[Critique] THE DARK KNIGHT, LE CHEVALIER NOIR

STARVIDEOCLUB | 18 juillet 2012 | 1 commentaire

Titre original : The Dark Knight

Rating: ★★★★★ (moyenne)
Origine : États-Unis
Réalisateur : Christopher Nolan
Distribution : Christian Bale, Heath Ledger, Aaron Eckhart, Maggie Gyllenhaal, Michael Caine, Gary Oldman, Morgan Freeman, Ron Dean, Cillian Murphy, Chin Han, Eric Roberts, Michael Jai White, William Fichtner, Nestor Carbonell, Ritchie Coster…
Genre : Action/Thriller/Saga/Adaptation
Date de sortie : 13 août 2008

Le Pitch :
Depuis que l’ombre de Batman plane sur Gotham City, les criminels se voient forcés de faire profil bas. Avec l’appui du lieutenant de police Gordon et du procureur Harvey Dent, Batman continue son combat contre la corruption. Cependant, un nouveau caïd fait son apparition et s’impose dans la pègre par la violence. Celui qui se fait appeler le Joker met alors au défi l’Homme chauve-souris…

La Critique (Gilles) Rating: ★★★★★ :
Le succès ahurissant de The Dark Knight rassure. Il rassure, car il prouve que le grand public sait apprécier les paris risqués. Qu’il ne se complait pas dans le grand spectacle creux et que quand on lui propose une œuvre dense, sombre et complexe, il répond présent. Jusqu’à ce qu’Avengers débarque, The Dark Knight était ainsi le troisième plus gros succès de tous les temps au box office américain. Actuellement, il se situe à la douzième position au niveau mondial, derrière des longs-métrages comme Avatar (1er), Titanic (2ème), Avengers (3ème) ou encore Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi (6ème). The Dark Knight a entériné la démarche novatrice entamée par Christopher Nolan avec Batman Begins et le public a plébiscité cette démarche.
Il faut dire, que nous avons ici affaire à un grand chef-d’œuvre. À ce jour (le 18 juillet, The Dark Knight Rises sort dans quelques jours, à l’heure où cet article est publié), il s’agit de la meilleure et plus pertinente adaptation d’un comic book au cinéma. Ni plus ni moins.

Contrairement à la logique hollywoodienne (mais pas seulement) qui veut qu’une suite soit encore plus spectaculaire que son prédécesseur, The Dark Knight ne joue pas la surenchère. Pas directement du moins, car si le film apparaît bien comme plus ambitieux et lyrique que Batman Begins, il n’aligne pas les cascades et les explosions, dans le seul but de montrer au plus grand nombre à quel point son budget est conséquent. Nolan ne joue pas à qui a la plus grosse et son film, dans cette logique, n’est pas une démonstration de force outrancière. Au final, la baffe n’en est que plus intense.
The Dark Knight tient tout d’abord à raconter une histoire. Il colle de près à la fin de Batman Begins qui laissait présager la future intervention du Joker. Les frères Nolan et David S. Goyer ont écrit un script malin, qui s’intègre parfaitement à la mythologie du premier épisode. C’est la suite logique. Le Joker se devait d’apparaitre et son arrivée, en plus d’être totalement pertinente, coule de source après les évènements survenus précédemment. Même L’Épouvantail est là, en début de métrage, comme pour faire le trait-d’union entre les deux intrigues. Niveau gadget et tenues c’est la même chose. L’évolution est perceptible mais pas tape à l’œil. Il y a toujours cette incroyable Batmobile, qui se transforme en moto. Le costume change pour devenir plus compatible avec une plus grande amplitude de mouvements. La rupture est bien négociée. Fini le manoir (il brûle à la fin de Batman Begins), Bruce Wayne vit désormais dans un appartement géant, avec sous-sol aménagé en Batcave. Le ton est plus moderne et urbain, mais rien ne sonne comme un laboratoire farci de gadgets improbables comme en regorgent les James Bond. Seul peut-être le stratagème final, qui consiste à transformer tous les téléphones portables de Gotham en micros afin de repérer le Joker, sonne comme un poil too much. Mais la chose étant bien amenée, cela ne choque pas le moins du monde.
Dans The Dark Knight comme dans Batman Begins, les gadgets et tout l’attirail de Batman ne supplantent jamais les capacités physiques du héros, qui reste, sous son costume en kevlar, un homme.
Le réalisme est toujours à l’ordre du jour. Aucun compromis n’a été fait par Nolan, qui garde le contrôle sur son œuvre et poursuit son projet avec un aplomb admirable.

