[Critique] LA REINE DES NEIGES
Titre original : Frozen
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Chris Buck, Jennifer Lee
Distribution voix : en V.O. : Kristin Bell, Idina Menzel, Jonathan Groff, Josh Gad, Santino Fontana… / En V.F. : Emmylou Homs, Anaïs Delva, Donald Reignoux, Dany Boon, Guillaume Beaujolais…
Genre : Animation/Fantastique/Comédie/Aventure/Adaptation
Date de sortie : 4 décembre 2013
Le Pitch :
Née avec des pouvoirs mystiques de glace dans le royaume norvégien d’Arendelle, la princesse Elsa a passé une bonne partie de sa vie en isolement après avoir grièvement blessé sa sœur Anna par accident pendant leur enfance. Grâce à un remède magique fourni par une race de petits trolls, Anna n’a aucun souvenir de l’évènement ou des pouvoirs de sa sœur, qui ne sont désormais connus que d’elle. Leurs parents sont morts dans un naufrage, et une fois majeure, Elsa devra être officiellement nommée reine et ouvrir le palais à une foule de dignitaires étrangers ; chose qui la terrifie mais ravit sa sœur, qui attend avec impatience qu’un prince charmant tombe amoureux d’elle. Malheureusement, c’est exactement ce qui se passe lorsqu’Anna rencontre le beau Prince Hans et exige immédiatement un mariage. Ses imprudences choquent Elsa, et une dispute entre les deux frangines tourne au drame quand Elsa déchaîne sa magie et provoque l’inquiétant Duc de Weselton qui l’accuse de sorcellerie et la chasse du palais. Décidant de mener une existence d’ermite, Elsa s’enfuit dans les montagnes, laissant libre cours à son pouvoir pour créer un palais de glace privé. Mais il y a des effets secondaires : Arendelle est figée dans un hiver éternel, et les dignitaires et les citoyens sont tous pris au piège. Se sentant responsable, Anna fait équipe avec un fermier de glace nommé Kristoff et se lance à la recherche d’Elsa, espérant qu’ensemble, les deux sœurs pourront trouver un moyen de réparer leur erreur…
La Critique :
Dire que le marketing de La Reine des Neiges de Disney a été un échec total serait peut-être une remarque un peu facile. Après tout, on sait tous que des bandes-annonces affreuses montrant les bouffonneries d’un satané bonhomme de neige vendront toujours un film d’animation aux enfants, même si les plus âgés ne pourront pas y échapper non plus. Mais dans le cas présent, ces publicités bourrées d’action sont certainement une déformation des faits, promettant un film totalement différent que beaucoup (y compris l’auteur de ces lignes) ont considéré comme peine perdue : une autre tentative malavisée de la Maison de Mickey de plagier le succès de son rival Dreamworks, et probablement pas un bon film en soi. Ça remonte à quand, la dernière fois que Disney nous a surpris ?
Quel choc, alors, de voir que La Reine des Neiges n’est pas seulement un bon film, mais quelque chose qui n’est pas loin d’être un grand film : un retour délibéré par les studios Disney au style et à l’énergie de leur renaissance des 90’s (responsable, entre autres, de la naissance du phénomène encore d’actualité des princesses Disney) qui peut non seulement se placer parmi les meilleurs – dans le sens où c’est leur meilleur film depuis Mulan – mais réussit également à moderniser, réactualiser et même critiquer la formule rigide de la franchise sans tomber dans la vomissure de gags datés que nous servait Shrek. Sans vouloir en élaborer davantage, des fans à long-terme qui attendaient sans vergogne un retour à la forme dans l’esprit de La Belle et la Bête ou La Petite Sirène et ceux qui ont trouvé certains aspects de ces mêmes films irritants ou problématiques trouveront peut-être de la valeur dans La Reine des Neiges.
