[Critique] LOVE & MERCY, LA VÉRITABLE HISTOIRE DE BRIAN WILSON DES BEACH BOYS

CRITIQUES | 3 juillet 2015 | Aucun commentaire
Love-&-mercy-poster

Titre original : Love & Mercy

Rating: ★★★★★
Origine : États-Unis
Réalisateur : Bill Pohlad
Distribution : Paul Dano, John Cusack, Elizabeth Banks, Paul Giamatti, Jake Abel, Graham Rogers, Brett Davern, Dee Wallace, Kenny Wormald, Joanna Going, Diana Maria Riva, Bill Camp…
Genre : Drame/Biopic
Date de sortie : 1er juillet 2015

Le Pitch :
Les Beach Boys ont changé la face de la musique américaine au rythme de multiples tubes et autres mélodies complexes immédiatement plébiscités par le monde entier. À la tête du groupe, Brian Wilson, un compositeur de génie à la personnalité torturée, qui toute sa vie, lutta contre ses démons, pour parvenir à matérialiser les harmonies, sans cesse plus nombreuses, tourbillonnant dans son esprit. De son désir d’arrêter les tournées pour écrire ce qui deviendra l’album Pet Sounds, à sa période noire, bien des années plus tard, quand, sous le joug du manipulateur Docteur Landy, il ne cessa de toucher le fond, en passant par son histoire d’amour salvatrice, la vie de Brian Wilson est à l’image de ses créations : parcourue d’une mélancolie latente mais aussi de fulgurances magnifiques, caractérisées par une joie pure mêlée d’un éternel sentiment d’inachevé…

La Critique :
On comprend dès le début que Love & Mercy ne sera pas un énième biopic d’une icône de la musique. Sans dénigrer de quelque façon que ce soit les films comme Ray (Ray Charles), Great Balls of Fire (Jerry Lee Lewis) ou Get On Up (James Brown), par ailleurs très bons, il est appréciable de constater que Bill Pohlad, dont c’est le premier long-métrage, a avant tout souhaité que son biopic se moule sur la personnalité extrêmement complexe de son sujet principal. Ainsi, Love & Mercy, avec sa structure en deux temps, impose un concept parfaitement raccord avec le récit et les thématiques qu’il entend illustrer. Au lieu de commencer par l’enfance de Brian Wilson, de ses frères et de son cousin, à savoir les Beach Boys, l’histoire s’attache à retranscrire deux périodes clés de l’existence de Wilson. Deux périodes éloignées l’une de l’autre, portées par deux acteurs différents, de façon à mettre en avant la dualité d’un personnage atypique.
Paul Dano est donc le Brian Wilson de Pet Sounds, cet album révolutionnaire en forme de réponse flamboyante au Rubber Soul des Beatles. Le Wilson qui, lassé de composer des hits à la chaîne traitant de surf, de voitures et de plage, décida de donner libre court à son ambition et de s’affranchir du rythme de vie imposé par le succès, mais aussi de la main mise de son tyran de père, quitte à se heurter à un mur d’incompréhension de la part de certaines personnes de son entourage, son cousin, le chanteur Mike Love, en tête de liste. John Cusack lui, est le Wilson des années 80. Celui qui, coupé des siens, subit l’influence malsaine d’Eugène Landy, un docteur mégalomaniaque soucieux de vampiriser la rock star à son propre profit. Un épisode particulièrement sombre durant lequel l’espoir fut personnifié par Melinda Ledbetter, une jeune femme dont Brian tomba amoureux. Un personnage incarné par Elizabeth Banks, qui se pose, comme une sorte de narrateur. Comme l’observateur d’une vie gâchée et totalement dissolue où subsiste, bien qu’étouffée par des tonnes de pilules abrutissantes et de sermons humiliants, une lueur d’espoir fragile mais néanmoins tenace.

