[Critique] SUR LA ROUTE

CRITIQUES | 23 mai 2012 | 1 commentaire

Festival de Cannes 2012 – Sélection Officielle – En Compétition

Titre original : On the Road

Rating: ★★★★½
Origines : États-Unis/France/Angleterre
Réalisateur : Walter Salles
Distribution : Sam Riley, Garrett Hedlund, Kristen Stewart, Kirsten Dunst, Viggo Mortensen, Amy Adams, Tom Sturridge, Danny Morgan, Alice Braga, Marie-Ginette Guay, Elisabeth Moss, Joe Chrest, Kaniehtiio Horn, Sarah Allen, Kim Bubbs, Steve Buscemi…
Genre : Road Movie/Drame/Adaptation
Date de sortie : 23 mai 2012

Le Pitch :
C’est peu de temps après la mort de son père que le jeune écrivain Sal Paradise rencontre Dean Moriarty. Personnage charismatique et borderline, Moriarty fascine immédiatement Sal, qui décide de répondre avec son nouvel ami à l’appel de la route… Sans autre but que celui de jouir d’une liberté qu’ils désirent totale…

La Critique :
8 juillet 1965 : Jim Morrison rencontre Ray Manzarek sur une plage californienne. Les deux hommes décident de former un groupe, The Doors.

16 mai 1966 : Bob Dylan publie l’album Blonde on Blonde.

15 août 1969 : Le Festival de Woodstock ouvre ses portes, célébrant la musique, l’idéologie hippie et sans le savoir ce que l’on appellera plus tard, l’été de l’amour.

9 janvier 2008 : Into the Wild de Sean Penn sort en France. Un film inspiré du livre éponyme écrit par Jon Krakauer, narrant l’aventure de Christopher McCandless à travers une partie des États-Unis.

Des dates parmi d’autres. Quelques-unes des plus importantes. Des évènements qui, directement ou plus indirectement, trouvent leur source chez Jack Kerouac et encore plus spécifiquement dans son livre emblématique Sur la Route, publié pour la première fois en 1957. Un bouquin qui contribua à façonner l’image des États-Unis dans les jeunes esprits en quête de sens et de liberté. Sur la Route qui inspira aussi le cinéma, via le genre du road movie, qui aujourd’hui -et ce depuis plusieurs décennies- se décline dans plusieurs styles différents : d’Into the Wild donc à Road Trip, en passant par Thelma & Louise ou Sailor & Lula. Dans ces films, tous les protagonistes ont quelque chose de Dean Moriarty ou de Sal Paradise, les deux héros de Sur la Route. D’une façon ou d’une autre, on retrouve Kerouac dans une multitude de longs-métrages, de chansons, de poèmes et d’ouvrages. Aux États-Unis bien sûr, mais aussi en Europe où l’auteur a largement réussi à s’imposer, souvent transporté par le succès des rock stars qui se réclamaient de la même école. On cause ici de la Beat Generation. Celle que Kerouac, de par ses idéaux, a fondé. C’est même lui qui en parle dans ces termes pour la première fois. Suivront d’autres illustres scribes, à l’image de William Burroughs ou d’Allen Ginsberg. Des écrivains nourris à la prose de Proust, de Céline et au jazz que l’on peut écouter dans les bas fonds des grandes métropoles. Un microcosme de penseurs, au style immédiat et inimitable qui feront au fil des années des émules à travers le globe.

Venons-en aux faits !

Étrangement, Sur la Route n’avait jamais été adapté au cinéma. Francis Ford Coppola, qui possède les droits depuis la fin des 70’s, avait bien commandé un scénario au grand Russell Banks mais le tournage, prévu en 2001, ne commença jamais.

C’est Walter Salles qui livre donc cette adaptation attendue depuis une bonne quarantaine d’années, co-produite par Francis Ford et par son fils Roman. Un cinéaste qui avait déjà tâté du bitume avec Central do Brasil et en mettant en images les Carnets de voyage de Che Guevara et qui s’impose d’emblée comme l’homme de la situation. C’est peut-être le regard de ce cinéaste non-américain qui permet au film de s’extirper des clichés inhérents au genre qu’il aborde. Car si Sur la Route est le père de tous les road movies, son arrivée tardive sur les écrans ne pouvait pas aller sans déclencher certaines craintes quant à d’éventuelles redites. Un peu comme John Carter, le livre, qui décida George Lucas à réaliser Star Wars et qui une fois transformé en film n’arrive jamais totalement à souligner son statut d’œuvre génitrice. Ici, c’est différent. Sur la Route trouve le bon ton, se démarque en permanence, sans donner l’impression de le chercher et plonge littéralement le spectateur au cœur d’une vraie ambiance. Quelque-part entre les tableaux d’Edward Hopper et un morceau de Duke Ellington, avec un surplus de sueur, de larmes et de poussière.

