[Critique] THE MASTER
Titre original : The Master
Rating:
Réalisateur : Paul Thomas Anderson
Distriution : Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman, Amy Adams, Jesse Plemons, Laura Dern, Rami Malek, Price Carson, Frank Bettag…
Genre : Drame
Date de sortie : 9 janvier 2013
Le Pitch :
Alors qu’il revient du Pacifique, où il a livré bataille avec ses frères d’arme de la Marine américaine, pendant la Seconde Guerre Mondiale, Freddie a beaucoup de mal à gérer son existence chaotique. Alcoolique, instable et parfois violent, il croise la route du Maitre, le leader charismatique d’un mouvement nommé La Cause, qui le prend rapidement sous son aile…
La Critique :
Il est de retour ! Joaquin Phoenix n’est pas devenu un rappeur raté, pas plus qu’il ne s’est enfoncée dans une spirale mégalomaniaque bizarroïde et à fleur de peau. I’m Still Here, le faux documentaire de Casey Affleck, où Phoenix jouait son propre rôle en faisant brillamment avaler des couleuvres à la chaîne à son public et à ses congénères du milieu, était un fake. Joaquin Phoenix est de retour. De retour au cinéma. Celui qui remue les tripes.
Car, si on se doutait que l’annonce d’une retraite anticipée de l’acteur, cachait une manœuvre habile visant à mener en bateau son monde, on savait aussi que le film qui verrait Phoenix revenir aux affaires ferait très mal. Une impression qui s’est considérablement renforcée, lorsqu’on a ensuite appris que ce come-back se ferait sous la direction de Paul Thomas Anderson. Cette année, Joaquin Phoenix retrouvera aussi James Gray. Alors oui, il est de retour. L’enfant prodige du cinéma américain. Le Phoenix a retrouvé toutes ses plumes et oui, ça fait très mal.
Sa performance dans The Master est un défi lancé au métier même d’acteur. Joaquin Phoenix ne joue pas. Il est. Cela peut paraître évident dit comme ça, mais il est très difficile d’appréhender l’intensité avec laquelle il incarne son personnage.
Plonger dans son regard, lorsque la caméra s’y attarde, permet de toucher du doigt la folie créatrice d’un comédien totalement investi dans son rôle. Délesté d’une bonne quinzaine de kilos, le visage émacié, traversé d’expressions trahissant la bataille que livre son inconscient et sa morale avec ses démons et la posture voûtée, le comédien est à lui seul une bonne raison de se jeter sur The Master.
Le spectacle est permanent et rien n’est fait à moitié. La voix profonde, Phoenix s’arrange, tout en jouant sur une économie des mots, à tracer les contours d’une personnalité borderline des plus complexes. En cela, il incarne la somme des thématiques que porte le long-métrage en son sein, trouvant chez les autres acteurs un écho perpétuel.
Chez Philip Seymour Hoffman bien sûr. Habitué des films de Paul Thomas Anderson (c’est la cinquième fois que le comédien tourne sous sa direction), Hoffman prouve une nouvelle fois son caractère polymorphe et prend les traits d’une version non avouée, mais bel et bien évidente, de Ron Hubbard et plus généralement de ces gourous destructeurs d’âme. À ses côtés, dans un rôle terrifiant de calme et de contrôle, Amy Adams perturbe de manière exponentielle et prouve quant à elle à quel point elle fait bel et bien partie des grandes comédiennes de sa génération.
Le casting dans son intégralité fait un boulot admirable. Anderson est un excellent directeur d’acteur. Armé de son objectif 70mm, il s’attarde souvent sur les visages, perce les secrets de ses personnages et utilise à bon escient le moindre détail de la géographie des corps et des expressions. À l’heure actuelle, peu de cinéastes font à la fois preuve d’autant d’écoute envers leur comédiens, même si, paradoxalement, tout apparaît très « écrit » chez Anderson. Et bien écrit, car si le réalisateur sait précisément restituer les ambiances et les époques, ainsi que la tension sous-jacente (ou pas) qui rythme ses scènes, il écrit aussi remarquablement bien. Le script de The Master va piocher dans l’histoire d’un pays qui, au terme du dernier conflit d’envergure mondiale, a compté dans ses rangs de nombreuses brebis égarées. The Master raconte le trajet de l’une de ces âmes esseulées, trouvée par hasard par un meneur d’homme bien conscient de la puissance que pouvait représenter le fait d’asservir de tels personnalités.
Paul Thomas Anderson brosse alors la naissance d’une secte dans tout ce que peut avoir de sordide un mouvement pareil. Le long-métrage rappelle donc les idées et le fonctionnement de la scientologie, mais il serait réducteur de s’en tenir là. Il est question de toutes les sectes et plus largement de tous les mouvements qui se proposent de réinventer la vie, par le biais de thèses plus ou moins farfelues, qui nécessitent une refonte complète du caractère.
The Master retranscrit, avec force, tout en prenant son temps (un peu trop peut-être), le cheminement d’un homme cassé et paumé, confronté à ces techniques effrayantes, visant à détruire pour mieux reconstruire. Dans le rôle du dieu de substitution Philip Seymour Hoffman prend tout d’abord l’aval sur la victime, interprétée par Joaquin Phoenix. La lutte intestine que se livrent les deux hommes va au-delà des clichés et apparaît d’une authenticité probante et plus d’une fois perturbante.
Sans avoir recours aux réflexes clichés inhérents aux films psychologiques, The Master préfère se focaliser sur l’insidieuse apprêté de son contexte. Sur son côté pervers. Personne n’est irréprochable ici et le combat qui se mène est bien plus universel qu’il n’y paraît. À sa façon, chacun lutte pour sa survie.
Pamphlet évoquant la dépendance sous bien des formes, The Master est un grand film. Jamais moralisateur ni manichéen. Une œuvre maîtresse parfois difficile à appréhender, mais bel et bien (et constamment) fascinante. Elle prend au tripes, effraie et ne relâche jamais son étreinte. Magnifiquement filmé, mis en musique avec la grâce et l’insistance laconique qui caractérise la prose musicale de Jonny Greenwood, le film offre des plans vertigineux, d’une beauté à couper le souffle ainsi qu’une poésie terrassante.
Les combinaisons comme celle-là sont rares. Cinq ans après l’impressionnant There Will Be Blood, Paul Thomas Anderson embrasse à nouveau un grand sujet. Il démontre d’une maturité amorcée avec son précédent film, même si on peut être en droit de préférer ses premiers films.
Autrefois proche du cinéma de Scorsese, il dessine maintenant sa propre route et ne choisit jamais la facilité. Tel le génie qu’il est.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Metropolitan FilmExport
il a l air bien ce film gilles