[Critique] CASINO

STARVIDEOCLUB | 31 décembre 2015 | Aucun commentaire

Titre original : Casino

Rating: ★★★★★
Origine : États-Unis
Réalisateur : Martin Scorsese
Distribution : Robert De Niro, Sharon Stone, Joe Pesci, Don Rickles, James Woods, Kevin Pollak…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 13 mars 1996

Le Pitch :
1973, Las Vegas. Sam « Ace » Rothstein règne sur la ville. Commandité par la mafia pour diriger le Tangiers, l’un des plus grands casinos, il devient rapidement une personnalité influente, respectée de tous et enviée de certains. Secondé par son ami d’enfance, Nick Santoro, connu pour sa part pour son caractère orageux et ses méthodes peu orthodoxes, Rothstein va de succès en succès. Un jour, il tombe sous le charme de Ginger McKenna, une prostituée qui ne va pas tarder à lui attirer de nombreux problèmes. Entre la pression inhérente au travail, les autorités qui s’intéressent de plus en plus à son cas, son meilleur ami qui ne peut s’empêcher de se faire remarquer, et sa femme, qui sombre peu à peu dans la drogue, Ace voit son empire se fissurer petit à petit…

La Critique :
Adaptation du roman de Nicholas Pileggi, qui a d’ailleurs participé à l’écriture du scénario, avec Martin Scorsese, Casino s’inspire également de la vie d’un certain Frank Rosenthal, un fameux directeur de casino, et sur celle du gangster Tony Spilotro, respectivement incarnés à l’écran par Robert De Niro et Joe Pesci. L’occasion pour Scorsese de revenir sur la recette à la base de ce qui demeurait jusqu’alors son plus grand film, à savoir Les Affranchis. Ce qu’on lui a d’ailleurs souvent reproché. On peut en effet toujours lire ici ou là, des critiques soulignant les ressemblances entre les deux œuvres, notamment dans leur dynamique, la présence appuyée de la voix off, le contexte mafieux et d’autres éléments. Bien sûr, difficile de ne pas considérer Les Affranchis et Casino comme deux films intimement liés. Sans pour autant accuser le réalisateur d’auto-plagiat. Car à bien y regarder, il s’agirait plus de considérer Casino comme l’expression ultime d’une formule certes remise au goût du jour, mais surtout sublimée par son propre créateur. De rendre hommage au travail minutieux d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens. Et ainsi de le hisser tout en haut de la filmographie pourtant impressionnante de son réalisateur. Alors oui, Casino est le meilleur film de Martin Scorsese.

Casino-Joe-Pesci

Las Vegas a pour particularité de ne posséder aucun monument historique. Quand quelque chose est trop ancien, on le détruit pour construire autre chose à la place. Ainsi, rares sont les casinos qui ont résisté au désir de modernité d’une cité constamment soucieuse de son apparence. Une particularité que Scorsese n’oublie pas de nous montrer à la fin de son film quand les casinos sont détruits. La parabole d’un état d’esprit basé sur un désir de faire table rase et d’enterrer le passé. Un peu comme les nombreux gangsters indissociables de ce fameux passé qui des années durant ont enterré leurs ennemis dans le désert environnant… Casino capture donc l’essence même de Las Vegas et du même coup celle d’une Amérique ayant toujours entretenu avec ses démons d’ambivalentes relations amour/haine. Sam Rothstein, le personnage incarné par De Niro en est l’exemple parfait. Gangster notoire, il est propulsé à la tête de l’un des plus prestigieux établissements et se retrouve avec les clés de la ville, alors même qu’il commence à croire en une possible rédemption, jusqu’à oublier d’où il vient. C’est là qu’intervient Joe Pesci, alias Nicky Santoro. Celui qui n’oubliera pas, tout simplement car il ne le désire pas, son identité profonde de criminel endurci. Ce fil à la patte de Rothstein, qui lui rappele sans arrêt son véritable statut et l’empêche de prétendre à une légitimité sincèrement voulue et in fine, secrètement espérée depuis toujours.
Contrairement aux mafieux des Affranchis, les deux personnages principaux de Casino sont amenés à s’opposer. À se trahir et à se combattre, sans forcément se l’avouer. Les coups bas sont foison pour la simple et bonne raison que Rothstein finit par rejeter le code d’honneur chers aux membres de la pègre. Chose que Santoro ne pardonne pas.
Ainsi, Casino repose en grande partie sur la trajectoire parallèle de deux amis dont l’animosité se retrouve façonnée par le succès et la reconnaissance. Un duel pouvant tout à fait symboliser les rapports présumés de l’Oncle Sam avec la mafia et les autres organisations criminelles à travers sa tumultueuse histoire. Garants d’une genèse brutale, les États-Unis ont depuis bien longtemps cherché à montrer patte blanche. Rothstein lui, veut se racheter une virginité. Profiter de son statut de leader pour gagner une respectabilité. Montrer que l’origine d’un homme ne définit pas nécessairement ses actes futurs, si tant est qu’on veuille bien lui accorder le crédit que ses bonnes grâces méritent.
Terriblement ambitieux, Casino ne parle pas juste d’un directeur de casino et de la mafia. Il écrit en lettres de sang les origines de tout un pays, en prenant pour toile de fond la ville-symbole de toute sa grandiloquence. Plongés dans une débauche d’argent, de drogue et de violence, les personnages du long-métrage souffrent en permanence, car rien ne leur permet de définitivement s’extraire de leur vraie nature. Que ce soit Sam Rothstein, Nick Santoro ou même les autres, à commencer par Ginger McKenna, l’ex-prostituée incarnée par Sharon Stone, pour sa part prise en étau entre une puissante dépendance à l’argent et à la drogue, et un désir de dévorer le rêve américain quel qu’en soit le prix.

