[Critique] MOONRISE KINGDOM

CRITIQUES | 17 mai 2012 | Aucun commentaire

Festival de Cannes 2012 – Sélection Officielle – Film d’ouverture – En Compétition

Titre original : Moonrise Kingdom

Rating: ★★★★½
Origine : États-Unis
Réalisateur : Wes Anderson
Distribution : Bruce Willis, Jared Gilman, Kara Hayward, Edward Norton, Bill Murray, Frances McDormand, Tilda Swinton, Jason Schwartzman, Harvey Keitel, Bob Balaban…
Genre : Comédie/Romance/Drame
Date de sortie : 16 mai 2012

Le Pitch :
Il était une fois un jeune garçon marginal et une jeune fille qui l’était tout autant. Un beau jour, ils tombent amoureux l’un de l’autre et décident de s’enfuir. Leurs proches et la police se mettent rapidement à leur recherche alors qu’une terrible tempête approche…

La Critique :
Outre le fait qu’il s’avère excellent, Moonrise Kingdom signe enfin le grand retour en grâce de deux acteurs : Bruce Willis et Edward Norton. Combien de films insipides, souvent inintéressants, les fans de ces deux comédiens, pourtant doués, ont dû se farcir ces dernières années ? Le premier enchaine les films d’action sans grand intérêt et se complait à jouer tout le temps le même personnage (en gros une variation de John McClane), abusant des mimiques qui ont contribué à façonner sa gloire. Le second, après une première moitié de carrière florissante, s’est peu à peu empêtré dans les projets bancals, à l’image de L’Illusionniste ou du récent et soporifique Stone. Tous deux trouvent ici une renaissance. Une renaissance assortie d’une chouette moumoute en ce qui concerne Bruce Willis…

Si on doit remercier Wes Anderson pour ce come-back flamboyant, on peut aussi mettre la grande forme des deux larrons sur le dos de l’émulation provoquée par la présence de comédiens habités par leurs rôles. À commencer par le grand Bill Murray. Fidèle de Wes Anderson depuis Rushmore (1998), l’ex Peter Venkman de Ghostbusters personnifie la folie douce qui habite un univers empreint d’une nostalgie touchante. Il pilote d’une certaine façon la distribution qui se met au diapason. Discret mais crucial, Murray est le patriarche d’un casting aussi pertinent que surprenant et stimulant. Mettez Bill Murray, Edward Norton et Bruce Willis, accompagnés de Frances McDormand dans une même scène et elle a de grandes chances de finir au panthéon du culte. C’est précisément le cas ici. À cela se rajoutent les interventions auréolées de burlesque de Jason Schwartzman et d’Harvey Keitel. De quoi rendre Moonrise Kingdom tout de suite recommandable.

Cependant, ce ne sont pas les stars qui font le film. À vrai dire, ce ne sont même pas les stars que l’on remarque au final ici. Ceux qu’on remarque, ce sont les deux jeunes comédiens, Kara Hayward et Jared Gilman. Les stars sont la base. Le ciment d’un groupe. Les enfants sont les stars de l’histoire. Jared Gilman interprète avec beaucoup de justesse un enfant seul. Un orphelin ignoré de tous qui tombe amoureux de la seule fille qui, un jour, a posé son regard sur lui, sans pouvoir par la suite s’en défaire. Une fille en détresse, qui aime lire des histoires pour s’évader d’un monde qui ne lui convient pas. Une fille rebelle, en quête d’un amour qui pourra l’extirper d’une famille dans laquelle elle estime ne plus avoir sa place.

Ces deux jeunes acteurs ont du talent. Leurs échanges, décalés et pleins de poésie, soulignés par une bande-son en forme de révélateur, donnent toute sa substance à l’histoire. Celle d’une fugue vers un ailleurs fantasmé. On pense bien sûr à la séquence qui voit Sam et Suzy danser sur la plage au son du Temps de l’amour de Françoise Hardy. Ubuesque, la scène et ce qui s’ensuit, illustrent bien le ton d’un long-métrage un peu fou, qui se permet tout. Un hymne à la liberté magnifique comme on en voit peu.

Dans Moonrise Kingdom, comme dans les précédentes œuvres de Wes Anderson, on rit et on pleure. Les personnages de ce nouveau brûlot ont tous des failles et vivent sur une île coupée du monde, au beau milieu de l’eau et des années 60. L’époque, comme le lieu de l’action, a son importance. Wes Anderson utilise le champs lexical des années 60 pour insuffler à son film une aura vintage, légèrement kitsch, dans laquelle on se sent immédiatement à l’aise. L’isolement provoqué par la localisation géographique contribue aussi au côté immersif de Moonrise Kingdom qui aspire le regard comme l’esprit. Ici, tout est important. Tout compte d’une façon ou d’une autre car rien n’est laissé au hasard. Le comique absurde, qu’il soit au premier plan ou au second, voir hors champ, les regards qui veulent dire beaucoup, les tenues… Anderson a le soucis du détail et ses films, celui-là tout particulièrement, sont semblables à de véritables peintures.

Machine à remonter le temps, son dernier fait de gloire est peut-être aussi son meilleur. On retrouve les thèmes favoris du cinéaste. La famille, une nouvelle fois dysfonctionnelle mais pleine d’amour maladroit et la solitude, qui prend corps dans deux jeunes âmes isolées trouvent un écho bouleversant. On pourra reprocher au cinéaste de ne pas trop se renouveler en restant campé sur des automatismes de mise en scène ou encore de ne tourner qu’autour de personnages semblables de film en film, mais une chose est sûre : les amateurs du réalisateur vont se régaler.

Il est bon aussi de mettre en avant les clins d’œil, volontaires ou pas, que Moonrise Kingdom fait à Sa Majesté des Mouches et à la littérature beat, Kerouac ou Salinger en tête pour le côté récit initiatique. Il emprunte à ces derniers une certaine gravité mais s’interdit de sombrer dans le glauque ou la morosité. La noirceur de certaines situations est toujours désamorcée. Directement ou non. Le comique vole au secours de l’espoir, quand il y a un trop plein de chagrin. Avec décalage et non sens, parfois à la lisière du cartoon. Comme lors du dénouement, bouleversant, dans tous les sens du terme. Conte sur l’enfance subtil et délicat mais aussi mélancolique, le dernier film de Wes Anderson confronte les tourments de la jeunesse avec ceux des adultes, pour mieux les réunir.

Et lorsque le conte de fée prend fin, on sent bien qu’il devrait rester un bon moment dans notre esprit.

@ Gilles Rolland

Crédits Photos : Focus Features

 

Par Gilles Rolland le 17 mai 2012

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