence ! – à tellement d’évènements historiques que le scénario de Danny Strong ressemble parfois à une version abrégée d’une min-isérie documentaire. Se résumant à une dramatisation de la bonne vieille opposition Martin Luther King vs. Malcolm X, Le Majordome traverse les années avec un bouquet de contrastes peu subtils, avec Cecil qui porte des gants blancs tandis que Louis devient un Black Panther.

Heureusement pour nous, la non-subtilité est le point fort de Daniels en tant que réalisateur. Son Precious, par exemple, est moins un film qui se regarde et plus un film qui obtient la soumission émotionnelle du spectateur à coups de matraque. Le bonhomme atteint son sommet très tôt avec un montage électrifiant, juxtaposant Cecil et ses préparatifs pour un dîner de luxe, avec Louis qui se fait tabasser pour avoir osé s’asseoir à un comptoir réservé aux blancs. Trop tôt, diraient certains, mais on ressent encore une passion tout au long du métrage, même dans les scènes les plus empotées et maladroites, dont la plupart se déroulent dans le Bureau Ovale.

Je ne sais pas qui était responsable des auditions de certains de ces commandants en chef, mais il semblerait qu’un Poisson d’Avril ait très mal tourné dans le département du casting. Robin Williams campe un Eisenhower inexplicable, et James Marsden entre en combat épique avec l’accent de JFK. Rien que le nez prothèse du Nixon parodique de John Cusack est un bon argument contre la 3D en général, tandis que le Lyndon Johnson couvert de latex de Liev Schreiber fait penser à un de ces sketches du samedi soir dont personne n’aime parler, surtout quand il est filmé dans les toilettes avec ses chiens. Alan Rickman ne prend même pas la peine d’imiter Ronald Reagan, et un caméo de Jane Fonda dans le rôle de sa femme, Nancy, donne l’impression d’être rajouté à la dernière minute pour qu’on en parle à la radio.

Le film s’en sort largement mieux sur le front intérieur, avec une prestation étonnamment joue-le-jeu de la part d’Oprah Winfrey, qui incarne la femme alcoolique de Cecil. Dansant devant Soul Train dans le séjour avec un verre de whisky à la main, elle manigance quelque chose avec le voisin d’à côté, joué par Terrence Howard. Pendant ce temps, Whitaker maîtrise toujours ses réactions, comme il le fait au boulot; on ne sait jamais si il est courant.

Le scénariste Danny Strong a également écrit des téléfilms HBO comme Recount et Game Change, donc il s’est fait un joli petit nid en réduisant des leçons d’histoires en bouchées de pépites où tout le monde annonce la thématique à voix haute. Mais la réalisation garde des angles rustiques, même quand le scénario est péniblement sage. Ce film est plus bordélique et plus vivant qu’il ne devrait l’être, probablement.

Comme la plupart des biopics, Le Majordome souffre de vouloir de capturer toute une existence en deux heures sans plus, marchant scrupuleusement à travers les décennies comme s’il cochait des cases sur une liste de shopping. Deux ou trois administrations vont et viennent le temps que Gladys Knight finisse de chanter à la télé (oui, Oprah regarde beaucoup de Soul Train dans ce film), et même Martin Luther King trouve une excuse pour nous sortir un speech inspirant, sur l’Histoire du Serviteur Domestique Noir – c’est-à-dire, nous expliquer comment on est censé apprécier le personnage principal, malgré le fait qu’on a supposément passé deux piges à faire sa connaissance. C’est un film maladroit et trop serré sur les bords, donnant l’impression que Daniels, comme son majordome, essaye malgré tout de se tenir soigneusement à carreau…

@ Daniel Rawnsley

photo-Le-Majordome-The-ButlerCrédits photos : Metropolitan FilmExport

Par Daniel Rawnsley le 13 septembre 2013

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