[Interview] DELIRIUM TREMENS (Part. 2) : Maximilien Poullein

DOSSIERS INTERVIEWS | 18 février 2012 | 3 commentaires

Nous vous présentions, il y a une petite semaine, le projet cinématographique de Mehdi Belhadj, un jeune réalisateur. Au fil d’une interview, Mehdi Belhadj nous a présenté son film, Delirium Tremens (pour lire l’interview cliquez ici). Aujourd’hui c’est au tour de l’acteur principal du long-métrage, Maximilien Poullein de répondre à nos questions.

Dans Delirium Tremens, Maximilien Poullein incarne Gabriel, un peintre alcoolique et agoraphobe dont les nuits sont peuplées de nombreux (et affreux) cauchemars. C’est alors que Nina, une amie, tente de sevrer le jeune homme afin de le sortir de sa détresse. Un sevrage qui déclenche une série de transes durant lesquelles Gabriel peint le portrait de jeunes femmes bientôt retrouvées violées et assassinées…


“Delirium Tremens”, bande-annonce #1 (2011) par MaxPoullein

Il y a des rencontres comme celle-là… Croisé au hasard du net, au fil de débats passionnés sur le septième-art, le très sympathique Maximilien Poullein m’a non seulement permis de découvrir le projet Delirium Tremens, mais m’a également mis en contact avec Mehdi Belhadj. Tous deux incarnent la jeune garde d’un cinéma français plus dense et complexe que les médias veulent bien nous le laisser croire. Au delà des comédies potaches et des grosses sorties, il y a des artistes qui, tous les jours, vivent leur passion pied au plancher. Habité par son métier, Maximilien Poullein a gentiment accepté de se livrer avec beaucoup de générosité au cours d’une interview. Une excellente occasion de faire connaissance avec un comédien cinéphile à la verve passionnante. On y parle de Delirium Tremens et de son rôle dans le film bien sûr, mais aussi du grand Nicolas Cage, d’Arnold Schwarzenegger,  du métier de comédien et de bien d’autres choses…

Histoire que nos lecteurs puissent faire ta connaissance, peux-tu te présenter et notamment nous expliquer comment tu es arrivé à embrasser la carrière d’acteur ?

Salut Gilles et salut les lecteurs. Alors, je m’appelle Maximilien Poullein (ça se prononce “poulène” ou “pouléïne” mais pas “poulin” ^^) et je suis un acteur français de 28 ans, né à Lille. Les origines de ma vocation remontent à loin, quand j’avais 10 ans et que j’ai découvert le jeu par une initiation au théâtre en milieu scolaire. Celle-ci s’est conclue par une représentation de César de Pagnol dans laquelle je jouais le rôle-titre et le public a plutôt bien accroché (bon, tu me diras, c’était des parents d’élèves donc j’imagine que même ceux qui s’emmerdaient n’allaient pas nous huer et nous balancer des tomates…) Dans le public, il y avait ma mère et elle pleurait. Et pour une fois que je ne faisais pas pleurer ma mère à cause de mon caractère pour le moins hyperactif de l’époque, je me suis immédiatement dit que générer des émotions chez autrui tout en “s’amusant” était un beau moyen de gagner sa vie. Du coup, j’ai continué le théâtre au fil des ans, par le biais de compagnies et de cours dans le cadre scolaire jusqu’à l’université Lille 3, où je suivais des études d’anglais pour assurer mes arrières et où j’ai rejoint la compagnie de théâtre anglophone, ce qui s’est avéré plaisant et très utile, le jeu en anglais étant relativement différent et plus ouvertement rythmique. Quoiqu’il en soit, paradoxalement, je ne suis pas exactement féru de théâtre, mon but ayant toujours été de travailler dans le cinéma, mon vrai secteur de prédilection, ce que je m’efforce de faire depuis quelques années maintenant.

Comment es-tu arrivé sur Delirium Tremens ?

