[Critique série] TRUE DETECTIVE – Saison 1
Titre original : True Detective
Rating:
Origine : États-Unis
Créateur : Nic Pizzolatto
Réalisateur : Cary Fukunaga
Distribution : Matthew McConaughey, Woody Harrelson, Michelle Monaghan, Tory Kittles, Kevin Dunn, Alexandra Daddario, Elizabeth Reaser, Jay O. Sanders, Michael Potts…
Genre : Policier/Thriller/Drame
Diffusion en France : OCS
Nombre d’épisodes : 8
Le Pitch :
Louisiane, 1995 : Rust Cohle et Martin Hart, deux inspecteurs de police, sont chargés d’enquêter sur le meurtre d’une jeune femme. Retrouvé au pied d’un arbre, le corps nu, a également fait l’objet d’une mise en scène macabre. Des années plus tard, les deux inspecteurs, interrogés dans le cadre d’une autre investigation, reviennent sur les faits…
La Critique :
C’est en juillet 1997 que débute la révolution HBO. Celle qui chamboula le petit monde des séries en imposant un nouveau modèle, qui allait sur le long terme modifier considérablement l’image de la création télévisuelle. Autrefois considérée comme une voie de garage réservé à des acteurs rejetés par le cinéma, la télévision est aujourd’hui un refuge d’un autre genre. Un endroit de liberté de ton, où tout est permis (ou presque). Un lieu qui voit débouler les grandes stars, y-compris quand ces dernières cartonnent sur grand écran. Exactement comme Matthew McConaughey, avec True Detective, le dernier choc en date estampillé HBO, qui a fait exploser les serveurs de la chaîne lors de la diffusion de l’ultime épisode d’une première saison qui fera date.
Nic Pizzolatto publie Galveston, son premier roman, en 2010. Un livre acclamé par la critique, un peu partout dans le Monde. C’est ensuite, en 2012, qu’il s’attelle à l’écriture de son nouveau livre, qui deviendra par la suite le script de True Detective, après que la chaîne HBO se soit montrée séduite par la narration complexe et les thématiques soulevées par cette histoire aussi crépusculaire que tortueuse. Parallèlement, Pizzolatto est embauché par AMC pour bosser sur The Killing. Juste histoire de s’échauffer avant de plonger dans le grand bain.
HBO laisse les coudées libres à l’écrivain promu scénariste qui affirme vouloir débaucher Matthew McConaughey, pour jouer l’un des deux rôles principaux, après avoir vu La Défense Lincoln. Film qui, on le rappelle, peut tout à fait être considéré comme celui de la renaissance pour l’ex-golden boy abonné aux comédies romantiques d’Hollywood qui enchaîne depuis les performances mémorables dans des films qui ont tendance à en jeter eux-mêmes (seul Paperboy fait véritablement exception, mais McConaughey y est néanmoins fantastique). En pleine bourre, l’acteur accepte de faire un crochet à la télé. Ce qu’il n’avait jamais fait avant. Tout comme son pote Woody Harrelson, qu’il emmène dans son sillage, sans que l’ex-Tueur Né ne proteste le moins du monde en affirmant faire totalement confiance à son ami.
Ne manquait plus qu’un réalisateur pour emballer la vision de Pizzolatto. C’est le relativement inconnu au bataillon Cary Fukunaga qui décroche le job (il avait alors tout de même réalisé Sin Nombre et Jane Eyre). Un metteur en scène d’ailleurs associé à la nouvelle adaptation de Ça, le roman de Stephen King au cinéma.
Totale innovation : Pizzolatto écrit tous les épisodes, tandis que Fukunaga les réalise. Alors que toutes les séries font appel à de nombreux scénaristes et réalisateurs , supervisés par le showrunner, True Detective se détache en reposant sur le travail conjoint d’un seul scénariste/showrunner et d’un seul réalisateur. Deux artistes pour emballer une saison qui racontera une histoire avec un début et une fin. Pas de cliffhanger au programme, ni d’ouverture sur une saison 2 (même si elle aura bien lieu). Une innovation qui confère à la série des airs de long film, alors que le résultat final viendra volontiers confirmer cette impression initiale.