Pour des raisons techniques, le récit se dit être une adaptation libre du conte de Hans Christian Andersen, que Walt lui-même avait tenté d’adapter dans les années 1940 avant de conclure que l’affaire n’allait pas marcher avec la sauce Disney. Mais dans des termes plus pratiques, c’est une toute autre entité, et la première chose qui la différencie des autres contes de fées de Disney est fondamentale : c’est une histoire d’amour entre deux femmes (rangez les vannes sur La Vie d’Adèle, elles sont sœurs). La relation centrale de La Reine des Neiges est entre les deux filles de la famille norvégienne d’Arendelle, Elsa et sa jeune sœur Anna. Doublez le budget des poupées, maman et papa, il y aura deux princesses sur les étagères cette année.
L’histoire commence avec un prologue montrant l’enfance des deux frangines, mais cette fois le « Il était une fois… » classique laisse place à une ouverture assez sombre, chassant immédiatement la notion que les pouvoirs de glace peuvent être cool quand la magie blesse Anna de façon quasi mortelle, obligeant ses parents à effacer sa mémoire au sujet de ses pouvoirs. Et de là, les choses ne font qu’empirer : Elsa choisit de s’enfermer dans sa chambre et d’éviter tout contact humain, au grand désarroi d’Anna, qui n’a aucune idée de la raison pour laquelle sa sœur, jadis sa meilleure amie, s’est soudainement éloignée. Enfin, puisqu’on est bien chez la casa Disney, le roi et la reine (les seuls à connaître le secret d’Elsa et qui essayent de l’aider à vivre avec) meurent tous les deux dans un naufrage de bateau. Non, vraiment.
Au premier abord, cela semble un peu excessif : Elsa est déjà assez bousillée comme ça ; elle n’a pas besoin d’être Batman en plus. Et narrativement parlant, on sait tous que les parents doivent mourir pour qu’un malentendu puisse servir d’élément perturbateur plus tard sans qu’il y ait personne pour expliquer la situation, mais les faire crever maintenant plutôt que tardivement sert une fonction bien plus importante au scénario de Jennifer Lee : maintenant orphelines, les deux filles cessent de grandir.
En effet, une fois à l’âge adulte, Anna est toujours une gamine mignonne mais naïve qui cherche désespérément à être aimée et se retrouve aveuglée par des illusions drôlement typiques de Disney sur le fait qu’elle rencontrera son Prince Charmant™ (Disney, tous droits réservés) le jour du couronnement de sa sœur. Pour ce qui est d’Elsa, la métaphore est aussi subtile que possible dans un film pour enfants, mais néanmoins indubitable : elle est définitivement prise au piège par sa propre puberté ; renfermée, introvertie, terrifiée par les forces incontrôlables à l’intérieur de son corps et paralysée par l’idée de ce que penseront les gens si elle décide d’être elle-même. C’est un mélange d’Hermione Granger et de Carrie, mais avec le pouvoir d’une déesse et la perspective cauchemardesque de vivre la vie la plus publique imaginable.
Et bien entendu, une fois le grand jour du couronnement arrivé, tout vire au désastre : Anna a un Coup de Foudre™ (Disney, tous droits réservés) lorsqu’elle rencontre le beau Prince Hans, et son inconscience romantique déroute tellement Elsa qu’elle déchaîne ses pouvoirs et obtient exactement la réaction qu’elle craignait, la poussant à fuir dans les montagnes pour s’isoler définitivement et dans une des meilleures scènes du film, se lâcher enfin, créant un royaume de glace par la force de sa volonté et devenant la puissante reine en titre, tout en chantant la plus mémorable des mélodies Disney depuis des années. L’intrigue est lourdement pré-alimentée dans cette première heure, afin de dépêcher les autres protagonistes (Anna, un fermier de glace nommé Kristoff et un bonhomme de neige magique appelé Olaf) sur une quête, puisque « l’orgasme de neige » d’Elsa (désolé, mais c’est difficile de ne pas manquer la métaphore sur le passage à l’âge adulte ici) a recouvert le pays d’un hiver permanent.
