[Critique] SICARIO : LA GUERRE DES CARTELS

CRITIQUES | 28 juin 2018 | 1 commentaire
Sicario-2-poster

Titre original : Sicario : Day Of The Soldado

Rating: ★★★★½
Origine : États-Unis
Réalisateur : Stefano Sollima
Distribution : Benicio Del Toro, Josh Brolin, Isabela Moner, Catherine Keener, Jeffrey Donovan, Matthew Modine, Shea Whigham, Manuel Garcia-Rulfo, Elijah Rodriguez…
Genre : Thriller/Suite
Date de sortie : 27 juin 2018

Le Pitch :
Alors que les cartels mexicains ne cessent de faire couler le sang à la frontière avec les États-Unis, un événement tragique encourage le gouvernement à lancer une opération secrète qui consiste à enlever la fille d’un puissant baron pour déclencher une guerre entre les cartels. Afin de réussir à atteindre l’objectif donné, l’agent fédéral Matt Graver fait à nouveau appel à Alejandro. Rapidement, l’opération tourne au chaos…

La Critique de Sicario : La Guerre des Cartels :

Denis Villeneuve est parti explorer d’autres horizons et n’a donc pas souhaité rempiler à l’occasion de cette suite de Sicario. Taylor Sheridan, le scénariste du premier, est par contre resté, ayant visiblement encore des choses à dire dans le cadre de son exploration de la nouvelle frontière américaine. Et c’est donc après avoir écrit Comancheria et Wind River (qu’il a aussi réalisé) que Sheridan revient dans l’univers de son premier scénario et orchestre une nouvelle opération menée par les personnages de Benicio Del Toro et Josh Brolin, par ailleurs déjà présents dans le premier film (Emily Blunt n’est pas de la partie). Un gage de qualité pour une suite qui n’a d’emblée rien d’opportuniste. La présence de Stefano Sollima (l’homme de Romanzo Criminale, Gomorra, Suburra et A.C.A.B.) derrière la caméra, étant aussi un indice quant à l’intégrité d’un projet qui prend un malin plaisir, deux heures durant, à semer le trouble, à prendre à revers et à décontenancer…

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Il était une fois l’Amérique

Alors que Sicario premier du nom portait en lui les obsessions plastiques et narratives de Denis Villeneuve, au diapason des ambitions de Taylor Sheridan et de son propos, Sicario 2 prend un virage. Un virage pas trop violent non plus mais un virage quand même. Sollima n’est pas Villeneuve. Son cinéma est moins dans la contemplation et davantage dans l’action. Et il fallait bien un réalisateur de sa trempe, avec cette tendance à y aller franco sans jamais se perdre en chemin, pour illustrer et orchestrer l’histoire incroyablement violente et retorse imaginée cette fois-ci par Sheridan. Bonne nouvelle donc : les deux hommes sont au diapason. D’un côté le scénariste peut aller de l’avant, sans faire de surplace mais tout en continuant à disserter sur la thématique de la frontière (au centre de toute son œuvre ou presque) et de l’autre le metteur en scène peut s’en donner à cœur joie et faire parler la poudre tout en réussissant à jouer également sur les non-dits, les silences et les regards qui en disent long. En passant à l’ouest, le cinéaste italien a parfaitement réussi à exporter sa fougue et Sicario 2 traduit son refus des conventions pour briller telle une œuvre radicale et surprenante, narrativement et visuellement parlant.
Un film parcouru de morceaux de bravoure, à l’instar de cette scène d’enlèvement, de cette attaque en pleine rue ou encore de ces nombreux éclairs de sauvagerie, aussi choquants que finalement parfaitement intégrés à la dynamique du film et donc pas du tout issus d’une volonté de bousculer le spectateur pour simplement pour le bousculer.

