[Critique] VICE-VERSA

CRITIQUES | 18 juin 2015 | Aucun commentaire
Vice-Versa-poster

Titre original : Inside Out

Rating: ★★★★★
Origine : États-Unis
Réalisateur : Pete Docter
Distribution : en V.O. : Amy Poehler, Bill Hader, Mindy Kalling, Lewis Black, Phyllis Smith, Diane Lane, Kyle MacLachlan, Richard Kind… / En V.F. : Charlotte Le Bon, Marilou Berry, Pierre Niney, Mélanie Laurent, Gilles Lellouche…
Genre : Animation/Comédie/Drame
Date de sortie : 17 juin 2015

Le Pitch :
Au Quartier Général, à l’intérieur de la tête de la jeune Riley, cinq Émotions travaillent d’arrache-pied. Joie, toujours souriante, volontaire et de bonne humeur, veille à ce que Riley soit heureuse, tandis que Peur se charge de sa sécurité. Colère, de son côté, s’assure que personne ne marche sur les pieds de la fillette et Dégoût prend garde à ce que nul n’empoisonne Riley (dans tous les sens du terme). Tristesse enfin, a bien du mal à trouver sa place, tant son pessimisme semble empêcher les choses de suivre leur bon déroulement.
Lorsque Riley et ses parents déménagent, alors que tout allait bien dans le meilleurs des mondes, les Émotions sont confrontées à de nouvelles difficultés. Alors que les problèmes s’enchaînent pour l’enfant, qui n’arrive pas à se faire à sa nouvelle vie, Joie et Tristesse sont accidentellement projetées aux confins de l’esprit de cette dernière. Pour revenir au Quartier Général, où sans elles, le désordre se fait de plus en plus préoccupant, les deux amis devront traverser des zones aussi étranges qu’inhabituelles. Un grand voyage commence et de son bon déroulement dépendra la façon dont Riley passera ce cap difficile…

La Critique :
C’est Cars 2 qui marqua une franche rupture qualitative après une série de chefs-d’œuvres assez incroyable. Dès lors, Pixar a clairement eu du mal à redécoller pour renouer avec l’excellence de toutes ses autres productions. Certes Rebelle ne manque pas de qualités, mais l’étincelle propre au studio à la lampe de bureau peine à y briller avec la même intensité que dans Toy Story par exemple ou encore Wall-E. Monstres Academy, le premier péequel de la firme, a beau être bourré de bonnes idées et marqué par un remarquable sens du rythme, quelque chose manque également. L’effet de surprise peut-être, même si le plaisir de retrouver de vieux amis est bel et bien là. Dans ce laps de temps, alors que nous assistions à la montée en puissance d’une concurrence de plus en plus féroce (Dreamworks avec les deux incroyables Dragons arrive en tête de liste), Pixar cherchait son second souffle. Avec son pitch aussi improbable que prometteur, Vice-Versa s’est rapidement imposé comme le film qui avait tout le potentiel pour vraiment repositionner Pixar dans la course. Aux commandes, Pete Docter, soit l’un des génies du studio, effectuait son retour, quelques cinq années après Là-Haut, que beaucoup considèrent comme le meilleur Pixar. Tout semblait réuni pour que le long-métrage soit une réussite. L’erreur n’était pas permise et l’approximation non plus. Il fallait que cette nouvelle production mette tout le monde d’accord ! Alors à l’arrivée, qu’en est-il ?
Et bien Pete Docter a réussi son pari ! Vice-Versa est une merveille de tous les instants.

Vice-Versa-joie-tristesse

Le film repose sur une idée de génie, propulsée par une audace extraordinaire. Si l’action se concentre sur un épisode douloureux de la vie d’une petite fille, elle relate surtout quelque chose de très banal, en prenant soin de ne rien négliger. Pas de gros drames, ni d’aventures rocambolesques pour la jeune Riley. Juste un déménagement difficile et les prémices du passage à l’âge adulte. En soi, rien d’extraordinaire dans cette situation que nombre d’entre nous ont déjà vécue. Le truc, c’est qu’ici, tout est décuplé. Pete Docter a pour cela choisi de se focaliser sur les émotions primaires, à savoir la joie, la peur, la tristesse, le dégoût et la colère et de leur donner vie. Les vrais héros de Vice-Versa squattent ainsi la tête de la petite fille et pour eux, ce simple déménagement s’apparente à la première véritable épreuve d’une vie qu’ils pilotent au mieux. Souligné de cette manière, le déracinement auquel Riley doit faire face, prend des proportions énormes et offre un prétexte en or au film pour que celui-ci parte dans tous les sens, sans jamais perdre de vue son objectif premier. Et d’ailleurs, le déménagement n’est au fond qu’un prétexte. L’important ici est de traiter du cap que la gamine doit franchir pour sortir de la petite enfance avant de sauter à pieds joints dans l’adolescence. Les cinq émotions, de leur côté, doivent improviser, ne sachant pas vraiment ce qu’il se passe quand les rêves, les espérances et les centres d’intérêt de leur hôte s’écroulent brutalement (au sens propre) pour permettre une reconstruction qu’ils ne savent pas indispensable à une évolution qui l’est tout autant.
Cela dit, Vice-Versa prend tout d’abord le temps de poser le décors et de nous expliquer le bon fonctionnement du fameux Quartier Général où sont basées les Émotions. Sans qu’il ne se passe quoi que ce soit de particulier, le film parvient d’emblée à être passionnant. La mise en place est si minutieuse et si inspirée que le seul fait de voir l’esprit de cette petite fille fonctionner à plein régime relève de l’émerveillement total. Chacun tient bien son rôle, les souvenirs se fabriquent avant de rejoindre les gigantesques archives, et Joie, Colère, Tristesse, Dégoût et Peur se partagent les tâches. Quand intervient le déclic qui va les propulser dans une aventure en forme de roller-coaster visuel et émotionnel, l’exploration continue. Tout ce que nous voyons jusque-là en arrière plan devient le terrain de jeu d’un réalisateur en pleine possession de ses moyens, et le film ne semble plus avoir de limites, comme en témoigne par exemple l’arrivée d’un personnage incroyable, à savoir l’ancien ami imaginaire de Riley, un hybride de plusieurs animaux, prêt à tout pour faire à nouveau partie de la vie de celle qu’il a accompagné de nombreuses années.
Quel formidable concept pour offrir au spectateur un tel cocktail d’émotions que d’avoir choisi de faire de ces mêmes émotions des personnages à part entière ! Dans ces conditions, il est clair que Vice-Versa va bien plus loin que la plupart des films d’animation (on peut d’ailleurs rayer le terme « animation »). Pixar renoue avec l’universalité qui a fait sa légende et se paye le luxe de pousser encore un peu plus loin une exigence folle. Trésor d’écriture, le film a tout à fait compris la valeur de ces petites choses qui font de la vie ce qu’elle est, et sans tomber dans le manichéisme ou l’excès, illustre un propos fédérateur, dans lequel enfants et adultes se reconnaîtront aisément.

