[Critique] BLUE JASMINE
Titre original : Blue Jasmine
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Woody Allen
Distribution : Cate Blanchett, Sally Hawkins, Alec Baldwin, Peter Sarsgaard, Louis C.K., Bobby Cannavale, Andrew Dice Clay, Michael Stuhlbarg, Alden Ehrenreich, Tammy Blanchard…
Genre : Comédie/Drame
Date de sortie : 25 septembre 2013
Le Pitch :
Lorsqu’elle atterrit à San Francisco, afin de retrouver sa sœur, Jasmine est une femme brisée. Auparavant épouse d’un riche homme d’affaires, elle se retrouve sans le sou suite à la déconfiture de ce dernier, condamné pour de multiples fraudes. Bien décidée à se reconstruire sous le soleil de la Californie, Jasmine n’est pas au bout de ses peines…
La Critique :
Pour beaucoup, cela fait quelques années que Woody Allen se repose sur ses lauriers. Ses derniers films étant souvent perçus comme de jolies cartes postales de villes européennes. Des cartes financées par ces mêmes métropoles pour gagner un surplus de prestige. On parle ici de To Rome with Love ou, dans une moindre mesure de Minuit à Paris et de Vicky Cristina Barcelona, bien que ces deux derniers exploitaient remarquablement bien leur cadre, sans s’y reposer entièrement. Concernant To Rome with Love, les choses sont différentes, car Woody Allen y recyclait son humour absurde (et toujours efficace) en tablant un maximum sur les architectures de la capitale italienne. Sans condamner un film qui ne méritait pas le déluge de critiques négatives qu’il reçu à sa sortie, on pouvait par contre souligner le pilotage automatique d’un artiste de toute façon toujours intéressant, même quand il déploie un minimum d’efforts.
Ceci dit, aujourd’hui déboule le nouveau Allen. Comme tous les ans, Woody est fidèle au poste, conservant malgré ses 77 ans, un rythme de croisière assez hallucinant. Surtout si on se réfère à la qualité de son dernier né, le bien nommé Blue Jasmine.
Car Blue Jasmine est un grand cru. Si on voulait donner dans une comparaison œnologique, on pourrait dire que si To Rome with Love était un bon Chianto d’entrée de gamme, Blue Jasmine s’apparente à un St-Émilion des plus racés. Une comparaison à prendre avec des pincettes vu les compétences quasi-inexistantes en matière de pinard de l’auteur de ses lignes. Mais bon, vous avez pigé l’idée. Blue Jasmine s’inscrit parmi les meilleurs films de Woody Allen. Et puisqu’on parle du type qui a offert au septième-art des chef-d’œuvres comme Annie Hall, Manhattan, ou encore Harry dans tous ses états, ce n’est pas rien.
En gardant un pied dans son fief, New York, Woody Allen se paye une escapade folklorique à San Francisco sur fond de guerre des classes sociales. Son film fonctionne sur un va et vient entre passé et présent, de manière à souligner la différence entre l’existence new-yorkaise de Jasmine et celle qu’elle mène avec sa frangine sur la Côte Ouest. Sans s’encombrer de messages explicatifs à l’écran (du genre de « 4 mois plus tard »), Allen construit son long-métrage en tablant sur la limpidité d’un scénario remarquable, entre passé et présent. Comme d’habitude, le réalisateur s’adresse à l’intelligence de ses spectateurs. Ce qui fonctionne à fond les ballons tant les événements s’imbriquent avec brio dans une mécanique fort bien huilée. Les dialogues aussi dénotent de la forme exceptionnelle du réalisateur. Ici, la comédie est bel et bien présente, mais laisse parfois la place à un aspect dramatique plus prégnant. Pas aussi sombre que Match Point, Blue Jasmine met en revanche en scène un personnage très névrosé. Pas juste accro au divan des psychiatres, mais vraiment névrosé. Les psy sont d’ailleurs écartés de l’équation, au profit des médicaments, seuls vrais amis du personnage interprété par Cate Blanchett. Cette fois-ci, c’est davantage la détresse inhérente à l’état psychotique du protagoniste qui est mise en avant, masquant parfois le côté comique de la maladie. Voir Jasmine parler seule dans la rue a quelque chose de rigolo au début, mais ensuite, son mal-être imprègne la pellicule au point de contaminer le spectateur qui éprouvera à coup sûr une forte empathie pour cette femme complexe.
Et c’est le moins que l’on puisse dire concernant Jasmine, cette menteuse invétéré, limite bipolaire et souvent totalement imbuvable. Farcie de défauts, la belle bourgeoise déclenche tout un tas de réactions différentes. Elle peut agacer, mais sait aussi attendrir, sans oublier d’être pathétique plus qu’à son tour.
