[Critique] LES NOUVEAUX SAUVAGES

CRITIQUES | 29 mars 2015 | Aucun commentaire
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Titre original : Relatos salvajes

Rating: ★★★★½
Origine : Argentine/Espagne
Réalisateur : Damián Szifrón
Distribution : Ricardo Darín, Oscar Martínez, Leonardo Sbaraglia, Érica Rivás, Rita Cortese, Julieta Zylberberg, Darío Grandinetti…
Genre : Comédie/Drame/Sketches
Date de sortie : 14 janvier 2015

Le Pitch :
Les passagers d’un avion de ligne se rendent compte qu’ils connaissent tous la même personne. Une serveuse découvre que la vengeance est un plat qui se mange avec du ketchup, surtout quand le client est un titan de la corruption qui a ruiné sa vie et que la mort aux rats est à portée de main. Une altercation routière a des conséquences explosives. Un ingénieur va au delà de ce qui est socialement acceptable pour soulager son exaspération contre les amendes et la fourrière. Les négociations financières d’un couple fortuné pour éviter que leur fils aille en prison pour homicide involontaire tournent rapidement à l’arnaque et une jeune mariée voit sa nuit de noces partir en vrille lorsqu’elle découvre que son nouveau mari l’a trompée. Dans six histoires différentes, ces personnages vont céder sous le poids de leurs frustrations et découvrir leur côté sauvage…

La Critique :
Dans son poème Le Lacet, Charles Bukowski écrit que « ce ne sont pas de grandes choses qui envoient un homme à l’asile, » mais plutôt « la suite continuelle de petites tragédies ». Comparant de tels événements à un « lacet qui se casse net », il dit que l’angoisse de la vie est cette série de trivialités qui tuent plus rapidement que le cancer et qui sont toujours là.

Les Nouveaux Sauvages, le film à sketches tordant du réalisateur-scénariste Damián Szifrón, est un film de lacets cassés. Dans six vignettes impitoyablement hilarantes, le cinéaste suit une poignée de personnages différents qui ont écrasés par les indignités du quotidien pendant tellement longtemps que quand ils pètent finalement un câble (parmi des circonstances qui vont du banal à l’extraordinaire), c’est dans de grandes conflagrations qui sont glorieusement cathartiques. On n’a pas besoin d’ouvrir un bouquin sur l’histoire de la corruption du système en Argentine pour s’identifier à ces âmes malheureuses qui sont poussées à bout par l’effronterie des riches et des privilégiés, ou le sentiment fataliste qu’on est tous en train de jouer à un jeu perdu d’avance. Certaines frustrations sont tristement universelles.

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Après un bref prologue qui fait une entrée génialissime en matière, les cinq histoires suivantes ont une durée moyenne de vingt-et-quelques minutes et sont unifiées, non pas par des fils narratifs ou par un chevauchement des personnages, mais plutôt par leur sensibilité mordante et un don spectaculaire pour l’escalade comique. Szifrón a eu droit à des comparaisons avec Tarantino (sans doute à cause de la structure épisodique du film) et Almodovár (Pedro et son frère Agustín se partagent le poste de producteur), mais tout le long on ne peut s’empêcher de penser aux Frères Coen.

Comme ce duo fantastique de cinéastes, Szifrón a une vue misanthrope du monde qui est quasiment divine dans son regard sur nous, les mortels, et les fous que nous sommes, ainsi qu’une logique de scénario-catastrophe qui ne s’arrête pas au moment sensé, mais continue à enchaîner une chose barjot après l’autre avec une énergie cinétique qui part totalement en vrille. En effet, le troisième chapitre commence avec une simple crise de violence routière qui, avec un effet boule-de-neige apocalyptique, se transforme en quelque-chose à mi-chemin entre Arizona Junior et le Duel de Steven Spielberg.

La séquence la plus emblématique de Les Nouveaux Sauvages sert de pièce maîtresse au film, mettant Ricardo Darín (l’escroc dans Les Neuf Reines) dans le rôle d’un gentil ingénieur en démolitions qui un jour, après avoir acheté un gâteau pour l’anniversaire de sa fille, découvre que sa voiture a été emmenée à la fourrière. Il n’y avait pas de marquage pour l’informer qu’il était garé illégalement, mais ses protestations de plus en plus agacées tombent dans l’oreille d’un sourd. Marié à sa volonté de freiner des quatre fers tout du long et effectuant une descente en spirale dans un terrier de bureaucratie obstinée et arbitraire à la Franz Kafka, Darín finira par perdre sa famille, son boulot et enfin même sa liberté pour une minuscule question de principe qui met (littéralement) le feu aux poudres, au point où il en émerge sous les traits invraisemblables d’un héros du peuple. Comme toutes les histoires, celle-ci se termine sur une punchline qui semble à la fois sortir de nulle part et pourtant parfaitement inévitable.

Mais Szifrón nous garde le meilleur pour la fin. Pendant le dernier sketch, on rencontre une jolie mariée jouée par Érica Rivás, pas du tout contente de découvrir que son nouveau mari a invité sa maîtresse à leur soirée de noces. Rivás fait un cycle rapide à travers les diverses étapes du chagrin tandis que la mise en scène hyper-précise perd spectaculairement les pédales. C’est une brave séquence d’audace on-ne-peut-pas-aller-plus-loin, et on ne peut qu’être émerveillé devant la rapidité et l’efficacité avec lesquelles Szifrón a dessiné ses personnages et leurs vies passés, avant de tout démolir sur son passage avec une frénésie hystérique qui apporte un nouveau sens à ce vieux dicton shakespearien sur l’enfer et les femmes dédaignées (il s’agit de la meilleure scène de mariage au cinéma depuis Melancholia).

Et pile au moment où l’on pense que le film ne pourrait pas devenir plus hilarant qu’il ne l’était déjà, Szifrón fait tomber le rideau avec une reprise de Fly Me to the Moon signée Bobby Womack. Les Nouveaux Sauvages est génial.

@ Daniel Rawnsley

Les-nouveaux-sauvagesCrédits photos : Warner Bros. France

 

Par Daniel Rawnsley le 29 mars 2015

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