[Critique] COGAN : KILLING THEM SOFTLY
Titre original : Killing Them Softly
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Andrew Dominik
Distribution : Brad Pitt, Richard Jenkins, James Gandolfini, Scoot McNairy, Ray Liotta, Ben Mendelsohn, Vincent Curatola, Sam Shepard, Trevor Long, Max Casella…
Genre : Thriller/Policier/Adaptation
Date de sortie : 5 décembre 2012
Le Pitch :
Bien décidé à braquer un tripot clandestin, un modeste gangster engage deux petites frappes. À la suite du braquage, la mafia, qui voit ses intérêts menacés, décide d’engager Jackie Cogan, un tueur à gages réputé dans le milieu…
La Critique :
À Cannes, où il était présenté en compétition, Cogan : Killing Them Softly, encore appelé Cogan, la mort en douce, a laissé de marbre le jury et les festivaliers, en apparence totalement hermétiques à l’ambiance du nouveau film d’Andrew Dominik. Aux États-Unis, le film du réalisateur australien fait un gros bide. Malgré Brad Pitt et toutes les gueules ultra charismatiques qui composent le casting. À la place, on préfère parler de la « performance » de Pitt dans la pub pour Chanel. Même si Cogan démontre de la clairvoyance de l’acteur pour ce qui est de choisir ses rôles et les personnes avec qui collaborer.
C’est d’ailleurs la seconde fois que Brad Pitt tourne sous la direction d’Andrew Dominik, après L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Deux collaborations pour deux grands films. Chacun à leur manière, unis par une exigence cinématographique hallucinante. De quoi diviser le public et la critique, c’est certain. Raison de plus pour saluer Cogan.
Andrew Dominik se fout de la bien-séance en matière de divertissement. Un peu comme Nicholas Winding Refn, pour ne citer que lui. Dominik prouve une nouvelle fois ici, que pour lui, le cinéma est avant tout une question de ressentis. Et pour ressentir, il faut prendre son temps. Il faut s’attacher aux petits détails et faire parler la poudre quand les circonstances l’exigent.
Killing Them Softly -adaptation d’un livre de George V. Higgins, L’Art et la manière– fait un bide car il nage à contre-courant d’une mode qui exige de l’action, du découpage rapide et de l’esbroufe. Non pas que le film ne soit pas spectaculaire, car il l’est bel et bien. À sa façon. Dans sa manière de souligner certains sons à des moments clés. Dominik est un chef d’orchestre pour qui le bruit des verres, celui des gâchettes et des vitres qui se brisent, représentent autant de sonorités à marier pour surligner l’action. Sa caméra est posée, vibre, colle de près aux comédiens et rentre en symbiose totale avec une démarche assurément particulière.
Difficile d’en vouloir au gars qui va bailler comme une otarie et souffler d’ennui alors que Richard Jenkins et Brad Pitt discutent dans une voiture pendant plusieurs minutes sans qu’aucune bagnole ne viennent les percuter, ni qu’aucune nana ne montre ses seins plein fer à la caméra. Il est presque légitime de se faire chier devant Cogan. Si on adhère pas à la tonalité du film, c’est garanti sur facture. Si on croit voir un film de gangsters à la Guy Ritchie, l’heure et demi que dure le film risque de sembler bien longue.
Si par contre vous aimez lire entre les lignes, si les dialogues finement ciselés (et superbement écris) et les performances d’acteurs tout en nuances motivent votre amour du cinéma, vous allez vous régaler.
Cogan est un film d’esthète. Un métrage ultra chiadé, élégant et percutant. À sa manière, on y revient et on insiste.
Quand Brad Pitt tue un type dans Cogan, il exécute un ballet ou il fonce dans le tas, avec une préférence avouée pour la première option. Le film est à l’image de ce personnage complexe et atypique de tueur à gage adepte de la manière douce.
Brad Pitt est superbe. James Gandolfini est formidable en tueur décrépi par le cul et la boutanche et Ray Liotta, toujours aussi buriné et talentueux, en prend plein la gueule.
Grand film d’acteurs, Cogan rend hommage aux classiques du genre, aux œuvres de Scorsese et de Sergio Leone. Aux westerns et aux polars des 70’s, avec une verve et une véhémence rock and roll proche de celle d’un Tarantino. Du coup, le long-métrage peut s’avérer super savoureux.
Mais il y a autre chose. Andrew Dominik n’a pas voulu faire un simple polar mafieux où des types en cherchent d’autres pour remettre les compteurs à zéro. Avec Cogan, Andrew Dominik tire sans concession sur l’Amérique. Celle de Bush, celle d’Obama, celle des arrivistes et celle des nantis et des laissés pour compte. Cogan dépeint avec une rage parfois mal canalisée, une Amérique en crise. Ses paysages adoptent parfois les nuances des no man’s land apocalyptiques, avec ces maisons délabrés, ce climat pourri et son absence de soleil. À intervalles réguliers, interviennent des discours sur la crise. Obama encourage, Bush se justifie et on parle du manque d’argent et de l’économie qui va mal. Les gangsters du film n’y échappent pas et les tarifs des prestations sont revus à la baisse.
Dans dix ou vingt ans, on se souviendra certainement de Cogan comme de l’un des premiers véritables polars sur la crise du début des années 2000.
Dommage encore une fois que le cinéaste insiste, car au final, les discours qui se multiplient au fil du récit, par le biais de la radio ou de la télé, en fond sonore ou au premier plan, irritent un poil.
À l’heure où la vie réelle nous abreuve de faits similaires, Cogan ne cherche pas à faire sortir le spectateur du marasme propagé par les médias. Il lui met carrément le nez dedans.
Heureusement, l’humour, plus absurde qu’il n’y paraît est de la partie et il est toujours possible de se concentrer davantage sur l’intrigue policière en elle-même. C’est difficile, mais possible.
Bon, ok, sauf à la fin, quand le film porte le coup fatal et enfonce le clou d’un propos désenchanté, qui constate l’étendu des dommages collatéraux du capitalisme. L’argent, le nerf de la guerre qui pousse aux pires extrémités et qui est au centre de tout. Y-compris du dernier film virulent, un peu maladroit et techniquement irréprochable d’Andrew Dominik, cet australien incompris qui avait la rage au ventre.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Metropolitan FilmExport