[Critique] ONLY LOVERS LEFT ALIVE

CRITIQUES | 21 février 2014 | 1 commentaire
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Titre original : Only Lovers Left Alive

Rating: ★★★★½
Origine : États-Unis
Réalisateur : Jim Jarmusch
Distribution : Tom Hiddleston, Tilda Swinton, Mia Wasikowska, Anton Yelchin, John Hurt…
Genre : Drame/Romance/Fantastique/Horreur
Date de sortie : 19 février 2014

Le Pitch :
Vivant séparément dans la désolation des villes désertes de Détroit et de Tanger, Adam, un musicien vampire underground profondément déprimé par la direction que prennent les activités humaines, se retrouve avec Eve, son amante énigmatique. Leur histoire d’amour a duré bien des siècles, mais leur idylle débauchée est interrompue par l’arrivée d’Ava, la petite sœur sauvage et incontrôlable d’Eve. En tant qu’outsiders, sages mais plus fragiles que jamais, peuvent-t-ils continuer à survivre alors que le monde moderne s’effondre autour d’eux ?…

La Critique :
Apparemment, on n’est pas un vrai réalisateur si on n’a pas encore livré notre propre version sur le mythe des suceurs de sang. La tentative de Jim Jarmusch est inévitablement bizarre et, bien sûr, pas du tout un film d’horreur, si on oublie un ou deux humains mordus ici et là. Taquin, langoureux et touchant sur des profondeurs inespérées, son Only Lovers Left Alive est d’une torpeur nocturne, composant une habile immobilité dans des longs silences et des tableaux fixes, aussi statiques que ses personnages, à tel point que l’on a parfois l’impression que le métrage lui-même s’allonge avec un soupir fatigué. Ouaip, on est dans un film de Jim Jarmusch.

On tient une là vraie pépite. Tom Hiddleston et Tilda Swinton jouent Adam et Eve, des vampires amants à travers les siècles (sans doute que c’est probablement pareil dans la vraie vie), âgés respectivement de 500 et de 5000 ans, se dégourdissant dans un Détroit pourri, se lamentant sur l’ascension « des zombies » (nous, les humains) et regrettant longuement l’époque où ils faisaient la fête avec Shelley et Bryon. Les cheveux longs, le teint pâle, et portant des lunettes de soleil la nuit, ils sont des hipsters multipliés à la puissance carrée par des décennies entières, cataloguant une culture qui s’est perdue dans le monde moderne. C’est un vieux couple dans tous les sens du terme, dandys sans être décadents, qui, quand nous les voyons pour la première fois, ont élu domicile dans des lofts cossus au cœur de cités fantômes dont la vie nocturne convient à des êtres comme eux, hors du temps.

Lui est musicien, célèbre mais hermétique, planqué dans un appartement de Motor City, composant sa propre musique tel un emokid éternellement déprimé ; elle, préfère traîner dans Tanger, plus exotique. Leur réunion alimente un film qui, comme le Her récent de Spike Jonze, trouve ses meilleurs passages quand il n’est pas question d’intrigue, où il n’y a pas d’élan et où l’histoire n’avance pas, ce qui est heureusement le cas la plupart du temps. Jarmusch glande tranquillement aux côtés de ses personnages, baignant dans leur ambiance mélancolique, les capturant dans leurs moments les plus confortables, qu’ils soient seuls ou ensemble.

L’arrivée de la petite sœur d’Eve, une fêtarde un peu fofolle sans aucune manière, qui aime tellement se défouler que ça la rend difficile à gérer pour sa parentèle, menace de détruire la bulle qu’ils ont créé, ainsi que le film lui-même. Mais Only Lovers Left Alive reste un des meilleurs films sur les couples qui ne vivent que pour eux-mêmes. Ils sont habitués l’un à l’autre sans être las ou ennuyés. Le fait qu’ils forment un duo bizarre – lui aime bouder et broyer du noir, elle préfère vivre sa vie sans être un boute-en-train – aide beaucoup, aussi. C’est un film qui vit la nuit avec des gens qui aiment faire de même, la caméra rôdant autour de demeures animées par de faibles lumières et des disques rock n’ roll, et des rues désertes apaisantes. Jarmusch donne le ton dès la première image, où un vinyle tourne lentement sur un pick-up, et la bande-son réunit des noms comme Charlie Feathers, Wanda Jackson ou Jozef Van Wissem.