Sur un plan purement formel aussi, Vice-Versa est une bombe. Très vite, Pete Docter impose sa patte. La filiation avec Là-Haut est probante et c’est une bonne chose. Le monde de « l’intérieur » regorge de couleurs, casse les codes, se permet tout et donne les coudées franches au réalisateur pour virevolter sans que rien ne vienne se mettre en travers de sa route. Les scènes se déroulant à « l’extérieur » par contre, tranchent violemment avec ce festival de nuances, surtout dès lors que les nuages s’amoncellent au-dessus de l’héroïne. Inspiré par le cinéma de David Fincher, les artisans de Pete Docter ont su illustrer la morosité et la gravité d’une façon en effet très proche du cinéma du réalisateur de The Social Network. Les tonalités sont plus sombres, le gris domine, provoquant une sorte d’étouffement raccord avec le ressenti de Riley. Ce décalage est probant et permet au long-métrage d’entretenir une dynamique absolument géniale au sein de laquelle les deux mondes se répondent, tout en étant en permanence spectaculaire et superbe. L’animation démontrant quant à elle d’une technique toujours plus bluffante, avec ce petit-quelque chose de désuet totalement charmant.
Pendant ce temps, tranquillement, Docter distille une émotion à fleur de peau, sans avoir l’air de se donner du mal. À l’instar des grands films, Vice-Versa dégage une sorte de spontanéité qu’il est tentant de qualifier de magique, tant tout s’imbrique pour au final former un tout cohérent, osé, et incroyablement vrai.

Fantasque, Vice-Versa l’est assurément. Original aussi, cela va de soi. À contrario de ces œuvres qui cherchent sans arrêt à surprendre en tombant dans des travers malheureusement trop fréquents, le nouveau Pixar se « contente » de faire confiance à la fabuleuse idée centrale qui lui sert de moteur. Il donne vie à un univers vaste au sein duquel cohabitent les souvenirs, les questionnements, les peurs, les envies, aspirations et autres rêves. D’une justesse absolue, à la fois très drôle et vraiment émouvant, il parvient à tirer partie de situations pourtant parfois vraiment extravagantes. Qui d’autre peut faire pleurer avec un éléphant en barbe à papa ? Pas de doute, Pete Docter est un génie et Pixar à nouveau sur le trône qui fut le sien pendant 15 ans, depuis Toy Story, jusqu’à Toy Story 3. La complexité, l’intelligence, la totale compréhension de questions philosophiques universelles et la propension à lier le tout de manière à le rendre abordable à tous les publics, font de cette œuvre un classique instantané. Un bijou d’animation à la fluidité exemplaire et au propos des plus touchants. Une perle brute à voir et à revoir. Chef-d’œuvre.

Tradition oblige, Vice-Versa est précédé d’un court-métrage. Intitulé Lava, ce film de 7 minutes, réalisé par James Ford Murphy peine à convaincre. Graphiquement superbe, baigné dans une atmosphère hawaïenne au rendu impeccable, il s’intéresse à la romance de deux volcans perdus en plein océan. Oui c’est mignon, mais ni les chansons (ou plutôt la chanson) omniprésentes, ni le postulat de départ, un peu bancal, n’arrivent à déboucher sur quelque chose d’aussi enchanteur que prévu. Et cela malgré une animation assez incroyable. Si votre cinéma ne l’a pas diffusé (ce qu’il n’est pas obligé de faire), n’ayez pas de regrets…

@ Gilles Rolland

Vice-Versa-castCrédits photos : The Walt Disney Company

 

Par Gilles Rolland le 18 juin 2015

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