Sur la Route, le livre, est une œuvre autobiographique (pas totalement mais presque). Composée à partir des notes de voyages de Jack Kerouac. Le film lui, est très fidèle et rend justice au style de Kerouac. Un style qui se démarque par son immédiateté et par sa faculté à provoquer tout aussi rapidement l’immersion. Collé aux regards de ses héros, voyageurs célestes en quête de sensations, l’œil de Walter Salles incite à une lecture entre les lignes. Parfois à la lisière du documentaire, Salles s’attache à restituer la mouvance de ces êtres libres qui se dérobent à la routine. Le découpage tient aussi une grande place dans le processus tout comme l’importance donnée au cadre. Le teint de l’image, volontairement poussiéreux enveloppe les déambulations métaphysiques de Sal Paradise, tandis que les volutes de fumée accompagnent les soubresauts chamaniques de ces corps cramés lors de ces danses sauvages dans les clubs de jazz qui jalonnent le récit. La bande-originale est d’ailleurs superbe.

Conte initiatique et précurseur, Sur la Route cristallise des angoisses universelles : la peur du futur, la crainte de voir sa vie défiler sans que celle-ci ait un sens, la recherche des sensations qui donneront à l’existence tout son sel, la fuite de la routine et de la banalité… De nos jours encore, les mots de Kerouac résonnent dans les jeunes esprits. Nombreux se reconnaitront probablement dans le personnage de Sal Paradise, un écrivain paumé, attiré par les personnes exaltées et passionnées. Un personnage qui trouve le réceptacle parfait en Sam Riley. Acteur aussi rare que talentueux, Riley revient, après Control (le biopic sur Ian Curtis de Joy Division) à une composition mélancolique. Son regard vague, parfois perdu, qui n’est pas sans rappeler celui d’un Edward Furlong (Terminator 2) habite Sur la Route. Une tristesse parcourue d’élans de joie et de poésie et couplée à une détermination sans faille. Sans savoir où il va ni pourquoi, Sal Paradise sait par contre qu’il doit partir. C’est là tout le sens du film. Dean Moriarty aussi ne tient pas en place. Il incarne la folie d’une jeunesse en mal de repères. Moriarty est un révélateur de goût. Apparaissant en début de métrage comme une entité mystérieuse et extrême, Dean ne dévoile ses failles qu’au fur et à mesure.

L’amitié qui unit Sal et Dean donne le La à la succession de péripéties que le duo traverse. Car Sur la Route est aussi un film à la gloire de l’amitié. À l’amour aussi. Un amour libre qui prend vie dans les gestes lascifs d’une Kristen Stewart incroyable de dévouement. Cette dernière passe à la vitesse supérieure et dore encore un peu plus le blason d’une carrière fascinante. La jeune actrice continue de tracer sa route dans le cinéma indépendant, en marge du carton Twilight. Elle se montre sans fard. Donne tout à un personnage ambiguë, libre et sauvage. Tout le contraire de celui de femme seule que campe Kirsten Dunst. De son côté, l’ex Mary-Jane de Spider-Man personnifie la normalité que Sal et surtout Dean s’évertue à fuir, sans pour autant pouvoir s’empêcher d’y revenir constamment par épisodes douloureux.

Revenons à Dean Moriarty justement. Dans le rôle, Garrett Hedlund couronne une distribution en tous points parfaite. Avec son regard fou empreint d’une émotion authentique, le comédien vu l’année dernière dans la suite de Tron, explose. Charismatique, touchant , détestable et magnétique, il arrive à traduire par une gestuelle et un jeu précis et vif, la complexité des ressentis qui caractérisent son personnage. Il y a du Brando chez ce type (Brando qui fut d’ailleurs envisagé par Coppola à l’époque où il devait diriger le film) !

Au second plan, le film peut compter sur de solides interprètes parmi lesquels on retrouve les toujours très fréquentables Viggo Mortensen (superbe en alter-ego de Burroughs), Amy Adams, Tom Sturridge (en alter-ego d’Allen Ginsberg), Alice Braga et Steve Buscemi.

Fougueux, brulant et insaisissable, Sur la Route est un film qui ne parlera pas à tout le monde. La longueur pourra notamment rebuter, tout comme cette soif de saisir le monde par le biais de la poésie et des mots en général. Le refus des conventions, la justesse de la mise en scène et le rejet d’une morale étriquée font pourtant de cette œuvre un petit bijou. Adaptation censée, respectueuse et pourtant personnelle, Sur la Route a le mérite d’assumer ses idées et ses choix. Sans chercher à les expliquer. En se fiant uniquement à leur force évocatrice, tout en les habillant d’un sens de la cinématographique intense et fiévreux, marqué par l’urgence de la jeunesse et par son inconscience. Franchement, c’est brillant.

@ Gilles Rolland

 

 Crédits photos : AFP / MK2 Productions

Par Gilles Rolland le 23 mai 2012

Déposer un commentaire

S’abonner
Notification pour
guest
1 Commentaire
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
trackback

[…] point cannois, c’est à dire au mercredi 23 mai, avec notamment la présentation du fabuleux Sur la Route de Walter Salles. Un long-métrage adapté de l’œuvre culte de Jack Kerouac qui est loin […]