Le premier exemple qui vient à l’esprit quand on veut aborder le talent visionnaire de Cary Fukunaga, est bien sûr l’épisode 4. Épisode qui comprend un extraordinaire plan séquence de 6 minutes. Une scène ahurissante qui s’inscrit instantanément dans les annales et qui cristallise les ambitions de la production télévisuelle de qualité. On est alors tenté d’affirmer que jamais une série n’a proposé quelque chose du genre. Que désormais, c’est à l’orée de True Detective et de sa superbe inconscience des limites imposées par des règles qui n’ont plus lieu d’être, qu’il faudra envisager le futur de la fiction destinée au petit écran. Tout est amené à changer, et True Detective se pose comme une étape cruciale. Et là, il n’est pas seulement question de ce plan séquence, mais de la série dans son intégralité. Prouesse flagrante et spectaculaire, cette scène de chaos urbain n’est « que » le point d’orgue d’une mise en scène complexe, qui même si elle évoque David Fincher, Terrence Malick et Jeff Nichols (pour le côté contemplatif), impose la vision d’un réalisateur totalement en phase avec les intentions initiales du projet.
L’œil de Fukunaga dessine alors les contours des personnages en orchestrant leurs interactions de la plus poétique des manières. Une poésie brutale et sombre, dont l’écho répond au nihilisme qui se dégage d’un script crépusculaire, bourré de références et proposant de nombreuses pistes de réflexion.
Nic Pizzolatto est un romancier. Il écrivait avant d’être courtisé par HBO. Chef d’orchestre d’un récit qu’il a intégralement imaginé, Pizzolatto souligne les vertus d’une équipe réduite. En traduisant à l’écran sa propre histoire, il en contrôle les moindres détails. La formidable symbiose avec son réalisateur faisant le reste. Ensemble ils balayent une grande variété de genres. Si True Detective est avant tout un thriller, il faut tout de même préciser qu’il s’apparente souvent à un drame. Un drame dur qui cause du temps qui passe, de l’amitié, de l’accomplissement de soi, du deuil, du couple et de la famille. Le show bifurque également volontiers du côté du film d’épouvante. Particulièrement quand les héros s’aventurent dans le bayou d’une Louisiane exploitée par Fukunaga pour sa propension à offrir une toile de fond crasseuse, poisseuse et ô combien oppressante.
Pizzolatto exploite alors pleinement le tissu des légendes qui font partie intégrante de l’histoire des régions empreintes d’un mysticisme profondément ancré, comme en témoignent les multiples références au Roi en Jaune, le recueil de nouvelles de Robert W. Chambers (1895), que la série cite plusieurs fois (le livre est d’ailleurs en rupture de stock dans plusieurs pays, alors qu’il n’intéressait jusqu’à maintenant presque personne), notamment via le mystérieux Yellow King qui fait planer son ombre sur Cohle et Hart tout au long de leur investigation.
True Detective ne se contente pas de raconter comment deux types que pas grand-chose ne réunit, se lancent sur les traces d’un tueur adepte de rituels sataniques. Elle construit aussi sa propre mythologie, sur un terreau fait de fictions et de légendes ; tirées de la littérature classique et d’ailleurs. La série pénètre les tréfonds de l’âme humaine sans s’imposer de limites.
En cela, True Detective reste tout de même -c’est important de le préciser- plutôt difficile d’accès. Déconseillée aux spectateurs les plus jeunes, elle n’y va pas avec le dos de la cuillère et dégage un parfum de souffre malsain dont les émanations ne se dissipent que longtemps après la dénouement. Elle s’avère aussi difficile, pour la simple et bonne raison qu’elle se situe à l’opposé de ce que l’on a prit l’habitude de voir à la télévision (et au cinéma). Bien loin des canons imposés par Les Experts, True Detective ne joue pas la facilité. Le simple fait que l’on puisse trouver sur le net des schémas visant à clarifier les tenants et les aboutissants du récit, indique bien qu’il est facile de s’y perdre. Vous loupez un épisode et hop, tout devient flou car tout est important dans True Detective. Le moindre petit détail contribue à édifier la structure et à en faire ce qu’elle est au final.
Le rythme est de plus assez lent. La réalisation, comme mentionné plus haut, se fait souvent contemplative et les dialogues égrainent une philosophie existentialiste complexe.
Néanmoins, pas besoin de connaître par cœur l’œuvre de Kant ou de Nietzsche pour piger quelque chose à la série. Pizzolatto a pensé à tout et si sa série est exigeante, elle n’est pas non plus élitiste et hautaine. Il suffit juste de lâcher prise. Comme Martin Hart, le personnage incarné par Woody Harrelson. Illustrant le point de vue du spectateur, Hart fait comme nous connaissance avec Rust Cohle, le personnage incarné par Matthew McConaughey. Quand l’approche policière de Hart ressemble davantage à celle que nous avons l’habitude de voir dans les séries télé, celle de Cohle va plus loin. La friction qui en découle constitue l’un des nombreux moteurs à injections qui propulsent True Detective dans les étoiles. Suivant une sorte de dynamique très « buddy movie », où l’humour est néanmoins modéré (en clair, on est pas dans L’Arme Fatale 3), le duo Cohle/Hart et les interactions qui en découlent permettent de lier habilement les tenants et les aboutissants de l’histoire, tout en ouvrant suffisamment de portes. L’alchimie entre les deux tourne très vite à plein régime. Bien sûr c’est en grande partie grâce à l’investissement des deux comédiens, dont l’amitié à la ville, se transforme habilement en une relation complexe, entre respect, haine et amitié contrariée.
Parfaitement dans le ton, Harrelson et McConaughey sont bien entendu parfaits. On loue, à juste titre, l’incroyable performance hallucinée et viscérale de Matthew McConaughey, ahurissant de bout en bout, dans la peau d’un type torturé et amené à renoncer petit à petit à toute forme d’existence « classique » et sociale ; mais il ne faut pas oublier Woody Harrelson, sans qui le show ne serait pas le même. Force tranquille, soumise à des démons différents que ceux qui harcèlent la psyché de son collègue, Martin Hart peut compter sur l’extraordinaire faculté d’Harrelson à comprendre ce mélange de force brute et de faiblesse parfois pathétique. En soi, il est celui auquel on s’attache en premier lieu, même si parfois, il fait tout pour se faire détester, alors qu’il se hait lui-même. Entre parties fines hors mariage, et passages à tabac plus ou moins légaux, Harrelson laisse exploser un talent qui permit à des films comme Tueurs Nés, Larry Flint ou plus récemment Les Brasiers de la colère, de s’inscrire dans le grand livre de la fiction américaine.
À leurs côtés gravitent de nombreux personnages, tous campés avec goût par des acteurs plus ou moins connus. Michelle Monaghan par exemple, se glisse avec aisance dans son rôle de femme mariée et s’avère plus que solide, tandis qu’Alexandra Daddario incarne l’atout charme du show avec un dévouement qui force l’admiration.
Violente, dérangeante, sulfureuse et plus généralement sans concession, True Detective joue aussi sur la corde sensible. Sans dévoiler quoi que ce soit de cette intrigue passionnante, il faut savoir que la palette d’émotions déployée est impressionnante. En huit épisodes, True Detective marque une étape importante dans l’histoire de la télévision. Authentique chef-d’œuvre, terriblement addictif, le show, d’ores et déjà culte, n’a certainement pas fini de faire parler de lui.
Espérons que pour la saison 2, qui racontera une nouvelle histoire, avec des nouveaux acteurs, soit à la hauteur de cet incroyable premier acte. Un acte qui peut s’entrevoir comme un film. Qui DOIT s’entrevoir comme un film. Une œuvre admirable qui laisse sur le carreau.
Nota Bene : Le générique, avec la musique de The Handsome Family, est un chef-d’oeuvre à lui seul.
@ Gilles Rolland