[Critique] MIAMI VICE – DEUX FLICS À MIAMI

STARVIDEOCLUB | 31 août 2014 | Aucun commentaire

Titre original : Miami Vice

Rating: ★★★★☆
Origines : États-Unis/Allemagne
Réalisateur : Michael Mann
Distribution : Colin Farrell, Jamie Foxx, Gong Li, Naomi Harris, Ciarán Hinds, Justin Theroux, Isaach de Bankolé, Luis Tosar…
Genre : Action/Policier/Adaptation
Date de sortie : 16 août 2006

Le Pitch :
Ricardo Tubbs et Sonny Crockett, deux flics de la brigade des stups de la police de Miami, reprennent du service suite à une arrestation qui tourne mal, pour infiltrer un réseau de trafiquants internationaux. Pour ce faire, ils devront aborder la phase la plus dangereuse de leur enquête : assumer jusqu’au bout leur nouvelle identité. Mais quand Sonny se laisse séduire par l’administratrice financière du cartel, Isabella, et que les proches de Tubbs se retrouvent menacés, leurs vies personnelles et professionnelles commencent à s’entremêler. L’angoisse d’être démasqués continue à monter, et en allant trop loin dans leur mission, ils vont risquer de voir tous leurs repères s’effondrer…

La Critique :
Lors de son arrive à l’antenne en 1984, le feuilleton Miami Vice (ou Deux Flics à Miami si on veut lui donner son titre français moins classe) de Michael Mann représentait quelque chose de jamais vu à la télévision. Nous sommes nombreux à avoir manqué l’éruption culturelle de l’époque où tout le monde se déguisait en Sonny Crockett pour Halloween, mais la série rapprochait le petit écran aux grands écrans du cinoche à chaque diffusion, utilisant des techniques de montage super audacieuses et des choix de musique dernier-cri qui sortaient complètement de l’ordinaire pour une série policière de l’époque.

Mais comme La Fièvre du Samedi Soir avant l’heure, Miami Vice a engendré tellement de carrières musicales malavisées et de modes vestimentaires lamentables, qu’il n’a pas mis longtemps avant de devenir une sorte de punchline internationale. Et, comme dans le cas de Samedi Soir, ce qui est souvent pris à tort pour du kitsch est en réalité une œuvre sérieuse et dépourvue de compromis. Si on regarde au-delà des couleurs pastels, il est choquant de voir à quel point la série enchaîne les fins plombantes les unes après les autres. Malgré ses cowboys, sa cocaïne et son côté flashy et tape-à-l’œil, MiamiVice était héroïquement catégorique dans sa mission de cracher à la gueule de ses millions de spectateurs, leur rappelant fermement quelques vérités qui dérangent : parfois, les méchants s’en sortent indemnes, des gens innocents se font tuer, et ce genre de boulot finit par laisser ses marques sur nos héros, qui perdent toujours quelque chose, même quand ils ont gagné.

Avance rapide jusqu’au 21ème siècle : Mann revisite sa création exclusive et logiquement, Miami Vice: Deux Flics à Miami (Voilà, maintenant avec les deux titres tout le monde est content !) ressemble à une forme de cinéma inédite. Loin d’être un trip nostalgique, ce truc bizarroïde est tellement lourdement stylisé et aliénant qu’on a l’impression de regarder un film extraterrestre qui vient d’être téléporté depuis le futur.

Photographié entièrement en vidéo numérique haute-définition (utilisant la même caméra que Collateral), le film déforme et réfracte la lumière d’une façon qui donne un grain quasi avant-gardiste à l’image. Les réverbères au bord des routes jettent une lueur verte maladive sur des kilomètres et de kilomètres de nuages à basse altitude, tandis que la profondeur de champ infinie de la caméra s’étend au loin jusqu’à l’horizon. Pour s’immerger dans le cadre, on passe plus de temps à scruter les recoins de l’écran qu’à le regarder, et l’effet est hypnotique. Les meilleures scènes de Miami Vice sont à la limite de l’abstraction picturale : des mini-symphonies propulsives de couleur et de mouvement, ponctuées par le choc d’une violence qui explose sans prévenir.

