[Critique] WAKE IN FRIGHT

STARVIDEOCLUB | 2 janvier 2015 | Aucun commentaire
Wake-in-fright-affiche-France

Titre original : Wake in Fright

Rating: ★★★★☆
Origine : Australie/États-Unis
Réalisateur : Ted Kotcheff
Distribution : Gary Bond, Donald Pleasance, Chips Rafferty, Jack Thompson, John Meillon, Sylvia Kay, Dawn Lake, Maggie Dence…
Genre : Thriller/Drame/Adaptation
Date de sortie : 21 juillet 1971 (ressortie le 3 décembre 2014)

Le Pitch :
John Grant, prof dans la communauté isolée de Tiboonda, est sous contrat pour le gouvernement. À la fin du semestre, il débarque dans la ville décrépite de mineurs, Bundayabba, avec l’intention d’y rester une nuit avant de prendre un vol pour Sydney au petit matin pour visiter sa bien-aimée. Mais une nuit en devient cinq, et avec l’aide de l’alcool et des habitants inquiétants du Yabba, il plonge dans une spirale d’autodestruction. Lorsqu’arrive enfin la gueule de bois du lendemain, l’homme éduqué n’est plus. À la place se trouve un être rongé par une haine de soi, sale, perdu dans le désert et la chaleur australienne, un fusil à la main et encore une balle dans le chargeur…

Avertissement aux amis et amoureux des animaux.

La Critique :
Ce film n’est pas daté. Maladive, dérangeante et dégoulinante de sueur, cette « comédie » tordue de 1971 est désormais vendue comme un film d’horreur. Nick Cave, ce poète de ballades meurtrières, disait que c’était « le film le plus terrifiant jamais sorti sur l’Australie », et dans un sens il a raison, sauf que toute l’horreur ici est brutale, réaliste et – surtout – humaine. Porté disparu pendant presque quarante ans, l’ouvrage en question fut récemment déterré dans un entrepôt à Pittsburgh, où les pellicules originales gisaient dans une caisse marquée « pour la destruction ».

Pour le fun, on va assumer que le comité du tourisme australien n’est pas totalement innocent : sordide et insinuant, le Wake in Fright (un temps intitulé Réveil dans la terreur, en France) de Ted Kotcheff est un congé de vacances au bout de l’enfer dans le pays des kangourous. Méticuleusement restauré et diffusé au festival de Toronto en 2009 puis récupéré par la compagnie Drafthouse trois ans plus tard, il a enfin droit à une existence commerciale en Blu-ray et DVD, et pourtant aujourd’hui reste encore curieusement intemporel . Cousin australien des Chiens de Paille et de Délivrance, Wake in Fright est un conte ensorcelant de dévolution masculine, petit à petit, une canette de bière à la fois.

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Puissant et écrasant, le film en dit long sur son sujet dés son premier plan : un lent panoramique aérien de 360 degrés, parcourant la sauvagerie poussiéreuse du désert australien, ne trouvant que l’horizon lointain, pour revenir au deux bâtiments pourris, là où il a commencé. Le métrage possède ce qui aurait été à l’époque un casting de fou, et pour ceux qui connaissent bien leurs acteurs, il l’est encore. Aussi beau-gosse qu’une poupée Ken, Gary Bond tient le rôle d’un prof d’école pompeux méchamment énervé de se retrouver avec une nuit à tuer dans le trou perdu surchauffé qu’est la ville de Bundayabba avant de filer en avion à Sydney le lendemain pour passer Noël avec sa copine surfeuse et sexy. Surnommé « le Yabba » par les gens du coin (trop) sympathiques, l’endroit est un véritable nid grouillant d’ivrognes dirunes et de malotrus. À côté, le Far Ouest c’est du peanuts.
Initialement révolté par toutes ces grandes gueules et ces connards mégalomaniaques, notre antihéros condescendant arrive quand même à se bourrer tellement la tronche qu’il rate son vol matinal et perd tout son fric en jouant à un jeu de chance génialement stupide en arrière boutique. Coincé au milieu de nulle part avec seulement un dollar en poche, Bond commence à fréquenter une bande grégaire d’alcooliques, avec une menace constante de violence qui se mijote derrière toute leur bravade copain-copain. Donald Pleasance est le plus effrayant de tous dans la peau miteuse d’un docteur devenu bon à rien, répétant le conseil que « l’insatisfaction est un luxe de riches » tout en avalant des cannettes gigantesques de bière blonde à grandes gorgées et bouffant des testicules de kangourou.

D’ailleurs, parlons-en. Des animaux ont certainement été « maltraités », mais pas exactement durant le tournage. Alors que Bond est emporté par le vortex de gros buveurs dans un monde de rustres où les hommes sont vicieux et tout le monde a la vie dure, sa descente en spirale dans l’alcool, la brutalité et peut-être même le viol, atteint son point culminant dans une chasse nocturne, longue et horrifiante, où lui et ses nouveaux potes massacrent des kangourous sous le clair de lune.

Le film de Kotcheff est tellement rugueux, intransigeant et dépourvu de compromis, que de réelles séquences d’archives ont été entrecoupées avec le montage par Anthony Buckley (le monteur qui a redécouvert le film toutes ces années plus tard), et une « note de producteur » dit que ces images documentaires furent intégrées avec la « participation » d’organisations animales (apparemment en guise de rappel notoirement controversé que le kangourou était et est encore une espèce en danger). Quoi qu’il en soit, le mélange de reconstitution fictive et de boucherie insensée réelle produit un effet extrêmement troublant, et c’est rare de trouver un film qui risque le tout pour le tout et dit merde aux conséquences. Et tout ça avant Rambo.

Le film est une cuite, un Very Bad Trip épique déformé et scruté impitoyablement à travers un objectif cauchemardesque ; et les blackouts et les gueules de bois deviennent de plus en plus bizarres en attendant le surgissement inévitable de conséquences sanglantes à l’horizon. Au début il est marrant de voir Mr. Bond (l’acteur, pas l’agent secret), rigide à la base et loin d’être charmant, se lâcher et découvrir son esprit Cro-Magnon, mais plus le film devient étrange, et plus il s’avère alarmant : la civilisation toujours prête à sombrer dans le chaos, sa stabilité précaire ne tenant qu’à un verre et une bouteille.

Très loin des sermons moralisateurs auxquels certains films sur l’addiction dits « courageux » aiment se prêter à la recherche d’un quelconque prestige, Wake in Fright martèle jusqu’au bout le gâchis misérable de l’alcoolisme, la triste compulsion de foutre en l’air ses rêves et ses journées avec des bouffonneries infantiles et destructrices dans des bars bruyants où personne ne s’entend parler. C’est un film qui colle à la peau.

@ Daniel Rawnsley

Wake-in-fright-photoCrédits photos : La Rabbia/Le Pacte

 

Par Daniel Rawnsley le 2 janvier 2015

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