En fait, j’avais rencontré Mehdi Belhadj, le réalisateur, sur le tournage de La Horde où nous faisions partie des 300 et quelques zombies utilisés dans le film. C’était une réunion de passionnés de films de genre – étant donné qu’aucun d’entre nous n’était payé et qu’on était tous là pour participer à un vrai film de zombies tricolore, entreprise rare et isolée. Bref, donc, parmi les zombies, beaucoup de fans de genre, mais également de scénaristes, de jeunes réals ou d’étudiants en cinoche pas trop portés sur le cinéma d’auteur à la française… dont Mehdi. Le hasard a fait que nous avons bien accroché et que nous avons gardé le contact. Plusieurs mois plus tard, Mehdi avait été invité à l’avant-première de La Horde, comme tous les zombies, et, n’étant pas de Paris, il en avait profité pour rapporter des DVD de ses courts dans l’espoir de les refiler à certaines personnes. Après cela, il lui en restait quelques-uns et avec Jimmy Philémond-Montout, un ami commun (et cher collaborateur), nous sommes tous retournés chez moi pour un petit café et nous avons regardé ses courts. L’un d’entre eux, Piégée, était bluffant : Mehdi avait emballé une sorte de torture-porn dramatique extrêmement viscéral malgré ses petites imperfections (dues essentiellement à un budget quasi inexistant) et dans lequel son sens inné de la mise en scène et de l’adaptation aux conditions de tournage difficiles crevaient les yeux. Du coup, je lui ai tout de suite fait part de mon envie de bosser avec lui à l’occase… Et cette occase s’est présentée un an et demi plus tard, en juillet 2011, quand Mehdi avait goupillé le scénar de Delirium Tremens qu’il s’apprêtait à tourner avec un tout petit budget et une grosse envie de réaliser un long qui ait de la gueule et qu’il m’a proposé le rôle principal. Ce n’est pas dans mes habitudes de refuser de bosser avec un bon réa quand on me le propose, donc l’accord a très vite été scellé.

Dans Delirium Tremens, tu incarnes un homme torturé et alcoolique. Nous savons combien le fait d’aborder ce genre de personnalité peut s’avérer casse-gueule au cinéma. Comment as tu appréhendé le rôle ? 

En effet, je t’avoue que les composantes du rôle de Gabriel m’ont pas mal angoissé, de prime abord : peur de tomber dans le pathos, de forcer le trait, etc, etc… Comme on ne pouvait pas se voir avec Mehdi pour se faire des lectures du scénar ensemble (il habite dans le Limousin et moi à Paris), on a pas mal communiqué en amont du tournage – qui avait lieu environ un mois après – par téléphone et par mail. J’ai été rassuré de constater que Mehdi et moi concevions le personnage de la même manière : Gabriel est agoraphobe, alcoolique et quasi insomniaque mais on ne voulait pas que ce soit un festival de surjeu. D’autant qu’il apparaît très tôt, dans le script, que Gabriel est avant tout un mec complètement paumé, dont les yeux trahissent le mal-être, notamment. Nous avons donc beaucoup travaillé là-dessus : le regard, la tension des traits du visage et ce que tout ça exprime. Le fait d’avoir abordé très tôt les tenants et aboutissants du perso nous a décidés, Mehdi et moi, d’opter – sans jeu de mots – pour la plus grande “sobriété” possible. Finalement, tous les alcooliques (les plus jeunes, surtout) ne parlent pas avec une élocution pâteuse. Chez certains, il est même extrêmement difficile de déceler une quelconque forme d’alcoolisme. On a donc gardé ça à l’esprit. D’autant que Gabriel reste quelqu’un d’extrêmement lunatique, difficile à saisir, susceptible de passer d’un extrême à l’autre, ce qui offre déjà quelques scènes bien barrées dans lesquelles mon interprétation s’adapte à une ambiance résolument “What the Fuck?!!”.

Je crois savoir que tu aimes particulièrement le travail de Nicolas Cage. Il est d’ailleurs permis de penser que ton rôle dans Delirium Tremens aurait pu tout à fait être tenu par Cage.
Te sens-tu proche de la démarche de l’acteur ?

Ah, ah, ah !!! ^^ C’est vrai, j’adore Nic Cage. Tant pour ses qualités que pour son goût manifeste du cabotinage auquel on a tendance à le réduire depuis quelques années : Cage, personnellement, je trouve que c’est un cabotin formidable, à la manière du Jack Nicholson de la grande époque. Mais là où tout le monde vénère Nicholson pour ça, presque tout le monde chie systématiquement sur Cage pour la même raison. Alors, oui, c’est vrai que depuis quelques années, avec son divorce qui lui coûte les yeux de la tête, il a tendance à enchaîner les projets à la qualité parfois discutable et de se consacrer aux produits vite emballés, sympas à regarder et aussitôt oubliés. Mais bon, premièrement, ça revient à oublier que ce mec a aussi été bouleversant dans Leaving Las Vegas de Mike Figgis, extrêmement juste et touchant dans Les Associés de Ridley Scott, glaçant de cynisme dans Lord of War d’Andrew Niccol et carrément iconique dans Sailor et Lula de David Lynch. Merde, une carrière comme la sienne, j’en veux bien, moi ! Et deuxièmement, même dans ses derniers, y’a des fleurons de la série B ou du film inclassable (Hell Driver de Patrick Lussier, Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle-Orléans de Werner Herzog…) Ouais, j’adore Cage ! Et c’est vrai que le rôle de Gabriel dans Delirium Tremens aurait pu s’incorporer sans mal, par certains aspects, au reste de sa carrière… mais bon, pour ce qui est de la sobriété que je t’évoquais avant et à laquelle Mehdi tenait, je crois qu’il aurait pu s’asseoir dessus. Donc, si ce n’est que le tournage de Delirium Tremens, avec ses huit jours et ses 15 à 18 heures quotidiennes de travail en moyenne, peut évoquer le planning traditionnel du neveu Coppola et m’a forcé à rester constamment dans l’énergie, comme j’imagine que c’est le cas pour lui, pour ce rôle précis, je ne suis pas sûr d’avoir appliqué la méthode Nic Cage.

