[Critique] BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN
Titre original : Much Ado about Nothing
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Joss Whedon
Distribution : Amy Acker, Alexis Denisof, Clark Gregg, Fran Kranz, Jillian Morgese, Sean Maher, Nathan Fillion…
Genre : Comédie/Drame/Adaptation
Date de sortie : 19 janvier 2014
Le Pitch :
Le roi Leonato, seigneur de la Messine, reçoit son ami Don Pedro, qui revient victorieux d’une guerre contre son frère rebelle Don Juan, avec ses compagnons d’armes Benedict et Claudio. Pendant leur séjour, Claudio tombe amoureux de Hero, la fille du roi, tandis que Benedict se dispute passionnément avec Béatrice, la nièce du gouverneur. L’amour tendre entre Claudio et Hero pousse Don Pedro à demander à Leonato d’arranger un mariage. Quelques jours avant la cérémonie, avec l’aide de ces derniers, il tente de duper Benedict et Béatrice pour qu’ils tombent amoureux. Pendant ce temps, le vilain Don Juan prépare un complot contre l’heureux couple, utilisant sa propre forme de tromperie pour détruire ce projet mariage…
La Critique :
Les fans de Joss Whedon sont gentils. Les adorateurs joyeusement fanatiques de cet imprésario de la télé vous parleront longuement et généreusement de Buffy Contre Les Vampires, Firefly ou Dollhouse avec les mêmes manières que ces représentants d’organisations charitables qu’on croise parfois dans la rue. Ils semblent moins prétentieux et beaucoup plus inclusifs qu’un grand nombre de communautés modernes (surtout si on prend en compte les forums d’internet). Et Whedon lui-même s’y connaît niveau vannes. Ses dynamiques de groupe cinglantes étaient une vraie bénédiction lors de sa réalisation d’un petit film indépendant au budget minuscule appelé Avengers.
Dans le monde des fans, il est difficile d’être sceptique sans passer pour un rabat-joie. Ce qui nous amène à Beaucoup de Bruit Pour Rien, une petite adaptation rigolote de Shakespeare préparée à la va-vite par Whedon et son équipe télé habituelle pendant une pause d’une douzaine de jours après le tournage du magnum opus de Marvel. C’est carrément ce qu’on peut appeller du travail fait-maison, puisque Beaucoup de Bruit Pour Rien (Much Ado About Nothing en anglais) a été filmé dans la baraque de Whedon en Californie. Son esprit est louable ; pourquoi ne pas décompresser après avoir bossé grave sur un gros blockbuster en invitant tous ses vieux potes chez soi pour s’amuser avec la pièce la plus drôle du poète national de l’Angleterre ?
Le problème, c’est que le film est naze. Indifféremment photographié en noir et blanc numérique avec une sale qualité de caméscope, Beaucoup de Bruit Pour Rien enfourne des quantités massives de pentamètres dithyrambiques dans les bouches d’acteurs télé de troisième zone dépourvus d’entraînement, dont la plupart semblent avoir appris leur texte phonétiquement. Il est évident que la plupart du casting n’a pas la moindre idée de ce dont il s’agit. La moitié de ces comédiens pourraient parler en elfique que l’on on n’aurait rien remarqué.
Pour ceux qui séchaient les cours de littérature ou bien ont manqué l’adaptation scintillante de 1993 avec Kenneth Branagh et Emma Thompson, Beaucoup de Bruit Pour Rien est une farce légère de chaises (ou de lits, dans ce cas) musicales et d’identités confondues, avec une « guerre joyeuse » entre les stars loufoques de la pièce, Béatrice (joliment interprétée par Amy Acker) et Benedict (l’épouvantable Alexis Denisof), qui badinent ensemble avec une animosité chamailleuse qui ne fait que cacher le véritable amour qu’ils ont l’un pour l’autre. Il y aussi l’affaire pas très savoureuse du frère bâtard du roi Leonato (Clark Gregg, l’Agent Coulson dans les films Marvel), qui essaye de convaincre tout le monde que la nouvelle épouse de son rival est une salope.
Se déroulant de nos jours avec tous les hommes du roi revêtus en uniformes des services secrets, Whedon et son Beaucoup de Bruit Pour Rien ne font pas grand-chose avec la mise à jour moderne, et le projet se casse la gueule dés le départ avec un prologue muet suggérant que la rivalité entre Béatrice et Benedict est le résultat d’une nuit de crac-crac qui a mal tourné. Whedon remplit le cadre avec des gamelles malencontreuses, essayant constamment de tout faire pour nous masquer les plaisirs du texte. Oh tiens, Benedict a mis un chapeau rigolo ! Oups, v’là Béatrice qui tombe dans les escaliers ! Regardez ces imbéciles, ils ont enfermé leurs clés dans la voiture !
Cela se résume à une bande de bouffons qui font les clowns, avec en bonus des pantomimes d’aventures sexy et des danses de bourrés. La prestation lourdingue de Denisof, qui en fait tellement des tonnes qu’il rappelle un âne bruyant qui s’est échappé de l’étable, est peut-être la chose la moins appréciable qu’on ait infligé aux écrits du Barde depuis Keanu Reeves. On s’attend presque à ce qu’il glisse sur une peau de banane. Shakespeare écrivait peut-être pour les masses, mais jamais le concept n’a été adopté dans d’aussi grandes lignes, tentant non pas d’accentuer les dialogues, mais de les cacher. La pièce est assez marrante en soi, les gars, pas la peine de faire des grimaces à la caméra et d’aller cogner vos têtes partout.
Whedon n’aide pas beaucoup. J-Man a toujours été le type qui endossait la charge du réalisateur pour garder le contrôle sur ses scénarios écrits, et sans sa propre prose sous la main pour guider comme un bon paternel, ses décisions artistiques sont motivées uniquement par la convenance. La laideur du monochrome lui permet de filmer avec un éclairage naturel inégal. Les dialogues, laissés intacts pour la plupart, lui permettent de justifier un manque total de contexte culturel. Même les décors sont vides et dépouillés, tellement le projet est foireux.
Beaucoup de Bruit Pour Rien n’est pas le seul long-métrage où une bande de potes se réunissent pour déconner ensemble dans la maison de quelqu’un de célèbre. C’est La Fin avait rassemblé James Franco, Jonah Hill, Seth Rogen, Danny McBride et presque tous les acteurs ayant raconté une blague trash dans la filmographie de Judd Apatow pour délirer pendant l’apocalypse. Mais au moins C’est La Fin ressemblait à un vrai film. Beaucoup de Bruit Pour Rien est davantage un bonus DVD qu’autre chose. C’est une fête privée, pour les fans peut-être, mais tout le monde n’est pas invité.
@ Daniel Rawnsley