[Critique] LES SAISONS

CRITIQUES | 8 février 2016 | Aucun commentaire
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Titre original : Les Saisons

Rating: ★★★★½
Origine : France
Réalisateurs : Jacques Perrin, Jacques Cluzaud
Distribution voix : Jacques Perrin
Genre : Documentaire
Date de Sortie : 27 janvier 2016

Le Pitch :
Une plongée au cœur du monde sauvage des forêts européennes, depuis la fin de l’ère glaciaire il y a 12 000 ans, jusqu’à nos jours…

La Critique :
Depuis quelques années, l’acteur cinéaste Jacques Perrin réalise de remarquables documentaires sur la nature sauvage et les animaux qui la peuplent, avec son acolyte Jacques Cluzaud. Ayant joué dans des dizaines de longs-métrages, il se consacre désormais largement à la création de documentaires cinématographiques, plutôt appréciés et souvent grandement salués. On mentionnera par exemple Le Peuple Migrateur ou encore Océans, tous deux conjointement réalisés avec Jacques Cluzaud, et ayant reçu une foule d’excellentes critiques, ainsi qu’un très bon accueil des spectateurs. Par le passé, Jacques Perrin a également produit un certain nombre de films comme le très singulier Microcosmos : Le Peuple de l’herbe ou encore Himalaya : L’Enfance d’un chef. En ce début d’année 2016, les deux acolytes reviennent donc avec un nouvel opus intitulé Les Saisons, et comme toujours le spectacle est grandiose.

Les-Saisons

Au fil du temps, les documentaires sont devenus des œuvres à part entière dans le paysage cinématographique. Les Studios DisneyNature, spécialisés dans la branche du documentaire animalier et environnemental, nous gratifient d’une nouvelle production chaque année ou presque. Dernier en date de la société de production : Au Royaume des Singes, réalisé par Mark Linfield. Si les films signés DisneyNature sont généralement grandioses, éducatifs et distrayants, d’autres, de part leur caractère atypique, n’appartiennent qu’à eux-mêmes. Quelques-uns ont comme un supplément d’âme qui s’exprime par une identité propre et unique, une signature particulière, sur un marché bien trop souvent aseptisé mais aussi parfois formaté. Les Saisons a été réalisé avec cette patte si personnelle qui sait dessiner un univers poétique plein de grâce et tant apprécié pour cela. Fabuleux et envoûtant, il nous conte l’histoire de la faune sauvage des forêts européennes s’étalant sur des milliers d’années, le tout, sur un ton léger et maîtrisé. Le documentaire nous épargne d’ailleurs les tonnes d’effets humoristiques poussifs aux accents anthropomorphiques, parfois fréquents dans ce type de production, préférant se contenter de quelques clins d’œil sobres, rares, et parfaitement digestes.

L’épopée démarre donc il y a 12 000 ans, à la fin de la dernière ère glaciaire, pour nous mener jusqu’à nos jours. Cette vaste période nous permet une plongée dans la préhistoire, l’histoire, et dessine surtout en filigrane une réflexion sur la place de l’Homme au sein de la nature, ou plus exactement sur la place de l’Homme moderne dans cette nature sauvage. La grande force du documentaire est de rendre intéressante et accessible au plus grand nombre, la réflexion sur les conséquences de l’urbanisation et de l’industrialisation des sociétés. Désireux de ne pas tomber dans une vision manichéenne et simpliste de la condition humaine, Les Saisons juxtapose plusieurs époques différentes, et s’attache à souligner le fait que les êtres humains n’ont pas toujours été incapables de vivre en harmonie avec la nature. Le film fait ainsi la part belle au cycle des Hommes chasseurs-cueilleurs dont le mode de vie était représentatif d’une parfaite osmose avec l’environnement. Refusant cependant une vision passéiste et réactionnaire, il est également rappelé qu’il est toujours possible pour l’être humain moderne de s’acclimater à son environnement, s’il en a la volonté. Ainsi, l’humanité n’apparaît pas comme un problème en elle-même, car c’est clairement les conséquences des modes de vies impactant considérablement l’environnement, qui sont remis en question, laissant place à de nombreuses interrogations. Il sera donc plutôt question de réfléchir afin d’imaginer une meilleure cohabitation avec les autres espèces animales.

