[Critique] LA VIE D’ADÈLE – CHAPITRES 1 & 2

CRITIQUES | 4 octobre 2013 | Aucun commentaire

Festival de Cannes 2013 – En Compétition – Palme d’Or

Rating: ★★½☆☆ (moyenne)
Origine : France/Belgique/Espagne
Réalisateur : Abdellatif Kechiche
Distribution : Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux, Salim Kechiouche, Jérémie Laheurte, Mona Walravens, Aurélien Recoing, Catherine Salée…
Genre : Drame/Romance/Adaptation
Date de sortie : 9 octobre 2013

Le Pitch :
Adèle, 15 ans, est passionnée de littérature, admiratrice du cinéma de Scorsese et de Kubrick, et souhaite devenir institutrice de maternelle quand elle finira ses études, tout en comptant suivre l’exemple de ses copines et tomber amoureuse d’un beau garçon. En pleine phase hormonale et mal dans sa peau, elle tente malgré tout de débuter une relation avec Thomas, un camarade de classe. En même temps cependant, elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleus dont elle croise le regard un jour dans la rue. Pour Adèle, c’est le coup de foudre. Cette rencontre bouleverse son existence, et Emma visite chaque nuit ses rêves et ses désirs intimes. Découvrant qu’elle a une attirance pour les filles, Adèle commencera une belle aventure d’amour avec Emma, mais alors que les deux femmes atteignent l’âge adulte et entrent dans la maturité, la vie intervient, et on se demande si l’amour est vraiment éternel…

La Critique :
Inspiré du roman graphique Le Bleu Est Une Couleur Chaude, La Vie d’Adèle chronique exactement cela : la vie (lycéenne, adolescente, quotidienne, amoureuse) d’Adèle, et sa longue relation intense avec une autre femme, dont la chevelure bleue est la source du titre. Le film a une durée impressionnante de trois heures, dont la majorité comprend simplement des scènes conversationnelles entre les deux amantes et quelques personnages secondaires.

Son réalisateur, Abdellatif Kechiche, est un homme de rythme, construisant le réalisme quasi-romanesque de son film avec les notes les plus compliquées : des regards plaintifs, des cuts furtifs, des dialogues qui paraissent improvisés. À travers son sens de composition et sa collaboration avec ses deux actrices remarquables, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, il révèle une sensibilité à nuancer les émotions qui s’avère assez frappante, et comme tout homme de rythme, ses notes sont parfois mélodieuses.

Il y a l’éveil dans le visage d’Adèle quand elle embrasse une fille pour la première fois, et l’horreur qui l’amène aux larmes quand elle vient en redemander. Il y a aussi ce mélange de terreur et d’extase qui submerge la jeune lycéenne quand elle entre dans son premier bar gay et ses hormones attirent toutes les femmes plus âgées qu’elle. Puis il y a les réactions d’Emma, qui semble étudier Adèle et sa progression vers l’homosexualité avec un air curieux, mais décisif. De plus, Emma est une intellectuelle, ce qui veut dire qu’on peut avoir des longues conversations sur Sartre et Bob Marley (et comme quoi tous les deux étaient prophètes).

Pendant l’acte premier, la caméra de Kechiche traîne autour des couloirs, la cantine et la cour du lycée d’Adèle comme dans un documentaire, espionnant les conversations étudiantes et mettant en valeur l’expression morose d’Adèle alors qu’elle débarque en classe chaque jour. Ce mec aime les visages, et il y a du talent ici, exhibant la banalité maussade des expériences pubères et tendant une oreille aux discussions adolescentes qui empiètent les unes sur les autres, façon Robert Altman. Mais Kechiche a aussi un style visuel étroit qui ne s’ouvre que très tard dans le film, et scène après scène de gros plans en caméras rapprochées, la réalisation finit par devenir étouffante. Pour toute cette intimité avec ces personnages, il pourrait parfois reculer un peu. Même les romances ont besoin d’espace pour respirer.