Balancés directement dans l’action sans même la courtoisie d’un générique d’ouverture, on retrouve un Colin Farrell basané et un Jamie Foxx ultra-crispé dans les rôles de Sonny Crockett et Rico Tubbs, tous deux en plein milieu d’une opération de surveillance, brisant les petits doigts et piétinant les gorges des gens tout en traquant un maquereau au pied levé dans une boîte de nuit bondée de Miami. Un coup de téléphone paniqué par un informateur éclaboussé de sang (le génial John Hawkes, dessinant le portrait d’une existence sordide en temps record, avec à peine deux ou trois moments précieux à l’écran) envoie le duo au coeur d’une spirale infernale vers une mission de couverture dangereuse dans une ville aux triples frontières qui rejoint le Paraguay, le Brésil et l’Argentine ensemble.

« Il s’est s’infiltré d’un côté, et de l’autre, “jusqu’où aller, exactement ?” ». Tel est le bon mot de Tubbs, lorsque son partenaire Crockett tombe raide-dingue amoureux d’Isabella, la compagne d’un baron de la drogue joué avec un calme troublant par Luis Tosar. La merveilleuse actrice chinoise Gong Li a énormément de mal avec des dialogues qui sont sans doute censés être américains, mais elle se rattrape avec des long moments de silence. Mann filme sa romance avec Farrell à travers une série de regards, chacun cachant une envie presque insoutenable pour l’autre : des tableaux iconiques que ces deux acteurs charismatiques sont faits pour remplir.

Travaillant à partir d’un des scénarios les plus vides et maigrichons jamais vus dans une œuvre de Michael Mann (le réalisateur s’accrédite en solo le rôle de scénariste, mais la majorité de l’intrigue semble appartenir à un épisode de la première saison qui aurait été écrit à l’arrache par le poète Miguel Piñero), Miami Vice se résume davantage à une ambiance qu’à un film : du luxe, du machisme et la mort de l’âme. Le style prévaut sur la substance, et punaise, quel style : que des caisses rapides, des voitures de sport, des hors-bords prestigieux et des durs à cuire au regard mélancolique où le jeu d’acteur vient des muscles, s’estimant les uns les autres en menaçant de s’éclater la tronche.

Les dialogues, eux, sont cryptiques : quasiment tous les personnages – qu’ils soient gangsters ou flics – parlent un langage soutenu, voir presque théâtral, dans des conversations maniéristes au rythme saccadé, souvent devant un ciel nocturne aux couleurs surnaturelles dont des grondements d’un tonnerre lointain viendront parfois ponctuer leurs phrases. C’est peut-être ici où l’œuvre divise : Mann est l’un des maîtres américains du genre contradictoire des polars bourrins intelligents, et ici il a plus ou moins signé une version « artistique » de Bad Boys. Ou bien on accroche dés les premières images, ou bien ces 2h15 risque d’être très, très longues.

Remplissant le peu d’action qu’il y a avec des scènes de sexe crues qui surprennent par leur intimité et des fusillades où l’on entend pas seulement les hurlements des coups de feu mais aussi les crânes des gens qui éclatent sous les tirs, Miami Vice est un blockbuster qui subvertit les attentes de son propre genre, adoptant une esthétique adulte où le sexe obligatoire tourne cette fois autour de la sensualité et l’émotion, et la violence est presque sans importance : mais quand elle éclate, c’est moche, brutal et grossier. Faut rester attentif, parce que le film ne cherche pas à nous tenir par la main.

Michael Mann est le poète régnant de l’aliénation masculine dans un monde urbain, et Miami Vice pourrait bien être sa vision la plus sinistre, dominée par le désespoir. Somptueux et hypnotique, comme dirait Glenn Frey, « c’est la politique de la contrebande ». Tout le monde est perdant.

@ Daniel Rawnsley

Miami-Vice-Foxx-Farrell

Par Daniel Rawnsley le 31 août 2014

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