[Critique] BOY ERASED
Titre original : Boy Erased
Origine : États-Unis
Réalisateur : Joel Edgerton
Distribution : Lucas Hedges, Nicole Kidman, Russell Crowe, Joel Edgerton, Flea, Joe Alwyn, Xavier Dolan, Troye Sivan, Britton Sear…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 27 mars 2019
Le Pitch :
Élevé dans la foi chrétienne par un père pasteur et une mère dévouée, Jared Eamons décide d’un jour dévoiler à ses parents son homosexualité. Craignant d’être rejeté par les siens, effrayé par ses sentiments et écrasé par la culpabilité, il accepte d’être envoyé dans un centre spécialisé dans la thérapie de réorientation sexuelle. Histoire vraie…
La Critique de Boy Erased :
Joel Edgerton, le réalisateur, passe la seconde. Après s’être fait la main sur son premier film, le thriller un peu maladroit The Gift, le voilà qui aborde un sujet autrement plus délicat et sensible, en adaptant l’histoire de Garrard Conley. L’auteur de Boy Erased : A Memoir of Identity, Faith and Family qui fut jadis envoyé par ses parents dans un camp spécialisé dans les thérapies visant à « traiter » l’homosexualité. Des endroits qui existent d’ailleurs toujours aux États-Unis, que Conley a exposé au grand jour. Joel Edgerton lui, fait ici montre d’une maturité de cinéaste assez impressionnante et livre un film intense, déchirant, émouvant et bien sûr totalement édifiant…
Renoncement
Joel Edgerton fait preuve de beaucoup de nuances quand il s’agit d’exposer l’intimité de cette famille si croyante au moment où elle se retrouve devant une situation qui, pour le patriarche tout particulièrement, relève de la mise à l’épreuve. Nuances passant par les acteurs, tous remarquables. Lucas Hedges, au premier plan, confirme qu’il est bien l’un des jeunes acteurs les plus talentueux de sa génération. Tout en retenue, il exprime beaucoup de choses avec une belle économie de mots et se fait le vecteur d’une confusion de sentiments face à laquelle on ne peut rester indifférent. Nicole Kidman elle aussi est parfaite. Surtout dans la deuxième moité du film, quand son personnage se révèle et décide de passer au premier plan, s’opposant au père, pour sa part incarné par un Russell Crowe impressionnant dans un rôle à contre-emploi dont il maîtrise absolument toutes les inclinaisons. Sans oublier Joel Edgerton. Le réalisateur ayant tenu à interpréter le thérapeute censé ramener ces jeunes gens dans le « droit chemin » en utilisant des méthodes perverses et perturbantes. Le film voit aussi le retour à l’écran de Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers et acteur à ses heures, ici dans les frusques d’une figure d’autorité ambiguë, symbole à elle toute seule du malaise qu’un lieu comme ce camp de reconversion encourage. Tous œuvrent pour donner du corps à cette histoire solidement écrite et illustrée.
Acceptation
Véritable tragédie, Boy Erased raconte comment une organisation, sous couvert d’un discours en connexion directe avec l’idée qu’elle se fait de Dieu, broie des jeunes pour les conformer à une image considérée alors comme sacrée. L’une des premières scènes, puissamment éloquente, montre le pasteur incarné par Edgerton expliquer qu’un être humain est comme un billet de banque : on peut le plier, le déchirer, lui infliger de multiples « marques », il ne perdra jamais de sa valeur. Alors que la comparaison, par ailleurs particulièrement pertinente dans un pays où le dollar possède un pouvoir paradoxalement comparable à celui de la religion, fait pouffer dans l’assemblée, elle annonce tout ce qui va suivre. Ici, le lavage de cerveau n’est pas violent de prime abord mais n’en reste pas moins pervers. Les résidents de ce centre sont démontés pièce par pièce. Leur culpabilité étant le moteur d’un cursus malsain censé les transformer en parfaites brebis prêtes à procréer pour le bien de la communauté. Le sujet était casse-gueule. Surtout pour un réalisateur aussi peu expérimenté. Mais à l’arrivée, Boy Erased touche au vif. Le talent et l’acuité des comédiens, ainsi que la sensibilité accompagnant l’écriture pardonnant justement la patine un peu « indée » de l’image.
Affaire de famille
Derrière le parcours douloureux de ce jeune homme jamais vraiment à sa place se raconte une famille gangrenée par les non-dits. Le film parvenant à se montrer pertinent à la fois quand il s’intéresse à la relation du personnage principal avec sa mère, celle-ci étant plus ouverte et donc plus encline à faire preuve de compassion puis de compréhension, que quand il se focalise sur les rapports avec le père. La fin est en cela particulièrement émouvante… Récit d’une certaine Amérique, où les contradictions, nombreuses, ne sont jamais un problème tant qu’elles ne contredisent pas une parole divine brandie comme une menace suprême, Boy Erased parle de la peur d’être différent et des dégâts que peut occasionner un manque de communication. Il met à l’épreuve la famille, cette entité sacrée. Il souligne la violence dont certains religieux font preuve et met donc en exergue cette tendance à faire preuve de la plus abjecte hypocrisie quand vient le moment de se la jouer à la fois juge et bourreau au nom du Tout-puissant. Difficile de rester de marbre devant un tel film…
En Bref…
Joel Edgerton surprend par son acuité et sa maturité. Son film, non seulement écrit avec beaucoup de sensibilité, démontre aussi d’un réel investissement et donc d’une authentique application. Et si la mise en scène paraît ainsi parfois un peu trop « carrée », les acteurs, tous remarquables, se chargent de faire oublier les petits automatismes formels. Boy Erased s’impose ainsi avec douceur grâce à un discours fort. Surtout dans le monde d’aujourd’hui. Indispensable.
@ Gilles Rolland