Comme son héroïne, Kechiche a la main maladroite, et lui et la subtilité ne sont pas de très bons amis. Les débuts de La Vie d’Adèle sont souillés par une discussion en classe sur La Vie de Marianne de Marivaux, où les élèves lisent les thématiques importantes du scénario à voix haute tout en regardant anxieusement la caméra, s’assurant qu’on a bien gobé le message. Ce genre de panneau indicateur condescendant destiné aux idiots du dernier rang est le dispositif scénaristique le plus merdique de l’existence, et je le sais parce que je l’ai utilisé en classe de cinquième.

La deuxième heure de La Vie d’Adèle est la meilleure, un élan vertigineux d’euphorie bordélique, où Adèle et Emma papotent, font la fête et passent parfois des séquences entières sans échanger beaucoup de paroles. Un moment inconfortablement drôle juxtapose Adèle qui dine avec les parents tolérants et libres d’esprit d’Emma, entièrement conscients de la sexualité de leur fille et poussant leur invité à goûter des huîtres (subtil !), pour ensuite présenter Emma à sa famille plus conservatrice en mangeant des plats de spaghetti. Ces images de sourires et de bon temps articulent avec beauté le sentiment que le monde entier semble s’évaporer quand l’amour entre en jeu, beaucoup plus que les métaphores intrusives que Kechiche semble déterminé à nous faire avaler, comme la (sur)utilisation du bleu.

La couleur, spéciale guest star chez les vêtements, les vernis à ongles, les lumières en boîte de nuit et les fumigènes pendant une gay pride, éclaboussent gauchement les vies d’Adèle et de Emma pendant leur cycle amoureux, comme si le monde vidait lentement la teinture d’Emma au début du film jusqu’à ce que ses cheveux blonds retrouvent leur couleur naturelle. Très tôt dans le long-métrage, alors que les filles parlent de Sartre et d’humanisme (what else ?), on se demande si la seule raison pour laquelle Adèle se déclare fan de Pablo Picasso après avoir appris qu’Emma étudiait les beaux-arts, c’est que le peintre a eu une « période bleue ». Les méthodes de Kechiche n’ont ni la poésie ni le surréalisme suffisants pour que cet usage fleuri de couleurs soit autre chose qu’un gimmick pompeux qui s’écrase la gueule, ne communiquant qu’un sens très vague et potache de mélancolie. Quoique Emma, qui passe une scène à défendre Gustav Klimt pour son côté non-fleuri, ne serait sans doute pas du même avis.

On arrive au moment de la critique où je suis censé applaudir la « sexualité crue » et les « prestations courageuses » du film, traductions journalistes pour « scènes de sexe hardcore » et « actrices souvent toutes nues ». Mais blague à part, les scènes d’amour, certes explicites, sont en harmonie avec le reste du film. Filmées avec une précision chirurgicale et provocatrices uniquement dans l’idée qu’elles cherchent à montrer l’amour comme quelque chose d’asexué (une théorie annoncée à Adèle alors qu’elle rentre dans sa première boîte lesbienne), les parties acrobatiques de jambes en l’air seraient pornographiques uniquement hors-contexte. Elles servent principalement de transitions fluides, représentant simplement les relations physiques entre Adèle et Emma comme une routine naturelle avant de passer à l’étape suivante de leur rapport. Bizarrement, la séquence beaucoup vantée qui dure dix minutes est un tel mélange de corps et de chair pétrie qu’elle rappelle plus un étalage de viande à la charcuterie qu’un porno esthétisé.

Puis il y a Cette Scène, et c’est ici que La Vie d’Adèle commence à m’échapper. Non, c’est pas la scène citée plus haut, mais c’est Cette Scène, désormais un cliché du cinéma français : l’engueulade. Les histoires d’amour comme celles-ci sont destinées à mal finir, mais La Vie d’Adèle fonce droit dans un mur lors d’une scène de rupture malavisée qui éclate en hystérie. Rouges d’émotion, les yeux exorbités, embourbées par la morve et les larmes, Adèle et Emma se hurlent dessus, s’échangent des gifles, pleurent et vocifèrent tellement que ça finit par devenir absurde. Ces types d’indulgences embarrassantes dans le cabotinage n’ont jamais rien eu de naturel, et freinent le récit inutilement pour montrer que tel ou telle acteur/actrice est en train de MONTRER SON JEU D’ACTEUR !