Tu affirmes volontiers ton attachement à Delirium Tremens et à son réalisateur Mehdi Belhadj…

Oui, je défends ardemment Delirium Tremens. Premièrement, parce que je crois fermement que malgré son tout petit budget, Mehdi et son équipe (pourtant réduite au strict minimum) ont réussi à mettre sur pied une très bonne histoire, flippante, sensible et surprenante, et que Mehdi a réussi, au détour de certaines scènes, de relatifs tours de force tant visuels que thématiques. Et puis, j’ai envie de défendre toute la philosophie qu’il y a derrière, ce côté : “J’ai pas beaucoup de thunes mais je veux réaliser mon premier long, parce que je déborde d’idées et j’en ai marre d’attendre qu’une prod’ daigne s’intéresser à moi. Ce budget, il est tout petit mais j’ai pas besoin de plus pour bien raconter mon histoire.” Ça me touche parce qu’en tant que jeune acteur français, je galère souvent pour bosser, et je suis soumis aux mêmes problèmes. Alors, quand un réal qui a des choses à raconter, qu’il sait comment et pourquoi, qu’il veut me faire participer à son aventure, et que j’ai le plaisir de constater, durant tout le tournage que les plans ont de la gueule, que les lumières sont soignées, que les maquillages rendent à mort et que tout le montage est déjà pensé à la seconde près… ouais, je suis fier de participer à ce genre de projets. Tu auras donc compris que notre collaboration avec Mehdi m’a rendu très sincèrement enthousiaste et j’encourage désormais certains jeunes réals à ne pas attendre de choper un million et des stars pour tourner leur premier long. Beaucoup de grands réalisateurs et de grands acteurs ont commencé tout petit, dans le mépris et l’anonymat. Et maintenant, Scorsese, Coppola, De Niro, Pacino… ça parle à tout le monde. Bref, on n’en est pas là – et on est en France, avec tout ce que ça implique – mais si on veut effleurer l’espoir de n’accéder ne serait-ce qu’à la moitié ou au quart de ce genre de carrière, il faut arrêter d’hésiter, à un moment. S’il y a des idées, le talent pour les concrétiser malgré un budget anémique et qu’un film aux qualités certaines en naît, ça ne laissera pas indifférent et ce ne sera pas une perte de temps, de toute façon.

Delirium Tremens est donc un huis-clos. Ta partenaire et toi êtes les seuls comédiens à porter l’intrigue sur vos épaules. De quoi accentuer un peu la pression non ?

Pas faux. Bon, pour être tout à fait honnête, la nature de l’intrigue fait que trois autres personnes apparaissent à l’écran. Rapidement, certes, mais leur présence est primordiale. Cependant, il est vrai que Prisca et moi sommes les seuls à avoir du texte à défendre et à avoir dû nous impliquer émotionnellement. Alors, c’est sûr, c’est un challenge et la solidité de l’intrigue, l’immersion du spectateur, vont reposer en bonne partie sur nous. Ça calme un peu, je ne te le cache pas. Mais ce sont les règles du jeu. Je crois que ça ne sert pas à grand chose de s’angoisser pour ça, quoi qu’il en soit : aucun film ne fait l’unanimité, même parmi les chefs-d’œuvre du cinéma. Il y a toujours des gens pour être sensibles à un film, et d’autres pour passer à côté ou le détester. Tant que Delirium Tremens est distribué, vu, que des gens censés l’apprécier s’y retrouvent, que ce soit grâce à la mise en scène, nos interprétations ou les deux, on le vivra comme une réussite.

