[Critique] BOYHOOD
Titre original : Boyhood
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Richard Linklater
Distribution : Ellar Coltrane, Patricia Arquette, Lorelei Linklater, Ethan Hawke, Charlie Sexton, Steven Price, Libby Villari, Marco Perella…
Genre : Comédie/Drame
Date de sortie : 23 juillet 2014
Le Pitch :
12 ans dans la vie de Mason. À 6 ans, le petit garçon se partage entre le foyer de sa mère, dans lequel il passe le plus clair de son temps avec sa Samantha, sa grande sœur, et celui de son père, un homme plutôt immature et rock and roll. S’ensuivent alors tous les événements qui accompagnent l’existence de Mason. De déménagements en petits tracas, de grandes joies en changements primordiaux, d’amourettes en déceptions, sans oublier tous ces petits rien qui donnent à la vie tout son sens, Boyhood retrace la vie d’un garçon, de son enfance à sa majorité…
La Critique :
Le tournage de Boyhood a débuté à l’été 2002, pour se terminer courant 2013. Le réalisateur Richard Linklater a ainsi réuni les mêmes acteurs, tous les ans, durant quelques jours, pour mettre en boîte plusieurs scènes. Centré sur le personnage de Mason, Boyhood débute alors que le jeune garçon a 6 ans et se termine lorsqu’il en a 18, quand qu’il entre à la fac. Entre temps, Linklater a capté plusieurs moments de la vie de Mason et de sa famille. De sa grande sœur Samantha et de ses parents divorcés, incarnés par Patricia Arquette et Ethan Hawke, l’acteur fétiche du cinéaste.
Le procédé est unique. Le film qui résulte de cette manœuvre si audacieuse l’est tout autant. Unique et exceptionnel, de la première à la dernière minute.
Une scène du film voit un père discuter avec son fils. Tous les deux sont dans une voiture. Ils partent camper dans la nature. Les hauts-parleurs de la GTO du paternel diffusent une chanson country. Le père indique à son fils que cette chanson raconte la vie dans tout ce qu’elle a de plus simple. L’artiste y conte son désarroi après le départ de l’amour de sa vie. Il chante sa tristesse et ses efforts pour améliorer son quotidien au cas où sa belle reviendrait, tout en sachant que ce jour ne viendra jamais. Les paroles se résument ainsi à une énumération d’actes simples, faisant partie de notre vie à tous. De petits gestes auxquels personne ne fait plus attention qui, mis bout à bout, contribuent à faire de la vie ce qu’elle est. En cela, cette séquence, avec cette magnifique chanson, est certainement l’une des plus importantes du film, car elle illustre à merveille les intentions de Richard Linklater.
Car là est précisément le génie de Boyhood : raconter la vie, à travers les yeux d’un personnage simple, dans lequel il est évident de se retrouver. Raconter la vie à travers des actes banals et d’autres qui le sont moins, sans jamais tomber dans le spectaculaire opportuniste et le sensationnalisme facile.
De cette chronique familiale, Richard Linklater tire une œuvre fédératrice à la sensibilité à fleur de peau. Il livre un long-métrage épatant, car juste en permanence. Remarquablement dosé, à la fois mélancolique, parfois difficile (mais pas trop non plus) et souvent drôle, Boyhood s’impose comme un film unique en son genre. Non seulement pour sa faculté à voir évoluer, grandir et vieillir plusieurs personnages, mais aussi pour son désir de tenter de capter l’essence même de la vie.
En soi, Boyhood est l’un des projets les plus courageux qui soient sortis des tuyaux de l’usine à rêves qu’est le septième-art. Difficilement, Linklater n’a rien lâché face au scepticisme des producteurs et, accompagné de ses comédiens, a mené à bien une mission en contradiction totale avec les règles en vigueur. Au final, Boyhood est une ode à la normalité qui glorifie le quotidien. Il extirpe le merveilleux de choses basiques et courantes, et se pose comme une brillante introspection affranchie de toute notion de limite ou de quelconques compromissions commerciales.
Mason, le jeune garçon de 6 ans qui grandit sous nos yeux pour devenir un adulte, est l’élément central de Boyhood. Incarné avec un naturel confondant par Ellar Coltrane, qui dit avoir énormément investi dans le personnage, Mason se détache de la figure classique du gamin, de l’ado, ou de l’étudiant, vue en général au cinéma. Sans répondre aux clichés, il y répond quand même, car au fond, tout ce qu’il fait, c’est de vivre sa vie en faisant de son mieux. Sans expérience, troublant de sincérité, Ellar Coltrane se livre avec la justesse et l’innocence qui caractérisent son âge en début de métrage, puis évolue et grandit de la façon la plus naturelle qui soit. Son boulot sur le film est sensationnel.
Sa petite sœur, incarnée quant à elle par Loreilei, la fille de Richard Linklater, offre également une vision parfaite de l’enfance, puis de l’adolescence, en témoignant des changements qui s’opèrent et qui peuvent bouleverser le court des choses. Et cela sans parler d’un cadre de vie parfois chaotique, qui bouscule l’évolution de ces deux enfants.
Dans Boyhood, Linklater traite alors du divorce et de ses conséquences, des responsabilités de parents aimants un peu immatures, des erreurs qui peuvent influer directement sur la sérénité des enfants, et des dommages collatéraux de petits événements courants, comme les déménagements et tout ce que cela sous-entend (changement d’école, nécessité de reconstruire son nid, de se refaire des amis…). L’amour n’étant bien entendu pas absent de cette belle équation, si percutante dans son infinie justesse.
Un amour qui s’exprime via les relations tumultueuses de la mère de Mason, dont le tempérament semble attirer les ennuis, et via les premiers émoi de Mason lui-même.
Mais Boyhood parle aussi de l’évolution de notre société. Il évoque les grands événements, à commencer par le 11 septembre, puisqu’il débute en 2002. L’élection d’Obama, l’Irak, tout y passe, avec fluidité et sans manichéisme, à travers un poste de télé allumé ou une discussion en toile de fond.
Grand mélomane, Linklater en profite aussi pour causer musique. Pas étonnant donc que la bande originale de Boyhood enchaine les perles. La musique est omniprésente et souvent lourde de sens, comme quand Ethan Hawk chante ses propres compositions, destinées dans un premier temps à ses propres enfants. Des ritournelles bouleversantes qui font écho aux nombreuses thématiques du film, tout comme ces discussions passionnées autour de la pop culture, à laquelle Linklater fait souvent référence de manière jubilatoire (Star Wars, Harry Potter, Les Beatles…)
D’une richesse ahurissante, d’une cohérence rare et d’une beauté constante, Boyhood justifie en permanence sa longue genèse. Richard Linklater a accompli quelque chose d’extraordinaire. Plus qu’un film, Boyhood est une ode à la vie. À sa complexité et à sa simplicité. Un hommage à l’enfance, mais pas seulement, tant le film parvient à livrer une chronique beaucoup plus universelle. Jamais il ne laisse de place chance à l’ennui. Toujours passionnant, il illustre l’acuité du regard d’un cinéaste rare et pourtant trop souvent sous-estimé. Boyhood est son Mont Everest. Son chef-d’œuvre. Un film amené à devenir culte.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Diaphana Distribution