Il existe bien d’autres moyens d’exprimer la haine et la douleur. Malheureusement, Cette Scène semble être devenue une obligation contractuelle dans les mélodrames français. C’est un affreux moment de faiblesse, qui dure beaucoup trop longtemps, tue presque toute la bienveillance venue auparavant et La Vie d’Adèle ne s’en remet jamais vraiment. Le film s’essouffle discrètement, s’achevant une ou deux scènes trop tard pour réussir l’atterrissage.

Mais bon, il faut quand même admirer la sincérité chaleureuse avec laquelle Kechiche cherche à saisir le lyrisme qui est honnêtement, épiquement, hors de sa portée. Le réalisateur montre beaucoup d’intérêt envers ses sujets, peut-être bien plus que pour son public. Et en y repensant, c’est assez amusant d’y une version moderne du phénomène jadis commun de drames européens prestigieux défonçant le box-office d’autres pays comme les States, basés uniquement sur leur sexualité explicite. La Vie d’Adèle est long, mais ce n’est pas sa longueur qui lui fait défaut. Il y a de la vraie passion derrière ces images.

@ Daniel Rawnsley

La-vie-dadele-photoCrédits photos : Wild Bunch Distribution

Mini-Critique : 

Gilles Rolland : Note : Rating: ★★☆☆☆

Adèle est au lycée. Elle a le nez bouché en permanence, ne se mouche jamais et traverse la vie en affichant une moue boudeuse à peine égaillée par quelques sourires fugaces. Adèle rencontre ensuite Emma et tombe amoureuse. S’ensuit une histoire sulfureuse qui donne l’occasion à Abdellatif Kechiche d’assouvir ses fantasmes de réalisateur de porno contrarié. Les scènes de sexe sont bien trop longues, comme d’ailleurs la plupart des scènes du film, et le cinéaste semble prendre un malin plaisir à tirer un max sur la corde afin de proposer une fresque de presque 3 heures, alors qu’1h30 aurait suffit. Entre temps, le long-métrage prend soin d’opposer les prolos et les bobos. Les premiers (du côté d’Adèle) ont l’esprit étriqué. Pour eux, il faut trouver un travail sûr et être hétéro. Pour les bobos (du côté d’Emma), l’art est primordial. On parle d’artistes et on méprise gentiment ceux qui ne lisent pas, ne peignent pas ou n’écrivent pas. Et bien sûr, on accepte tout à fait l’homosexualité… Pourquoi des gens simples, qui ne savent pas qui est Klimt et qui enseignent aux maternelles ne pourraient pas avoir l’esprit ouvert ? Voilà le genre d’interrogation qui n’effleure même pas le réalisateur. Quand il superpose deux scènes qui se répondent, à savoir celles qui voient les deux héroïnes aller manger dans leur famille respective, la tendance d’Abdellatif Kechiche de ne voir la société que par le prisme d’un esprit scandaleusement étriqué, apparaît véritablement flagrante.

Vain, beaucoup trop long et trop lent, La Vie d’Adèle est surtout irritant car il offre une vision de la vie dictée par des clichés franco-français, bien archaïques, qui ignore les nuances. La fin du film va d’ailleurs dans ce sens. Kechiche écrit avec la finesse d’un tank russe et réalise en pompant allègrement les codes d’un cinéma hautain, qui affirme haut et fort détenir une vérité. Parcouru de séquences complètement aux fraises (comme quand Adèle est prise à partie par ses camarades de classe qui l’accusent d’être lesbienne), le film jouit heureusement de l’interprétation étonnamment solaire d’Adèle Exarchopoulos, pourtant pas vraiment aidée par un script indigent. En face, Léa Seydoux se livre à une imitation tout à fait convaincante de Josiane Balasko dans Gazon Maudit. C’est dire le niveau…

Par Daniel Rawnsley le 4 octobre 2013

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