Love-Mercy-John-Cusack-Elizabeth-Banks

Love & Mercy propose presque deux films en un. Deux films qui se télescopent, dans une valse à la fluidité exemplaire, instaurant un réel dialogue, absolument parfait quand il s’agit de souligner les éléments constituant la personnalité de Brian Wilson. Ainsi, le long-métrage, en prenant son temps, ne revenant sur l’enfance ou la création des Beach Boys que lors de fugaces lignes de dialogues ou de discrets flash-backs, peut explorer totalement ce qu’il entend traiter. Sans multiplier les ellipses ni s’éparpiller. Ceux qui s’attendent à voir un biopic sur les Beach Boys seront alors peut-être un peu déçus. Love & Mercy est un film sur Brian Wilson et si on voit bien sûr Carl, Dennis, Mike Love ou Al Jardine, ils ne sont pas au centre d’une histoire focalisée sur un seul et même personnage. Leur totale absence de la partie de John Cusack appuie d’ailleurs cette volonté.
Sur de nombreux aspects, surtout quand il traite de l’après-Beach Boys, Love & Mercy dévoile des éléments plutôt méconnus de la vie de Brian Wilson. Quand on connaît son parcours, ses difficultés, ses démons, et ses ambitions, il est naturel de saluer des deux mains l’extraordinaire acuité d’un scénario dont l’un des principaux mérites est de ne pas pas sombrer dans le glauque. Que ce soit lorsque Brian redevient un enfant terrorisé par son père de substitution, ou quand il commence à prendre de plus en plus conscience de sa nature à part, le long-métrage ne verse pas dans le désespoir le plus total et saisit au vol d’ambiguïté du musicien, dont les compositions, souvent de prime abord enjouées, cachaient une vraie détresse.
La réalisation incroyablement pertinente et mature, proche du documentaire (on le répète, c’est pourtant un premier film) renforce également cette impression, tout comme la superbe photographie de Robert D. Yeoman. Impossible de ne pas aussi saluer l’incroyable travail effectué sur le son, là aussi en totale osmose avec la personnalité de Brian Wilson, ses psychoses, ses rêves, ses espoirs et ses peurs. Outre les tubes, parfois réinterprétés par Paul Dano et les autres acteurs, qui à eux seul collent une monumentale chair de poule, le travail d’Atticus Ross sur la musique, relève du génie pur et simple, en cela qu’il adopte discrètement et fidèlement les contours définis il y a plusieurs dizaines d’années par celui qui restera comme l’un des musiciens les plus influents et les plus talentueux de la musique contemporaine.

Totale réussite, fidèle et sans concession, Love & Mercy est un film viscéral. De ceux qui ne ploient pas l’échine devant les considérations commerciales pour rester proches de leurs idéaux. Il offre également une occasion en or à ses deux têtes d’affiches de briller comme jamais. Paul Dano premièrement, le Brian Wilson positif, celui des années 60, de Good Vibrations et God Only Knows. Pourtant déjà incroyable dans une belle flopée de longs-métrages, le jeune acteur trouve peut-être son meilleur rôle. Jamais dans l’excès, toujours juste, il est tétanisant, attendrissant et terriblement touchant. Physiquement aussi, il est Brian Wilson. Celui qui n’allait pas tarder à imploser et à se réfugier plusieurs mois dans une chambre qu’il ne quittait qu’à de rares occasions. John Cusack pour sa part, opère un spectaculaire come-back après plusieurs rôles en pilotage automatique, parfois dans des navets sans saveur. À première vue, son recrutement ne semblait pourtant pas évident. Il est brun alors que Wilson est blond et leurs traits n’ont pas grand chose en commun. Mais là encore, c’est avant tout le mimétisme et l’attitude qui priment. Cette étincelle dans le regard, parfois affaiblie mais jamais éteinte. Le Wilson de Cusack ne chante jamais, pas plus qu’il ne joue du piano ou de la basse. Il se contente de souffrir en silence et de craindre le courroux de son bourreau, attendant sans même le savoir un sauveur qui se présentera sous les traits d’une belle vendeuse de voitures. Lui aussi tout en retenue, parfaitement dans le ton, taquin puis touché par un profond désespoir, Cusack ne se démonte pas devant l’ampleur de la tâche et touche au vif. Il est parfait. Tout simplement. Tout comme Elizabeth Banks, impeccable et charismatique, et Paul Giamatti, alias le machiavélique Docteur Landy, lui aussi ici de retour dans un registre dans lequel il excelle.

Portrait en deux parties d’une finesse et d’une justesse absolue, Love & Mercy gagne sur tous les tableaux. Visuellement extraordinaire, nourri par une totale compréhension et par un respect jamais démenti de son sujet, il parle d’un homme pas comme les autres et, in fine, de la difficulté de vivre dans un monde impitoyable envers la fragilité, le génie et la différence. Le monument qu’est Brian Wilson méritait bien une œuvre aussi définitive. Le pari était risqué mais à l’arrivée, il réussit avec les honneurs. Il se positionne dans la droite lignée de l’une des histoires les plus fascinantes du rock. Il offre à des chefs-d’œuvres de la musique un écrin parfait et digne, et à leur principal créateur une évocation à la fois grandiose et intimiste.
Brian Wilson ne voulait qu’une chose : donner naissance aux symphonies qui tournaient dans tête. Sa marque est indélébile et le film racontant son histoire est prodigieux.

@ Gilles Rolland

 Love-Mercy-Beach-Boys-Paul-DanoCrédits photos : ARP Sélection

 

Par Gilles Rolland le 3 juillet 2015

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