Plus que jamais, The Dark Knight questionne la condition fondamentale du héros. Batman incarne la justice de l’ombre, à la limite de la légalité, car il considéré par beaucoup comme un électron libre peu fiable. Il y a ensuite Gordon, l’un des seuls policiers intègres, qui continue sa croisade contre le mal. Enfin, il y a Harvey Dent, le chevalier blanc, qui œuvre pour le bien, en brandissant le code pénal. Le futur Double Face qui incarne les noirs desseins du Joker qui, de son côté, s’impose comme l’autre versant du héros. Harvey Dent, qui testera à ses dépends les limites d’une dévotion pour la justice qui, quelque fois, comme le souligne le film, peut outrepasser les frontières de la raison humaine.
Un Joker fantastique, incarné avec une justesse spectaculaire par un Heath Ledger habité. On aurait pu craindre que le simple fait de passer après Jack Nicholson (qui incarnait le Joker dans le Batman de Tim Burton) n’oblige Ledger a repousser les limites du cabotinage, mais non. Il n’en est rien. Son Joker est différent de celui de Nicholson. Il se fond dans la tonalité générale. Sombre, plus sérieux, il incarne un humour réellement noir, jusqu’à en être dérangeant. La folie personnifiée assortie d’une intelligence stupéfiante, font du Joker le méchant ultime pour ce genre de film. Chef d’orchestre d’une machination visant à déboulonner le statut iconique de héros de Batman, le Joker se pose comme l’un des badguys les plus réussis du cinéma moderne. Pas besoin de tergiverser trois heures pour arriver à de telles conclusions. La performance du regretté Heath Ledger relève du génie. Lui qui a, à juste titre, remporté l’Oscar du meilleur second rôle pour son incroyable prestation.

Beaucoup de réalisateurs auraient privilégié un tel méchant, reléguant les autres personnages au second plan, tout comme beaucoup de comédiens auraient certainement été écrasés par le poids d’un numéro d’acteur aussi impressionnant. Dans The Dark Knight rien de tout cela. Tout le monde est logé à la même enseigne et d’une manière ou d’une autre, tout le monde existe. C’est l’une des grandes forces de Nolan : arriver à donner de la substance à tous ses seconds rôles. Des seconds rôles pour certains surprenants, qui dénotent là-aussi d’une envie d’envoyer balader la bien-séance hollywoodienne. Ainsi, on retrouve ce vieux briscard d’Eric Roberts, lui qui se fait rare habituellement, ou encore le gros bourrin bodybuildé Michael Jai White, parfait en mafieux dominant. Nolan a cuisiné sa distribution avec classe et goût. Même Maggie Gyllenhaal reprend avec brio le rôle laissé par une Katie Holmes sous la coupe des scientologues. Son absence est vraiment regrettable, mais la sœur de Jake s’en sort bien et arrive à faire oublier ce remplacement un poil contrariant. Tous les autres reprennent donc du service. De Morgan Freeman à Michael Caine, en passant par Gary Oldman, décidément formidable dans les sapes de Gordon.
Christian Bale, quant à lui, tient bon face au géant Ledger. Son Batman s’enfonce dans les méandres de mécanismes profonds et torturés. Batman morfle, tout comme Bruce Wayne, qui semble plus que jamais avoir du mal à tenir son statut public de playboy irresponsable. La réflexion portée par le personnage à double facette de Bale touche en plein cœur.

On retrouve rapidement ses marques lorsqu’on pénètre dans le territoire du Dark Knight. L’ampleur de la mise en scène est décuplée et certaines séquences collent d’emblée la chair de poule. À l’image de celle du braquage, clin d’œil direct à Heat de Michael Mann, ou à celle où le joker, qui après s’être évadé du commissariat (évasion spectaculaire d’ailleurs), sort la tête hors de l’habitacle de la voiture pour humer l’air du soir.
La réalisation de Nolan, est en plus en adéquation totale avec les partitions de Hans Zimmer et de James Newton Howard. Les deux chefs-d’orchestre tissent une musique complexe, adaptée à l’évolution de Batman et aux personnages. Un travail d’orfèvre plein de souffle qui colle à la caméra virevoltante de Christopher Nolan.
Non mais sérieusement, quel chef-d’œuvre ! The Dark Knight vole très haut. Il prend au sérieux le mythe auquel il s’attaque, prend soin de poser une ambiance, est d’une méticulosité troublante et d’une noirceur abyssale.
Monument crépusculaire et torturé culte, The Dark Knight est une œuvre phare. Un pamphlet adulte qui en met plein les yeux et qui serre le cœur. Un film incroyable qui s’apparente à une tragédie moderne où tous les protagonistes sont pris dans une danse viscérale, où les certitudes volent en éclat, où la notion de sacrifice trouve toute sa valeur, et où le combat du bien contre le mal prend des apparences inattendues.
Christopher Nolan est un génie. Il le confirme ici et quoi qu’il arrive, on ne pourra jamais lui enlever ça. Son Dark Knight est un chef-d’œuvre. Et si Avengers incarne la quintessence du cinéma de super-héros fun, coloré et divertissant, The Dark Knight personnifie l’exploration torturée des mêmes thématiques. Deux versants d’une même pièce en quelque sorte. Et ce n’est pas Double Face qui dirait le contraire…