Taxes douanières

Ce qu’il faut comprendre par là, c’est que jamais Sollima ne fait d’écarts inutiles. Il fonce, totalement au service d’un script brillant, qu’il est parvenu à s’approprier pour le faire cadrer avec ses propres obsessions, sans pour autant le dénaturer. Car au fond, même si il est évident que Sollima n’a pas réalisé là une simple commande mais s’est véritablement investi, il l’est tout autant évident que Sicario 2 appartient à Sheridan. Un homme décidément très bon pour bosser en équipe, lui qui n’avait déjà fait qu’un avec Villeneuve.
Un duo aux commandes d’une œuvre également très déroutante. Et ce dès le début, quand on nous parle de terrorisme et que le récit, très courageux, aborde des questions brûlantes d’actualité sans se départir d’une intelligence, d’une acuité et d’une pertinence remarquables. Par la suite, le caractère insaisissable de Sicario : la Guerre des Cartels ne fait que se confirmer. Authentique thriller, film d’action, drame poignant, pamphlet politique incarné, il se paye le luxe de frapper fort et de réfléchir, comme le premier avant lui, mais en s’appuyant sur l’actualité, sur l’état du monde. L’histoire a beau se dérouler à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, centre névralgique d’un débat ardent depuis le changement de locataire à la Maison Blanche et d’une véritable tragédie humaine, ce lieu n’est pour autant pas le seul à être au centre de Sicario 2, qui relie plusieurs points entre eux afin de prouver que la situation actuelle est si complexe et si gangrenée par toutes sortes de complots que la solution, si tant est qu’elle existe, implique forcément quelque chose de très violent.

Nuances de gris

Pas manichéen du tout, le long-métrage pousse encore le bouchon un peu plus loin que son prédécesseur. Sicario dans lequel Emily Blunt incarnait cette sorte d’innocence face à une barbarie sans visage. Ici, c’est une adolescente qui tient ce rôle mais ses pouvoirs sont pour ainsi dire nuls au milieu d’une guerre où les alliances se font et se défont sans même parfois qu’on soit en mesure de savoir pour qui travaille qui. Sicario 2 se focalise alors sur les personnages encore une fois brillamment interprétés par Josh Brolin et Benicio Del Toro. Sur ce soldat en quête de vengeance, un peu las mais toujours enclin à faire couler le sang, et sur cet agent prêt à méchamment se salir les mains. Deux anti-héros, loin des clichés du « gentil » hollywoodien, tout à fait symptomatiques de ce que Sheridan et Sollima entendent exprimer. La fin va d’ailleurs bien dans ce sens, sans se priver d’affirmer que la paix n’est pas encore à l’ordre du jour et ne le sera peut-être jamais.
Au travers de ces échanges, où les silences ont au moins autant d’importance que les mots, Brolin, Del Toro, mais aussi l’excellente Isabela Moner, deviennent les acteurs d’une tragédie déchirante de par ses implications, sauvage à souhait, perturbante parfois et crépusculaire au possible. Des acteurs burinés, aussi crédibles fusil au poing que quand il s’agit de mettre les armes de côté. Brolin et Del Toro qui campent deux monstres au service d’un Bien ambivalent, dont les méthodes sont au moins aussi troubles que les objectifs. Et c’est aussi parce qu’il pousse à la réflexion, tout en offrant un spectacle mémorable, baroque et virtuose, que Sicario 2 est un grand film.

En Bref…
Percutant à souhait, insaisissable, imprévisible et méchamment sans concession, Sicario : la Guerre des Cartels jouit de la parfaite alchimie entre un réalisateur en pleine possession de son art, grand directeur d’acteurs, et un scénariste bien décidé à ne rien lâcher. Un film solide, brillamment écrit et réalisé, porté par des acteurs dont l’intensité n’a d’égal que leur propension à se faire les vecteurs d’émotions lisibles dans les quelques moments de calme qui, loin de diluer l’impact du discours, en soulignent d’autant plus la pertinence, l’intelligence et le caractère inexorable.

@ Gilles Rolland

Sicario-2-la-guerre-des-cartels-Del-Toro   Crédits photos : Metropolitan FilmExport

 

Par Gilles Rolland le 28 juin 2018

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