Et c’est drôle, aussi, et pas seulement à cause des répliques occasionnelles désolé-on-pouvait-pas-résister sur des gens célèbres qu’ils ont connu dans le passé. Oui, Jarmusch est quelqu’un de très cultivé, et donc ses protagonistes le sont souvent aussi. Hiddleston sort toutes sortes de références philosophiques à des scientifiques comme Einstein ou Tesla dont il a appris les théories par cœur, tandis que Swinton fréquente Christopher Marlowe (qu’elle appelle « Kit ») l’auteur dont l’œuvre aurait été largement pillée par William Shakespeare. Marlowe est toujours vivant, quatre siècles après sa mort, et il est joué par John Hurt.

Comme tous les clichés de western qu’il prit plaisir à faire tomber à la renverse dans son superbe Dead Man, le réalisateur canadien s’amuse à tordre le cou aux conventions du genre vampirique, s’assurant bien à souligner à quel point être un vampire est chiant. C’est maintenant à l’hôpital qu’Adam et Eve se fournissent en hémoglobine pour étancher leur soif. Eux seuls savent se tenir, car d’autres agités de la canine préfèrent encore mordre le cou des autres au risque de se faire repérer (et dans un monde remplit d’alcool, de drogues et de SIDA, ce n’est pas vraiment une bonne idée). Le génial Jeffrey Wright est de retour dans un bref caméo. Il campe un médecin nerveux qui fournit à Hiddleston ses flacons d’O-négatif en échange d’argent. Face au déguisement ridicule d’Adam, il l’accueille chaque fois avec un nouveau surnom : Docteur Caligari, Docteur Folamour… (Alors que son identité secrète est plus simple, à savoir Docteur Faust).

Tellement de choses se déroulent sous la surface impassible de l’humour catatonique, subtilement raffiné et pince-sans-rire dont Jarmusch est le légataire. Les vides gênants dans ses espaces sont à la fois tristes et hilarants, s’attardant sur une scène deux ou trois fois plus longtemps que d’habitude comme pour écouter sa résonance, saisir un comportement ou une excentricité désopilante puis enchaîner avec un fondu au noir. La plus grande rigolade vient lorsqu’il faut organiser un vol de nuit, quand les passeports de Swinton et Hiddleston affichent les noms « Stephen Dedalus » et « Daisy Buchanan ». C’est ce genre de film.

Depuis le Stranger Than Paradise de 1984, Jim Jarmusch a systématiquement (mais peut-être pas exactement d’une façon prolifique) élaboré des long-métrages exigeants, délicieusement idiosyncratiques et profondément personnels avec des ambitions artistiques qui ont tendance à dominer les malheurs romantiques de pauvres marmonneurs d’un paysage cinématographique indépendant de plus en plus homogénéisé. Le mec est un trésor international, et Only Lovers Left Alive, un projet qu’il a mis près de dix ans à monter, semble venir d’un endroit très spécial. C’est un de ses films les plus chaleureux, et aussi un de ses meilleurs.

@ Daniel Rawnsley

Only-lovers-left-alive-Jim-JarmuschCrédits photos : Le Pacte

Par Daniel Rawnsley le 21 février 2014

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Trambert
Trambert
10 années il y a

Je trouve qu’une critique de film doit davantage entrer dans l’aspect cinématographique de l’oeuvre plutôt que de simplement “raconter l’histoire du film” en distillant ici et là des effets de compréhension esthétique qui reposent davantage sur l’aspect poétique des expressions utilisées que sur une analyse filmique.