@ Gilles Rolland

La Critique (Daniel) Rating: ★★★★★ :
Batman n’est plus qu’une histoire de comics. The Dark Knight est un film de super-héros qui dépasse ses origines pour devenir une sombre tragédie. Après l’excellent Batman Begins, Christopher Nolan confirme – comme si c’était nécessaire – qu’il est bien un digne repreneur des rênes cinématographiques de la saga chauve-souris. Avec ce deuxième volet, il enfonce définitivement le clou, en proposant une œuvre sombre à souhait, élégamment filmée, et magistralement interprétée, qui permet au nouveau monde réaliste de Batman de s’agrandir et d’évoluer, s’aventurant dans des territoires à la noirceur et à la profondeur inquiétantes. Comme l’a fait Iron Man, le film de Nolan redéfinit les possibilités des super-héros au cinéma.

The Dark Knight n’est pas un simple conte du bien et du mal. Certes, Batman est gentil, et certes, le Joker est méchant. Mais le Chevalier Noir est à présent un personnage plus complexe que d’habitude : la ville de Gotham est en ébullition, le traitant de justicier qui fait respecter la loi à sa façon, et l’accusant de crimes contre les citoyens et la police. Et le Joker est plus qu’un méchant. C’est carrément une incarnation de Méphistophélès, dont les actions diaboliques sont spécifiquement planifiées pour poser des dilemmes moraux à ses adversaires.

Comme son prédécesseur, l’œuvre de Nolan est fondamentalement un film d’art et d’essai aux allures de blockbuster. Au souffle épique et spectaculaire, et au scénario étrangement poétique (qui concerne plus ou moins les tentatives du Joker à humilier les forces du bien et à exposer la croisade anticriminelle de Batman comme une duperie), The Dark Knight est néanmoins avant tout un film d’idées, qui s’interroge sur l’identité : un thème récurrent dans le travail du cinéaste, se concentrant ici sur le procureur Harvey Dent, dont le destin tragique qui le transforme en monstre cruel, permet à Nolan d’explorer les perceptions du personnage.

Au centre de tout cela se trouve le Joker. On a beaucoup écrit sur la prestation inoubliable du tant regretté Heath Ledger, mais il serait inutile de comparer l’acteur à l’interprétation de Jack Nicholson, ou même à celle de César Romero (de la série des années 60). Toutefois, ce que Ledger fait avec le personnage est carrément transcendant. Méconnaissable sous un maquillage très ressemblant à celui de L’Homme qui rit, son Joker est malgré les apparences, un homme assez sérieux. Il emploi les paroles d’un anarchiste et les méthodes d’un terroriste, mais incarne le chaos à l’état pur, n’ayant d’autre but que de détruire pour le seul plaisir de détruire, et reste par-là aussi insaisissable qu’Al Capone. Et passablement terrifiant. À travers le film, ce clown meurtrier invente des situations ingénieuses pour obliger Batman, le Commissaire Gordon et Harvey Dent à faire des choix moraux impossibles, notamment un plan machiavélique vers la fin du film où il invite les passagers de deux bateaux à faire sauter leurs semblables, pour éviter une mort explosive. Et lorsque The Dark Knight se termine, même la fondation morale de la légende de Batman voit son existence menacée.