En utilisant la même formule de base que pour Les Affranchis, Martin Scorsese fait à nouveau usage de la voix off. Celle de De Niro ou encore celle de Pesci, histoire d’offrir au spectateur plusieurs points de vue, afin d’enrichir le récit, de multiplier les perspectives et au final de proposer une histoire extrêmement fouillée et des personnages entiers, ambigus et complexes. Au vue de l’ampleur du projet, la durée du film (plus ou moins 3 heures) est entièrement justifiée. Sans se poser une seule seconde sur des détails insignifiants ou s’égarer dans des chemins de traverses, le script va à l’essentiel en permanence. L’écriture est pertinente et percutante, traversée de fulgurances dingues et de dialogues d’anthologie, dans lesquels vient se glisser cet humour si caractéristique, sans pour autant tomber dans la bouffonnerie ou le hors sujet. Scorsese et Pileggi font preuve d’une immédiateté en somme toute assez rare dans leur construction inexorable d’une fresque aux proportions dantesques et à l’émotion décuplée. Et c’est en partie pour cela que le film s’avère aussi jubilatoire. Parce qu’il n’est jamais trop didactique ou scolaire, ni manichéen, et parce qu’il suscite un panel incroyablement riche de sensations.
La mise en scène à couper le souffle de Scorsese, y est aussi pour beaucoup, tant elle ne fait qu’un avec l’écriture. D’une précision incroyable, le cinéaste n’y va pas avec le dos de la cuillère et construit un tableau à la beauté flagrante (aidé en cela par le directeur de la photographie Robert Richardson). Montage parfait en tous points, nerveux à souhait mais pas non plus frénétique, plans inventifs en permanence, Casino est une école de cinéma à lui tout seul. L’expression ultime du talent hors norme d’un homme en pleine possession de ses moyens. D’un type sur le toit d’un monde qu’il s’est construit de ses propres mains.

Solide directeur d’acteurs (l’un des meilleurs) Scorsese a également su s’entourer. Son trio en particulier a parfaitement saisi ses intentions. Robert De Niro, Martin Scorsese et Joe Pesci se connaissent bien et à l’écran, l’alchimie fait des merveilles. Le naturel avec lequel De Niro et Pesci interagissent devant l’objectif est d’autant plus évident qu’il résulte de plusieurs collaborations fructueuses à tous points de vue. De Niro et Pesci qui incarnent d’ailleurs ici des versions en quelque sorte « suprêmes » des archétypes qui ont fait leur gloire et conditionné une large partie de leur carrière. Tout particulièrement Joe Pesci dont le Nick Santoro renvoie de toute évidence au Tommy DeVito des Affranchis, avec ses coups de sang dantesques accompagnés de furieux accès de violence incontrôlables. Robert De Niro pour sa part fait évoluer le mafieux de Mean Streets ou des Affranchis vers une maturité qui lui sied à merveille. En face, Sharon Stone est tout simplement parfaite. Dans la séduction et le glamour des débuts et dans la déchéance pathétique, Stone embrasse son rôle avec un dévouement que peu d’autres films ont malheureusement su susciter par la suite. Sans surprise, son meilleur rôle n’est pas la Catherine Tramell de Basic Instinct, mais bien la Ginger de Casino. Celle qui se déchire entre un mari aimant aux amis peu fréquentables et un mac violent, par ailleurs parfaitement saisi par le grand James Woods.

À l’heure actuelle, Casino se pose toujours comme le dernier grand chef-d’œuvre que l’on peut estampiller mafia. Le dernier d’une longue lignée où figurent Le Parrain, Scarface, Il était une fois en Amérique, Mean Streets et Les Affranchis. Depuis, si certains s’en sont approchés, personne n’est parvenu à atteindre un tel niveau de perfection. Avec le temps, le monument de Scorsese n’a pas pris une ride. Au contraire. Sa puissance et sa profondeur n’ont fait que s’accentuer. On y revient . Toujours et souvent. Casino est l’un des plus grands films américains de tous les temps. L’exemple type de la perfection.

@ Gilles Rolland

Casino-Robert-De-Niro  Crédits photos : Mission

Par Gilles Rolland le 31 décembre 2015

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