[Critique] JERSEY BOYS
Titre original : Jersey Boys
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Clint Eastwood
Distribution : John Lloyd Young, Vincent Piazza, Erich Bergen, Michael Lomenda, Joseph Russo, Christopher Walken, Erica Piccininni…
Genre : Biopic/Drame/Adaptation
Date de sortie : 18 juin 2014
Le Pitch :
Des rues du New Jersey aux scènes les plus prestigieuses, l’histoire du groupe The Four Seasons revient sur la trajectoire du chanteur Frankie Valli et de ses amis, partis à la conquête de l’industrie musicale. Devenu légendaire, grâce notamment à un grand nombre de tubes intemporels, The Four Seasons a néanmoins connu son lot de déconvenues. Des hauts et des bas pour finalement devenir l’une des formations musicales américaines les plus populaires…
La Critique :
Le nom de Frankie Valli et celui de ses Four Seasons ne résonne pas de la même façon en France que de l’autre côté de l’Atlantique. Leurs chansons par contre, font partie d’un patrimoine universel et tournent encore et toujours, largement exploitées (dans les films et autres), reprises ou encore remixées. Sherry, Walk Like a Man et bien sûr l’inoxydable Can’t Take My Eyes Off You, ont marqué au fer rouge la musique moderne. Le groupe a quant à lui beaucoup évolué depuis ses débuts, pour au final se résumer à Frankie Valli accompagné sur scène par de multiples instrumentistes et autres choristes, comme il apparaît d’ailleurs encore aujourd’hui (Valli vient de fêter ses 80 printemps). Une icône jamais bien loin de Bob Gaudio, l’auteur de génie, auparavant sur scène, mais rapidement devenu compositeur et producteur à plein temps.
Cela dit, il est peut probable que Jersey Boys attire beaucoup de spectateurs dans les salles françaises. On ne parle pas ici de Johnny Cash, de Ray Charles ou encore de James Brown. Frankie Valli n’est pas non plus comme Sinatra, très populaire chez nous. À vrai dire, niveau popularité, chez nous, il est un peu comme Liberace, le héros du dernier film de Steven Soderbergh (avec Michael Douglas dans le rôle titre). Les tubes en plus…
On imagine bien Clint Eastwood, alors acteur débutant, assistant à la montée en puissance des Four Seasons au début des années 60. Un jeune Clint qui n’allait pas tarder à connaître la gloire internationale, notamment grâce à la fameuse trilogie de Sergio Leone. Un Clint d’ores et déjà mélomane, qui rendra plus tard de multiples hommages à la musique, allant même jusqu’à pousser la chansonnette, comme sur cet album de reprises publié en 1959. Depuis, Eastwood a composé les partitions de quelques-uns de ses longs-métrages (Mystic River, Gran Torino…). Entre jazz, country, blues, pop ou encore rock (n’oublions pas que c’est Clint qui débusqua les Guns N’ Roses pour utiliser Welcome to the Jungle dans le dernier volet de la saga de L’Inspecteur Harry), les goûts musicaux de Clint Eastwood trahissent un remarquable éclectisme.
Alors oui, Clint écoutait les Four Seasons. Seulement quatre années le séparent de Frankie Valli. Que ce soit Clint qui raconte sur grand écran l’histoire du groupe et de son charismatique leader n’a au fond rien d’étonnant. Mais qu’il parvienne à livrer un film comme Jersey Boys l’est au fond un peu plus.
Les analystes cinéphiles les plus cyniques avaient déjà plus ou moins relégué Clint Eastwood, le réalisateur, au second plan. Un certain consensus considérait Gran Torino comme son dernier grand film. Et c’était probablement le cas, même si Invictus, J. Edgar et même dans une moindre mesure Au-delà, ne manquent pas de qualités et n’ont pas mérité les virulentes critiques qui ont conclu d’une manière ou d’une autre le caractère émoussé du talent d’un réalisateur légendaire. Aujourd’hui, à 84 balais, Clint défraye la chronique et fait mentir ses détracteurs. Avec Jersey Boys, c’est un jeune cinéaste plein d’énergie qui déboule. Un type toujours aussi vif, au discours aussi affuté qu’un regard qui n’a rien perdu de son acuité et de sa pertinence.