Je crois savoir que tu es aussi musicien, et que tu dois, avec ton groupe Kino Cold, composer des morceaux pour le film. Dis-nous en plus…

En effet. Il s’agit essentiellement de composer une chanson utilisée dans l’une des scènes du film. Ce ne sera pas exactement dans le style auquel Shane (mon beau-frère et partenaire musical dans Kino Cold) et moi avons l’habitude de nous frotter dans ce projet, relativement récent et habituellement pétri de New Wave, post-punk, dark folk, etc, etc… mais il s’agira d’un joli titre dont l’intérêt est de faire ressortir la sensibilité d’une très belle scène du film, que le chef-op’, Samy Kim, avait baptisée “notre scène de poterie à la Ghost.” A l’heure où je te réponds, on ne devrait plus tarder à s’y mettre avec Shane. Et, en fonction de ce qui est prévu par Mehdi, on composera peut-être un thème pour le générique de fin, si ça n’empiète pas sur le territoire de Yohan, le frère de Mehdi, qui compose l’ensemble de la musique du film.

Finissons par l’interrogatoire maison.

Ton dernier frisson au cinéma :

Si on parle de frisson d’effroi, Insidious de James Wan. Si on parle d’un frisson plus général, Shame de Steve McQueen. Littéralement chamboulé par celui-là. Mais ma fibre cinéphile a été particulièrement excitée par Une Nuit de Philippe Lefèbvre, récemment. Un vrai bon polar dramatique français à l’ancienne.

Ta devise :

“Les avis, c’est comme les trous du cul… Tout le monde en a un.” (Entre autres, hein, mais j’ai souvent l’occasion de l’utiliser, celle-ci.)

Ton modèle :

Un seul ??? Ça va être dur… Disons Tarantino : il est parti de rien, n’a jamais lâché prise, ne s’est jamais vendu, a imposé ses idéaux cinématographiques… et il est au sommet maintenant. Ça force le respect.

Le pire des navets :

Une fois encore… Un seul ? Je sais pas… J’hésite entre plusieurs. Peut-être “Coco” ou “Rien à déclarer”, tiens. Je n’arrive pas à comprendre comment on peut claquer autant de blé dans des scénars aussi ineptes, qui misent tout sur un effet de mode. La comédie pas drôle, c’est peut-être le pire de tous les ratages.

Ton musicien/groupe préféré :

Pulp, probablement (mais bon, y’en a un paquet que j’adore.)

Le film que tu affirmes détester mais que tu aimes en secret :

Si j’affirme détester un film, généralement c’est le cas. Par contre, j’avoue ne jamais dire trop fort que j’apprécie Batman & Robin de Joel Schumacher malgré son indéniable statut de grosse bouse. Mais c’est comme ça : Schwarzie, c’est mon héros d’enfance et il a gardé une place spéciale dans mon cœur… Je lui pardonne tout.

Le film que tu revoit encore et encore :

Jusqu’ici Kill Bill. Mais d’ici peu, Drive risque de prendre du galon dans mon lecteur.

Ton héros de cinéma :

Bon, puisqu’il ne faut en choisir qu’un, Schwarzenegger en T-800 dans Terminator 2. J’avais six ou sept ans, j’attendais ce film comme le Messie et j’ai pu le voir un dimanche en famille au cinéma. J’en suis revenu avec des étoiles dans les yeux. Mais, pareil, c’est super dur de n’en donner qu’un.

Merci beaucoup Maximilien d’avoir accepté de te prêter à l’exercice périlleux de l’interview. Le mot de la fin est pour toi !

Merci à toi, Gilles, pour l’intérêt que tu portes à notre film et à tous ceux qui lisent les articles que tu y consacres. Le mot de la fin ? “Succès”, parce que j’en souhaite à Delirium Tremens et à On Rembobine.fr. 😉

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

@ Propos recueillis par Gilles Rolland

Par Gilles Rolland le 18 février 2012

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[…] l’interview de Maximilien Poullein (l’interview est désormais en ligne. Cliquez ici pour la lire) […]

Samy K.
Samy K.
12 années il y a

ah la scène typé “Ghost”…si tu savais comment elle rend trop bien après le montage !…malheureusement, il va falloir trouver une musique autre que Unchained Melody, snifffffff

Maximilien Poullein
Maximilien Poullein
12 années il y a

Samy, c’est pas plus mal de devoir utiliser un autre thème qu’ “Unchained Melody”… Personnellement, tu nous l’as tellement mise sur le tournage que je me sens incapable de la ré-écouter à vie… 😉