[Critique] TYRANNOSAUR

CRITIQUES | 30 avril 2012 | Aucun commentaire

Titre original : Tyrannosaur

Rating: ★★★★☆
Origine : Angleterre
Réalisateur : Paddy Considine
Distribution : Peter Mullan, Olivia Colman, Eddie Marsan, Paul Popplewell, Ned Dennehy, Samuel Bottomley, Sally Carman, Sian Breckin…
Genre : Drame
Date de sortie : 25 avril 2012

Le Pitch :
Joseph, un homme violent et tourmenté, rencontre Hannah, une femme très pieuse qui tente de le réconforter et de comprendre sa détresse. Mais sous ses apparences paisibles, Hannah cache une vie tout aussi cabossée que celle de Joseph. Petit à petit, ces deux âmes solitaires vont apprendre à s’apprivoiser…

La Critique :
Tyrannosaur prend aux tripes dès les premières minutes. Littéralement et puissamment.
Premier long-métrage de Passy Considine, (acteur vu notamment dans Hot Fuzz et 24 Hour Party People), Tyrannosaur fait en quelque sorte suite à son court-métrage Dog Altogether, qui mettait déjà en scène le personnage de Joseph, déjà interprété par Peter Mullan (Olivia Colman était également au générique) et qui embrassait les mêmes thématiques.

Bâti sur la volonté d’aller au delà des apparences pour pénétrer, via les fissures du corps et de l’âme, jusqu’à la moelle profonde de personnes ordinaires, Tyrannosaur impressionne par son traitement.
Le sujet peut être perçu comme étant conventionnel même si au fond, de par son universalité, il mérite sans aucun doute plusieurs interprétations. Que se cache-t-il derrière les sourires de façade ? Qui est vraiment ce type qui boit seul au bar ? Des questions au centre d’un film brutal qui explore la vie des personnes ordinaires. Qui souligne les dommages collatéraux et qui dresse un portrait humaniste et sombre de personnalités profondément complexes.

Donc oui, Tyrannosaur saisit dès la première scène. On fait la connaissance d’un enragé, piloté par une colère sourde, aussi destructrice pour les autres -ceux qui ont le tort de le côtoyer- que pour lui-même. Une colère qui construit petit à petit un mur autour de cet homme noyé, victime de ses coups de sang imprévisibles et dévastateurs.

Par la suite, cet homme, Joseph, se dévoile. Sa rencontre avec Hannah apaise un peu sa rage, sans pour autant l’endormir totalement. Il est aisé de haïr un tel personnage. Comment aimer un tel type ? Ses actes le définissent, bien qu’au fond de son regard persiste une lueur qui pourrait laisser entrevoir une bonté profondément enfouie. Bienveillant, Joseph ne l’est pas, même si on s’aperçoit vite que le combat qu’il mène contre lui-même, n’est pas entièrement perdu. C’est grâce à Hannah, deuxième personnage clé du film, que Joseph envisage, dans un premier temps sans le reconnaître, un salut. Pour autant les choses ne sont pas si simples. Il n’y a pas un type bourru et bourrin d’un côté et une bonne samaritaine de l’autre. Hannah et Joseph morflent tout autant et réagissent différemment. Du moins dans un premier temps. Se nourrissant mutuellement, les deux protagonistes de Tyrannosaur trouvent chez l’autre un écho, un espoir, qu’ils s’empressent de saisir sans forcement s’en rendre compte.

La grande force du film est de ne jamais exclure de l’équation la possibilité de rédemption. Considine laisse la porte ouverte, toujours, même lorsqu’il force le trait dans le drame. Le réalisateur/scénariste n’épargne rien à ses personnages qu’il plonge dans des situations tour à tour malsaines, pathétiques et violentes, mais laisse la veilleuse allumée. Une lueur, aussi faible soit-elle, qui permet au spectateur de toujours éprouver de l’empathie pour ces personnages cramés et complexes. Le fait que Considine se refuse presque toujours à montrer cette violence de manière frontale confirme cet état de fait. Le but de l’œuvre n’est pas de choquer par l’image, mais de montrer à l’écran les effets de ces actes de violence. Et comme chacun sait, la suggestion est bien souvent plus percutante. Surtout quand comme ici, ce sont de grands acteurs qui illustrent ces dommages collatéraux sur la psyché de leur personnage.

Peter Mullan en tête qui habite avec conviction un rôle dur, dans tous les sens du terme. Son regard exprime la complexité et le maelström d’émotions qui se chamaillent sous le vernis de la colère de Joseph. En face, Olivia Colman arrive a exister et livre une performance spectaculaire de retenue.

Tout deux évoluent au sein d’un paysage morne. Du jardin dévasté et marqué par la mort de Joseph, au magasin d’Hannah en passant par les bancs du pub local, Tyrannosaur raconte aussi la vie d’une certaine tranche sociale. Son renoncement, la religion qui permet de tenir, l’humiliation quotidienne de ses victimes ordinaires et les conséquences d’une crise qui s’éternise.

Sans aller titiller Ken Loach ou les grands réalisateurs « sociaux » sur leurs terres, Paddy Considine s’inscrit tout de même dans la même tradition. Dans le fond mais pas nécessairement dans la forme. Le cinéaste emballe un premier film à l’image et à la mise en scène soignées, tout en mouvements. Ses plans larges changent de l’aspect documentaire propre aux chroniques sociales. Un procédé qui confère au long-métrage une identité et une tonalité différentes.

Long-métrage dur, Tyrannosaur dérange. Il marque profondément. Paddy Considine fait preuve d’une maturité impressionnante. Son premier film est en cela une réussite. Ambigu, il se refuse à suivre les chemins balisés. Il aborde des sujets casse-gueules, trébuche légèrement mais ne tombe jamais. Se construit une philosophie faite d’amour, de haine, d’amitié et de regret. À l’image de son héros, Tyrannosaur est une œuvre terrifiante. Pour son réalisme, pour l’émotion déchirante qui s’en dégage et pour son propos. Parcouru de scènes coups de poing (parfois au sens propre et parfois au figuré, à l’image de la cérémonie dans le pub, qui entretient la boule dans la gorge), Tyrannosaur introduit un réalisateur qui pourrait bien devenir grand. À moins qu’il ne le soit déjà…

Les festivals qui ont noyé le film sous les récompenses (aux Bafta -meilleur film, meilleur réalisateur pour un premier film et meilleure actrice- et à Sundance -meilleure réalisateur, meilleur acteur et meilleure actrice- notamment) ne s’y sont pas trompés.

@ Gilles Rolland

Crédits photos : Warps Films

Par Gilles Rolland le 30 avril 2012

Déposer un commentaire

S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires