[Critique] BAD LIEUTENANT : ESCALE À LA NOUVELLE-ORLÉANS
Titre original : The Bad Lieutenant: Port of Call New Orleans
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Werner Herzog
Distribution: Nicolas Cage, Eva Mendes, Val Kilmer, Fairuza Balk, Brad Dourif, Jennifer Coolidge, Xzibit…
Genre : Crime/Policier/Drame
Date de sortie : 17 mars 2010
Le Pitch:
Le lieutenant Terrence McDonagh est un homme dont la tête est sur le point d’exploser. Il s’est pété le dos en sauvant un prisonnier de la noyade après l’ouragan Katrina et devra prendre des médicaments puissants toute sa vie. Puis il y a les drogues, le boulot, le crime, les dettes, sa famille, et Frankie, la prostituée dont il est amoureux et pour qui il prend des risques de plus en plus grands. Le tout en enquêtant sur le meurtre d’une famille d’immigrés africains. McDonagh fait parler son badge et son flingue pour parvenir à ses fins. Mais il y a un criminel qu’il ne peut pas attraper : lui-même…
La Critique :
Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle Orléans dessine le portrait sinistre d’un violeur, d’un meurtrier, d’un toxicomane, d’un flic ripou et d’un dégénéré paranoïaque qui s’inquiète de la présence d’iguanes. Tout à la fois. Ce film hypnotisant de Werner Herzog le place dans une Nouvelle-Orléans dévastée par l’ouragan Katrina. Il ne fait aucun effort pour donner à cette ville légendaire un air flatteur ou glamour. Et peu à peu, il se révèle comme étant une comédie sombre et sournoise à propos d’un homme perfide mais courageux.
Personne n’est mieux placé pour ce genre de performance que Nicolas Cage. C’est un acteur qui n’a peur de rien. Il s’en fout si on croit qu’il dépasse les bornes.
Cette idée bizarre au sujet du casting, qui se répète souvent aujourd’hui, renvoie à une quinzaine d’années, où quelqu’un travaillant pour Jerry Bruckheimer, le méga-producteur de films d’action, prit une décision farfelue. Et s’ils faisaient un de leurs gros blockbusters bruyants, violents et ultra-machos en remplaçant le héros habituel (qui était souvent le monsieur-muscles typique, un spécialiste d’arts martiaux, ou même un gros dur vraisemblable) par un de ces mecs loufoques, imprévisibles, et quasi-barjos sortis tout droit du cinéma indépendant ? Quelqu’un comme Nicolas Cage, par exemple…
À voir la réussite de Rock ou Les Ailes de l’Enfer, l’idée était bonne. On pourrait aussi attribuer ce phénomène à tous les autres exemples récents de casting décalé : Johnny Depp en Capitaine Jack Sparrow, Jake Gyllenhaal en Prince of Persia, ou Michael Cera dans presque tous ses films.
Et même si certains peuvent cracher sur le travail de Cage, imaginez à quel point Benjamin Gates, Next ou Ghost Rider seraient chiants sans sa présence détraquée et « over-the-top ». Prenez Cage dans des long-métrages aussi variés que Sailor et Lula ou Leaving Las Vegas. Lui et Herzog étaient faits pour travailler ensemble.
Herzog lui-même est pour le moins légendaire. Étant l’auteur des films qui ont transformé Klaus Kinski en véritable star, il sait exactement quoi faire avec un talent aussi unique que celui de Cage et avec un film qui partage le même nom que le chef-d’œuvre d’Abel Ferrera, Bad Lieutenant. Beaucoup crieront au scandale. Inutile. Si certains n’en ont jamais entendu parler, le film de Herzog devrait les inspirer à rechercher celui de Ferrera. Il mérite d’être vu. Ferrera est presque shakespearien dans sa tragédie, Herzog ressemble plus à Cormac McCarthy. Parfois, lorsqu’on descend en enfer et qu’on touche le fond, on ne peut s’empêcher de rire.
Dans la lignée de mauvais flics, Terrence McDonagh se place au premier rang. Dans une ville abandonnée par un grand nombre de ses habitants et la plupart de sa bonne fortune, il parcourt les rues sans surveillance. La loi, c’est lui, et donc la loi existe uniquement pour son propre intérêt : il se protège et se sert lui-même. Voici un inspecteur de police qui est violent, odieux, calculateur et entièrement corrompu. Et cela même avant qu’il ne commence à se shooter à l’alcool, à la coke, à l’héroïne, au crack, aux médicaments et à toute la daube qu’il s’envoie pendant le film. Sa folie et sa dépravation ne connaissent pas de limite : il torture des vieilles dames en fauteuil roulant, vole de la drogue aux adolescentes qu’il arrête, puis les viole, utilisant son revolver pour forcer leurs copains à regarder. C’est un salaud déplorable et malsain dont la vie descend lentement en spirale, utilisant son statut de policier pour faire ce qu’il veut à qui il veut, y compris à lui-même.
Soyons clair. Le film n’est ni une suite, ni un remake de l’œuvre de Ferrera. Les seules similarités sont le titre et la présence d’un junkie sans scrupule. L’important, n’est pas le sujet du film, mais la façon dont il est traité. Ferrera est impitoyable dans son regard envers son personnage. Herzog lui, le traite avec une clémence presque divine. Un drogué en manque est capable de presque n’importe quoi. Il peut trahir sa famille, ses proches, son devoir, lui-même… C’était quoi, cette citation de George Carlin à propos de la cocaïne…?
Et le pire, c’est que McDonagh est le gentil de l’histoire, ou plutôt le protagoniste principal. Parmi tout le bordel qui constitue l’intrigue, il reste techniquement un crime à résoudre, et lui reste techniquement un flic. Ainsi, le long-métrage semble être presque une parodie, une satire brutale des films policiers habituels, car il insère le « bad lieutenant » dans toutes les situations classiques et surexploitées. Pensez à n’importe quel cliché du film policier et vous le trouverez ici : jeune témoin précoce, prostituée au cœur d’or, passion des jeux de hasard, rapports compliqués avec père alcoolique, gros chien baveux, partenaire novice, etc.…C’est un ensemble des « meilleurs tubes » de tous les enfants bâtards de Dirty Harry et de l’Arme Fatale, perçu à travers les yeux d’un taré qui sait que son propre compte à rebours est lancé.
Seul Nicolas Cage aurait pu jouer un tel rôle de cette façon et seul Werner Herzog aurait pu le placer dans un tel film. Le reste du casting est tout aussi superbe, remplissant la vie étroite de McDonagh avec des personnages pittoresques : Val Kilmer nous donne une performance glorieusement décontractée, Eva Mendes (hé, quelqu’un d’autre qui était dans Ghost Rider !) signe la meilleure performance de sa carrière, Fairuza Balk est pétillante dans le rôle de la maîtresse à mi-temps de McDonagh, il y a des passages énormes avec Brad Dourif (Grima Langue de Serpent dans Le Seigneur des Anneaux et la voix de Chucky), Jennifer Coolidge change de registre à merveille et même le rappeur Xzibit arrive à paraître menaçant dans le rôle du bad guy.
Mais au final, on parle ici d’un duo, un appariement parfait entre un acteur et un réalisateur qui donnent tout sur une œuvre qui semble être faite spécialement pour leurs compétences uniques. Beaucoup remarqueront les scènes où McDonagh a des hallucinations d’iguanes. Qui d’autre que Herzog arrêterait le regard de la caméra sur ces reptiles, se concentrant sur leurs yeux froids ? Qui d’autre que lui mettrait les iguanes au premier plan en laissant les acteurs dans le fond ? Qui d’autre que Cage jouerait son rôle devant ses propres iguanes imaginaires, et quel autre réalisateur lui demanderait de le faire ?
Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle Orléans n’est pas un film qui se préoccupe de son intrigue. L’essentiel, c’est l’assaisonnement. Comme la gastronomie de la Nouvelle-Orléans, le film a compris qu’on peut mettre presque n’importe quoi dans la casserole si on ajoute la bonne dose de piment et qu’on le laisse cuire assez longtemps.
@ Daniel Rawnsley