C’est bien simple, Jersey Boys est une merveille. Un petit bijou. Un authentique feel good movie dont la principale qualité est de proposer au spectateur un kaléidoscope d’émotions enthousiasmant, superbement rythmé, au point d’avoir envie de se lever en pleine séance pour applaudir devant tant de maîtrise.
Mais avant de continuer dans les louanges, évacuons de suite les tout petits couacs qui émaillent Jersey Boys. Oui, les maquillages censés faire ressembler des trentenaires à des sexagénaires ne sont pas franchement convainquants (la scène ne dure que quelques minutes donc ce n’est pas vraiment gênant). Oui, on pourra toujours reprocher au film de coller aux codes du biopic et oui, quelques ellipses un peu hasardeuses handicapent un tout petit peu (mais alors vraiment un tout petit peu), la rythmique. Rien de bien grave en somme. Pas de quoi bouder son plaisir. Mais alors vraiment pas !
Afin de nous raconter la trajectoire de Frankie Valli et des Four Seasons, Eastwood a choisi d’adapter la comédie musicale qui triompha à Broadway et dans le monde entier. Pour le coup, désirant mettre en avant des acteurs relativement inconnus du grand public, le réalisateur décida de garder les mêmes comédiens que ceux qui enflammèrent les planches. En tout cas, la plupart, à l’image de l’impressionnant John Lloyd Young, qui interprète Frankie Valli. Il joue et il chante et ça, mine de rien, ça fait toute la différence ! Non seulement le mec s’adapte à merveille au format cinéma (il faut dire que la direction d’acteur est parfaite), mais il arrive aussi à transférer le côté spectaculaire de son rôle, sans négliger l’émotion. Sous le regard de Christopher Walken (quelle classe !), seule véritable star du casting, ici génial en mafieux protecteur généreux, les comédiens donnent vie à une sorte de tragédie rock and roll passionnante, émouvante et enthousiasmante, qui mixe les codes du biopic musical et ceux du film de mafia.
Dans un premier temps, on a alors l’impression de suivre une fresque italo-américaine dans la lignée des Affranchis de Scorsese ou d’Il était une fois le Bronx de De Niro. Jeunes types à la fois apprentis mafieux et musiciens remarqués et remarquables, les futurs Four Seasons évoluent dans le même milieu que les héros des films cités plus haut. Une particularité qui confère à Jersey Boys un cachet unique. Il se dégage alors une classe folle de cette histoire pleine d’entrain dont l’humour, jamais bien loin, lui apporte une légèreté bienvenue.
En vieux briscard à qui on ne la fait pas, Clint Eastwood en profite alors pour nous livrer un film grandiose, dynamique, parcouru de surprises, et marqué par une audace que beaucoup ne lui prêtaient plus. De ces personnages qui s’improvisent narrateurs à tour de rôle en s’adressant directement au public, à cette mise en scène pleine d’un souffle propre à un académisme sublimé par le regard du cinéaste, parcourue par des touches d’audace rafraichissantes, complètement raccords avec la tonalité de l’univers des Four Seasons, Jersey Boys est plus rock and roll qu’il n’y paraît. Davantage en tout cas que ce que laissait présager la bande-annonce.
Au lieu d’un biopic plan-plan, Eastwood prouve avec Jersey Boys qu’il est plus que jamais capable de prendre à revers. Il rend ici hommage à ses jeunes années. À celles qui l’ont vu devenir une icône du septième-art. On discerne alors sans mal les analogies entre sa trajectoire et celle de Franki Valli.
Une histoire que Clint a choisi de raconter sans complaisance. Sans appuyer sur les épisodes dramatiques. Pas plus que nécessaire en tout cas. Avec ce qu’il faut de sensibilité, d’humour et de grâce, Eastwood nous offre un authentique cadeau. De la superbe photographie de Tom Stern à cette musique à tomber à la renverse, omniprésente et prégnante, Jersey Boys swingue et dégage au final une classe inouïe.
À l’image de son réalisateur, il est insaisissable, passionnant, chaleureux et drôle. Jubilatoire de A à Z. Chapeau bas Mister Eastwood !
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Warner Bros. France