[Critique] THE VOICES
Titre original : The Voices
Rating: (moyenne)
Origines : États-Unis/Allemagne
Réalisatrice : Marjane Satrapi
Distribution : Ryan Reynolds, Gemma Arterton, Anna Kendrick, Jacki Weaver, Ella Smith, Gulliver McGrath, Adi Shankar, Sam Spruell…
Genre : Horreur/Comédie/Drame
Date de sortie : 11 mars 2015
Le Pitch :
Sous ses apparences de gentil garçon, et d’ouvrier modèle, Jerry est loin d’être un type comme les autres. Chez lui, il cause régulièrement avec Bosco, son chien, qui lui dispense de sages conseils, et avec M. Moustache, son chat, qui par contre, le pousse à satisfaire ses bas instincts. Un poil tiraillé, Jerry parvient néanmoins à mener une vie à peu près normale, entre son boulot, les séances de psychothérapie, et les papillons dans le ventre que lui colle Fiona, cette superbe anglaise de la compta de son usine. Bref, tout va plutôt bien pour Jerry. Les médicaments qu’il prend lui assurant un équilibre un petit peu précaire. Le truc étant de ne pas les oublier…
La Critique (Pamalach) Rating: : ICI
La Critique (Gilles) Rating: :
The Voices marque les débuts de Marjane Satrapi aux États-Unis. Aux commandes du film, la cinéaste notamment populaire pour son Persepolis, adapte un scénario longtemps resté sur la célèbre black list (celle qui rassemble les scripts les plus convoités). L’histoire d’un type sévèrement ravagé du bulbe mais sympathique, qui cause avec son chien et avec son chat, tout en essayant d’emballer sa jolie collègue…
La réalisatrice déboule donc et, premier constat, s’arrange pour remodeler les contours du récit, comme elle a pu le faire avec ses précédents films, pour en faire une œuvre personnelle. Suffisamment en tout cas pour que The Voices permette de rapidement reconnaître la patte de Marjane Satrapi, qui dessine un univers légèrement décalé, en se servant notamment de la schizophrénie du personnage principal, dont l’un des effets immédiats est d’embellir un quotidien en réalité plutôt morne. Blouse rose, intérieurs légèrement désuets, tenues bariolées, ruptures de ton, Marjane Satrapi a pleinement réussi à s’approprier l’histoire, qui se positionne dans la stricte lignée de ses livraisons précédentes. Du coup, avec son mélange de genres improbables, The Voices ne ressemble qu’à lui-même et brille par une belle cohérence, alors qu’entre d’autres mains, tout ceci aurait pu ressembler à un gros bordel difforme, uniquement focalisé sur le gore et plus globalement sur l’horreur.
The Voices est typiquement le genre de long-métrage qui peut entraîner des spectateurs à quitter la salle avant la fin. Comment peut-il en effet en être autrement alors qu’il semble impossible de le vendre correctement, quand on décide -comme c’est le cas- de le proposer au plus grand nombre ? Ce genre de truc étant d’habitude destiné à un public bien spécifique, à la recherche de sensations fortes et originales, et cherchant bien souvent le choc que les films plus consensuels ne lui apportent plus depuis bien longtemps. Une bonne nouvelle donc de voir, toujours très rapidement, que Marjane Satrapi a décidé d’y aller franco et d’explorer toutes les pistes qu’offrait le projet.
La piste comique dans un premier temps, avec M. Moustache, le chat diabolique qui cause et Bosco, le gentil toutou qui dispense de sages conseils à son maître. Une sorte de déclinaison du petit diable et de l’ange posés sur les épaules des héros dans les dessins-animés. Particulièrement bien écrits, les dialogues font des échanges entre Ryan Reynolds et ses deux animaux de compagnie, de grands moments de comédie. L’acteur, qui double d’ailleurs lui-même le Chat et le Chien, avec des voix particulièrement adaptées à leurs intentions et à leur apparence. Bingo ! The Voices manie un humour ciselé, à la fois vulgaire, frondeur et plutôt fin, qui s’illustre également via des séquences gentiment surréalistes, musicales ou non, qui soulignent un petit peu plus le côté décalé de l’ensemble.
Et puis brusquement, quand Jerry, le protagoniste principal, se révèle telle une déclinaison rose bonbon de Norman Bates, The Voices bascule dans l’horreur. Pas une horreur light à la Souviens-toi l’été dernier, mais une horreur bien glauque, qui appuie là où ça fait mal, en exacerbant les douleurs enfouies de Jerry. Si il peut être hilarant, le film sait aussi mettre mal à l’aise, avec notamment une poignée de scènes brutes de décoffrage, où l’humour est totalement absent.
Conte macabre sur la solitude d’un homme perturbé, réinterprétation du complexe d’œdipe, sorte de Psychose contemporain, le nouveau film de Marjane Satrapi met souvent mal à l’aise. Presque autant qu’un Henry, Portrait of a Serial Killer, quand bien même le héros n’apparaît jamais vraiment comme un méchant, mais plutôt comme un type plutôt gentil, qui a la faiblesse d’écouter les mauvais conseils de son chat, plutôt que ceux de son chien. La réalisatrice a donc opté pour une approche éclairée de la schizophrénie, pour faire de Jerry, une victime de lui-même, avant tout portée sur la fameuse recherche du bonheur.
Parfois un peu bancal (mais pouvait-il en être autrement dans ces conditions ?), The Voices fait quand même souffler un vent frais sur le genre horrifique. Le fait qu’il soit porté par trois acteurs de premier plan aide aussi à le démarquer de la majorité des productions, tant leur présence confère à elle seule un savant décalage plutôt jubilatoire. Et puis, force est de reconnaître que Ryan Reynolds tient là un de ses meilleurs rôles. Bien dirigé, il est parfait dans la peau de ce gentil serial-killer complètement détraqué, et arrive à traduire les intentions du scénario et de la réalisatrice. Attachant, il est au centre de la dynamique émotionnelle du film en alternant rires et larmes, sans oublier l’effroi, avec une pertinence et un talent que beaucoup ne lui soupçonnaient pas. En face, dans le rôle de l’idéal féminin, la spectaculaire Gemma Arterton est complètement à sa place, tandis qu’Anna Kendrick semble prendre conscience que The Voices lui permet de faire enfin quelque chose de plus mordant et de moins consensuel.
Le trio gagnant du film est bien sûr complété par Bosco et par M. Moustache, ces animaux de compagnie pas comme les autres, eux aussi responsables de l’originalité du film et de sa capacité à offrir un roller coaster pas toujours pleinement maîtrisé, mais remarquable sur bien des points, et en cela recommandable plutôt dix fois qu’une. Un vrai film de genre, bien déviant, bien glauque, bien drôle, furieusement jusqu’au-boutiste et onirique au possible!
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Le Pacte