« Ceux qui vénéraient les sources et les arbres disparurent pour laisser place à ceux qui s’approprient la Terre et domestiquent les animaux. »

D’un autre côté, le monde sauvage n’est pas non plus dépeint comme un eldorado paisible, bien au contraire, le danger guette, la prédation est quasiment perpétuelle et prédominante. La nature sauvage apparaît dure, brutale, mais fonctionnant en symbiose.

Le dernier opus du duo Perrin / Cluzaud s’avère être une œuvre très sonore s’évertuant à retranscrire les bruits des courses, des combats, les « cris » communicatifs des animaux, tout en s’imprégnant totalement des éléments qui la composent : l’eau, le vent, le feu, la terre. Par ce biais, il est plus facile pour le spectateur de se fondre dans les paysages de ces terres alors encore vierges de toute expansion humaine, et où vivait une multitude d’espèces animales et végétales. Cette dimension sonore pousse à l’immersion et par là même à la compassion et l’empathie, ce qui favorise une meilleure compréhension du propos. Bruno Coulais signe quant à lui une bande-originale sobre et belle qui a le mérite de s’accorder à merveille avec l’univers poétique du film, tout en ayant l’intelligence d’être discrète.

Véritable florilège de plans saisissants à la beauté subtile et précise, le film est constitué d’ images remarquables qui en font une réussite technique indéniable et spectaculaire. On peut aisément imaginer le travail que cela a dû représenter, et l’immense patience qu’il aura fallu déployer pour saisir les moments clés de cette nature si passionnante et foisonnante. Il est par exemple possible d’observer et d’apprécier d’étonnantes images de lynx, un félin très discret et très difficile à filmer. Pour s’immerger totalement avec les animaux et pouvoir filmer ces séquences brillamment mises en scène, l’équipe du film a dû recourir à l’imprégnation, notamment pour les scènes avec les loups, les chevaux ou encore le sanglier. Contrairement au dressage, l’imprégnation consiste à s’approcher au plus près d’un jeune animal, en l’habituant régulièrement à la présence de l’Homme (parfois jusqu’à la dépendance). Résultat, les images capturées sont d’une précision incroyable avec un soucis du détail constant. On notera aussi la multiplicité des espèces animales filmées garantissant un documentaire riche de diversité.

Toujours dans un souci de sobriété, la narration se veut minimaliste, probablement afin d’éviter les perturbations empêchant l’immersion, tout en mettant en avant les principaux acteurs de cette histoire, à savoir les animaux. Car c’est en effet de leur point de vue et leurs yeux que l’histoire se déroule, l’être humain, lui, est toujours en arrière plan. La voix familière de Jacques Perrin ne vient accompagner le documentaire qu’en de brefs moments, notamment pour stipuler les changements d’époques observés. Car, nous l’aurons compris, Les Saisons ce n’est pas juste une affaire de printemps, d’été, d’automne ou encore d’hiver, mais plutôt une grande épopée faisant revivre plusieurs cycles distincts.

Le portrait de l’évolution des Hommes n’apparaît pas très élogieux, illustré à travers la critique de l’expansion des activités humaines impactant négativement l’environnement. À commencer par les débuts de la chasse « moderne » et de la domestication des animaux pour l’élevage, responsables de la modification des structures des forêts, et de la création d’espèces « hybrides ». L’utilisation des pesticides qui perturbent les écosystèmes et nuisent notamment aux abeilles est également montrée du doigt, mais l’espoir reste tout de même permis. En effet, le film maintient le fait qu’il est encore possible d’inverser la tendance et de changer non seulement nos perceptions du monde, mais aussi nos modes de vie, afin de se rapprocher de la nature (dont nous faisons partie).

Quel est donc le rapport de l’Homme à la nature ? Au monde sauvage ? Les autres espèces avec qui nous partageons cette planète doivent-ils uniquement être considérés comme des nuisibles ou des utiles ?

Jacques Perrin et Jacques Cluzaud signent ici un hymne au monde sauvage, en proposant un point de vue intéressant et peu fréquent. Il y a du relief et de la profondeur dans le propos apportant une vraie valeur ajoutée au documentaire, ce dernier n’étant pas une une simple distraction, un simple film, mais bel et bien un voyage à part entière au cœur du monde animal et de la nature.
Ainsi, Les Saisons apparaît comme la version « Terre » de Océans. Comme les mers et les océans, les forêts sont les poumons de l’Humanité.

@ Audrey Cartier

Les-Saisons-ours  Crédits photos : Pathé Distribution

Par Audrey Cartier le 8 février 2016

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