Il s’agissait de ne pas se tromper afin de choisir la bonne actrice pour incarner une figure aussi torturée. Woody Allen a vu juste, comme souvent. Cate Blanchett est hallucinante. Même si la filmographie de la comédienne australienne regorge de bons films, il est évident d’affirmer qu’elle tient ici son meilleur rôle. Elle est formidable. Non seulement dotée d’une classe folle, la belle compose une Jasmine toute en nuance. Un personnage à fleur de peau à qui elle offre tout son talent . Une composition en tout point démente, où Cate Blanchett passe en un instant du rire aux larmes sans se départir d’un charisme de malade. À partir d’une partition casse-gueule, l’actrice accomplit une prouesse mémorable qui justifie à elle-seule le déplacement.
Autour, les autres comédiens ne déméritent pas. Notamment car ils ne se contentent pas de servir la soupe à la tête d’affiche. Chez Allen, tout le monde a une occasion de briller. De Louis C.K., savoureux à souhait, à la pétillante Sally Hawkins, sans oublier le roc Alec Baldwin et les géniaux Bobby Cannivale et Andrew Dice Clay (qui ressemble vraiment à Vin Diesel).
Pièce de théâtre rugueuse, pleine de charme, de contractions truculentes et d’émotions mêlées, Blue Jasmine est un pur délice de cinéma. Un film prodigieux, très classe, complètement en phase avec son époque, aux dialogues dantesques et aux acteurs fabuleux. Une œuvre qui encourage un déferlement de superlatifs, en forme de fable adressée aux fans du réalisateur et qui risque d’ailleurs de toucher un public plus large. Un portrait de femme d’une pertinence inouïe, aux nombreuses résonances et au discours mélancolique doux-amer. Une nouvelle preuve de la capacité de Woody Allen à sortir de sa zone de confort. Une merveille.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Mars Distribution
L’assaut de critiques dithyrambiques ne va pas m’impressionner. Blue Jasmine est un des pires films de Woody Allen. Eh oui.
Centré sur un personnage omniprésent, le film en souffre grandement. Si le spectateur éprouve -pour des raisons mystérieuses – une fascination pour la minaudière Cate Blanchett, tant mieux pour lui; mais sinon… Lorsque tout un film repose sur un personnage à la fois stupide et égocentrique à un point rarement atteint, le spectateur se trouve dans la position de la dame de la première scène du film (l’aéroport), il n’a qu’une envie: fuir.
Car ce personnage de Jasmine est dépourvu de toute qualité humaine. Imbue d’elle-même, méprisante, absolument odieuse avec sa soeur qui l’accueille, Jasmine s’enfonce dans la dépression: personnellement, je pense qu’elle n’a que ce qu’elle mérite et je m’en tamponne. Mais de quel droit Jasmine aurait-elle droit à un meilleur destin? Montrez moi une qualité; un regard d’empathie; rien ne vient. Jasmine n’est pas un personnage complexe et attachant. Elle est juste une de ces gourdasses à trois neurones qui encombrent le cinéma américain. Souvenez-vous de Midnight in Paris: le personnage d’Inez, joué par Rachel McAdams, insupportable de crétinerie arrogante, avait comme fonction, par contraste, de rehausser le caractère rêveur et artiste du héros joué par Owen Wilson. On la voyait trop d’ailleurs, parce qu’elle se répétait de scène en scène. Eh bien dans Blue Jasmine, c’est ce personnage de crétine arrogante qui est au centre du film, qui est le film, et qui ne nous lâche pas pendant une heure trente: c’est insupportable.
On en vient, par défaut, à s’attacher à des personnages secondaires, qui ont au moins le mérite de vouloir quelque chose, comme le garagiste Chili ou la soeur Ginger, jouée par Sally Hawkins, actrice épatante qui a bien du mérite de rendre crédible un personnage aussi mal écrit.
La critique a glosé sur un Woody Allen s’emparant des séquelles de l’affaire Madoff pour épingler l’omniprésence de la valeur argent dans l’univers mental américain. Mais qu’on ne cherche pas ici l’ombre d’une critique sociale, et encore moins politique. Si les riches sont pénibles à regarder, les pauvres ne sont pas moins caricaturaux, comme le prouve cette scène pénible où Blanchett raconte ses malheurs (une fois de plus) à deux enfants laids et obèses dans un fast food.
Enfin, il est utile de le rappeler, Blue Jasmine n’est absolument pas drôle. Histoire d’une fille sans intérêt qui bascule dans l’alcoolisme, les médicaments et la folie, le film ne réussit pas à prendre de la distance sur ce sujet. A croire que Woody Allen a perdu sa lucidité, et s’est leurré sur son actrice principale, qui livre un numéro digne d’une mauvaise Blanche Dubois. Bon, à en lire les critiques, il n’est pas le seul.