Chris Nolan a un talent énorme à sa disposition, et c’est la puissance des acteurs qui empêche les effets spéciaux incroyables de son œuvre d’éclipser ses personnages. Le film met en scène des individus attachants, fascinants, dérangeants, tous fidèles au ton fixé par le premier volet, et les drames qui les impliquent sont émouvants. Aaron Eckhart en particulier, fait du très bon boulot en tant qu’Harvey Dent, un homme déterminé à bien faire, mais indécis. Maggie Gyllenhaal remplace Katie Holmes avec diligence dans le rôle de Rachel Dawes. Christian Bale est toujours excellent en Bruce Wayne, (même s’il force un peu trop sur les graves avec Batman) et montre une énergie comparable à celle d’Al Pacino. Et le film accueille une nouvelle fois Morgan Freeman et Michael Caine, comme de bons vieux amis pour interpréter Lucius Fox et Alfred, deux personnages secondaires qui sont cruciaux à l’action. Mais le meilleur du lot reste Gary Oldman, qui joue Gordon. Discret, subtil, crédible, sous-estimé, il est finalement un peu perdu dans l’ensemble du film, mais parvient à bâtir le portait d’un homme qui incarne remarquablement la vertu et l’autorité, mais qui cache également un doute profond.

De tous les films de Nolan, The Dark Knight est son premier long-métrage strictement linéaire, puisque d’habitude, son travail se distingue par des montages non-chronologiques, mettant souvent le passé en parallèle avec le présent (comme avec Le Prestige), pour jouer des tours au spectateur. Et si Batman Begins avait fait un bel usage de flashbacks pour expliquer les motivations des personnages, ici le cinéaste mise surtout sur les dialogues, privilégiant la complexité psychologique du Joker, qui prend le temps de décrire les dilemmes qu’il a présenté et d’en expliquer les raisons. Le conflit entre Batman et le Joker est essentiellement un conflit d’adultes, traumatisés par leur passé. L’un compense en essayant de faire le bien, l’autre en essayant de faire le mal.

Entre hommage aux thrillers paranos des 70’s et parabole sur l’obsession sécuritaire américaine, le récit criminel qui sévit à travers le long-métrage a toute l’authenticité des Infiltrés. À l’aide de superbes scènes d’action (braquages de banques, course-poursuite à travers les rues, prises d’otages…) qui surviennent naturellement et non par nécessité, Nolan navigue élégamment à travers son labyrinthe narratif de moralité pour raconter la chute d’un héros. Le premier opus voyait Batman chercher sa volonté et sa force intérieure pour sauver Gotham ; ici, on parle plutôt des sacrifices qu’il devra faire pour réussir.
Le cinéaste fait exprès de valoriser l’héroïsme du Chevalier Noir (notamment lors d’une excursion extravagante à Hong Kong) pour donner des faux espoirs au spectateur. Espoirs qu’il s’amuse ensuite à marteler de pessimisme, d’oppression et d’antagonisme. L’aventure intense de l’homme chauve-souris n’est pas sans dommages collatéraux, ni victimes. Et lors d’un acte final sensationnel, un angle ingénieux de « retournement de caméra » donne l’impression que la ville de Gotham a définitivement été bouleversée.

On peut également remarquer des nuances presque explicitement politiques. Le film entraîne les incarnations remaniées de Batman et du Joker hors de la dynamique « ordre et chaos » qui caractérise leur relation, et vers des allégories d’actualité. Les attentats du Joker, son interrogation par Batman, la transformation illégale de téléphones portables en micros et les idéologies radicales des personnages, ont des connotations vagues mais néanmoins interprétables sur les lois anti-terroristes d’une culture américaine encore marquée par la tragédie du 11 septembre.

Quelque-chose de fondamental a changé parmi les sommets du cinéma super-héroïque. The Dark Knight rehausse les possibilités du genre à un niveau supérieur, jonglant avec les thèmes de l’ordre et de la morale, les choix, l’anarchie, et les responsabilités individuelles, le tout dans un seul film. Le prodigieux Superman était le début. Spider-Man 2 représente l’apogée du film comic-book traditionnel. Un film comme Hellboy II donne carte blanche à un réalisateur pour ses visions fantastiques. Mais Iron Man et d’autant plus la trilogie de Nolan, amènent le genre dans des eaux plus troubles. Ils ont compris, comme certains des lecteurs de comics, que de telles histoires évoquent des craintes, des traumatismes, des fantaisies et des espoirs. Et la légende de Batman, ses origines bien fondées dans les films noirs, est l’une des histoires les plus dignes d’être explorées. Les super-héros ont grandi. Désormais, ils pourraient bien être la mythologie grecque du 21ème siècle.

Christopher Nolan a non seulement démonté et rebâti l’univers de Batman, mais aussi tout un genre, vidant consciemment le concept même du super-héros costumé de sa malice et de son angélisme autant que possible, sans abandonner l’essentiel. Le but étant de trouver quelque-chose de différent parmi ce qui reste. The Dark Knight est l’une des grandes références. Un coup de maître. Un chef d’œuvre.

@ Daniel Rawnsley

Crédits photos : Warner Bros.

Par Gilles Rolland le 18 juillet 2012

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