Beaucoup de péripéties donc, dans ce qui n’est que le premier acte d’un film, mais elles sont nécessaires parce que la matière principale tourne autour des dynamiques entre personnages et la gestion d’une crise. Oui, il y a aussi des scènes de poursuites, des chansons et des moments d’humour, comme il se doit, mais tous sont au service de la question : Anna et Kristoff arriveront-t-ils à faire descendre Elsa de sa montagne ? Pendant ce temps, Hans, qu’on a laissé gérer l’épicentre du désastre à Arendelle (et qui se comporte en vrai gentleman, il faut le dire), essaye de retenir les dissidents qui préfèreraient lancer une attaque pour éliminer Elsa pour de bon. Mais le problème essentiel est toujours au centre : est-ce les sœurs pourront se rappeler comment s’aimer à nouveau et remettre tout en ordre ?
Et puis il y a l’acte trois, qu’il vaut mieux ne pas détailler, puisque c’est là où La Reine des Neiges commence à prendre des tournants brusques et inattendus qui emmènent le film hors d’un simple retour nostalgique parfaitement dosé aux jours de gloire du studio et de son genre, et vers quelque chose de carrément révolutionnaire. « Évolutionnaire », certainement : une indication que Disney a enfin compris, ce que ses fameux contes de fées doivent devenir pour exister dans le 21ème siècle.
Il est vrai que l’extérieur ne rassure guère ; pas seulement l’horrible campagne publicitaire autour d’Olaf, mais aussi le fait qu’Elsa et Anna ont l’air tellement « conventionnelles » pour des héroïnes Disney – ce qui est juste comme argument, jusqu’à ce qu’elles se mettent à bouger. L’animation des personnages est exprimée de manière superbe, l’héroïsme empressé mais complètement sincère d’Anna, pour ensuite le contraster avec les maniérismes tour à tour gênés et débridés d’Elsa, surtout quand elle invoque une colère à la Galadriel dans le deuxième acte et laisse perdurer l’incertitude quant à savoir si elle finira par rejoindre le panthéon des méchants ou pas. Elles se comportent uniquement comme des clichés habituels de Disney lorsqu’elles restent rivées sur place essayant de faire exactement cela, et le fait qu’aucune des deux ne puisse y arriver est plus ou moins le but derrière toute l’entreprise. Il y a aussi quelque chose d’insidieusement tordu dans le casting vocal d’Idina Menzel dans la version originale, surtout si on considère que son rôle le plus connu était dans la comédie musicale Wicked.
Alors oui, La Reine des Neiges n’est pas parfait (et ne nous faisons pas d’illusions, on n’a pas eu de perfection chez Disney depuis La Belle et la Bête), mais il est très proche de l’être. Il y a une scène d’action dans l’acte final qui pourrait supporter d’être un peu plus intense, peut-être, et on a l’impression qu’il manque une ou deux chansons ici et là, mais ce ne sont que de petites fissures autour de ce qui est honnêtement une base très solide.
Et même Olaf, ce foutu bonhomme de neige, est assez génial, finalement. Il est à l’écran juste assez pour ne pas devenir lourdingue, l’animation de son personnage amuse par sa créativité, et même la voix française de Dany Boon est tolérable (enviez les anglophones ; eux ont Josh Gad). Le gag basique qui tourne autour d’Olaf est son obsession de connaître l’été, sans avoir aucune idée de comment les lois de la météo et de la température marchent réellement. Mignon, certes, une fois ses origines expliquées, mais il est aussi mis en relief comme une figure bizarrement poignante, venant d’une compagnie qui a construit tellement de son identité moderne autour de l’idée de la démesure. Si ça ce n’est pas une surprise…
@ Daniel Rawnsley
Crédits photos : The Walt Disney Company France