[Critique série] THE SHIELD

SÉRIES | 7 mai 2015 | Aucun commentaire
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Titre original : The Shield

Rating: ★★★★★
Créateur : Shawn Ryan
Réalisateurs : Clark Johnson, Gary Fleder, D.J. Caruso, Guy Ferland, John Badham, Peter Horton, Brad Anderson, Michael Chiklis, Dean White, David Mamet, Stephen Kay, Vondie Curtis-Hall, Frank Darabont, Terrence O’Hara, Rohn Schmidt, Craig Brewer, Billy Gierhart, Clark Johnson, Kurt Sutter…
Distribution : Michael Chiklis, Walton Goggins , David Rees Snell, Kenneth Johnson, Benito Martinez, CCH Pounder, Catherine Dent, Michael Jace, Jay Karnes, David Marciano, Paula Garcès, Cathy Cahlin Ryan, Michele Hicks, Glenn Close, Forest Whitaker, Anthony Anderson, Michael Peña, Alex O’Loughlin, Sticky Fingaz, Daniel Pino, Jamie Anne Allman, Lucinda Jenney, Brian White, Laurie Holden, Laura Harring, Onahoua Rodriguez, Frances Fisher…
Genre : Policier/Drame
Diffusion en France : Jimmy/Canal +/France 3/NT1
Nombre d’épisodes : 88 (7 saisons)

Le Pitch :
Farmington, carrefour des gangs et de diverses familles du crime organisé : un commissariat bâti dans une ancienne église, tente de maintenir un semblant d’ordre dans le district. Parmi le personnel, quatre hommes, Vic Mackey, Shane Vendrell, Ronnie Gardocki et Curtis Lemansky sont au cœur des attentions. Leur équipe est régulièrement citée pour des brutalités et des pratiques douteuses qui, bien qu’elles fournissent d’excellentes statistiques en termes de crimes résolus, sont réprimandées par le capitaine ambitieux et assoiffé de pouvoir David Aceveda, qui s’est juré de faire tomber les quatre flics…

La Critique :
À la fin des années 1990, un énorme scandale a éclaboussé le Los Angeles Police Department (pourtant habitué aux scandales). Plus de 70 policiers de la Community Ressources Against Street Hoodlums (ou CRASH) de la division de Rampart (un district de Los Angeles) ont été impliqués. Bavures, tabassages injustifiés, falsification de preuves, subornation de témoins, vol et recel de drogue, braquage de banque, parjure et dissimulation de preuves de ces activités, à quoi on peut ajouter des liens avec le sulfureux Suge Knight du label de rap Death Row, avec le gang des Bloods et avec le meurtre de Notorious B.I.G. On trouve des références à l’affaire de Rampart dans quelques films, de l’excellent Collision à Cellular et le film Rampart en parle très bien. Quelques années après le scandale, Shawn Ryan s’en est largement inspiré pour The Shield, sa nouvelle série, se situant dans le district fictif de Farmington en rebaptisant le CRASH, Strike Team, pour éviter tout procès de la part du LAPD. En s’inspirant d’une telle histoire, Ryan ne pouvait pas créer une série qui se conforme aux canons des cop-shows, et c’est tant mieux.

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Ici, l’action se déroule dans Le Bercail, un commissariat expérimental situé dans une ancienne église. Comme il s’agit d’une expérience, le capitaine et toute l’équipe sont soumis à la pression des statistiques. Il faut résoudre le maximum d’affaires à n’importe quel prix tout en assurant la paix dans la rue. Et cette deuxième mission est assurée par la Strike Team, soit quatre flics aux méthodes contestables. Pour limiter au maximum l’influence des gangs, des liens contre-natures sont tissés avec ces derniers. Brutalité, corruption, échanges de bons procédés, tout est bon et cette équipe agit en quasi-impunité. Fini les personnages lisses qu’on a pu voir dans d’autres séries du genre. Là, c’est bien plus complexe, et plus torturé. Le patrouilleur Julien Lowe (Michael Jace) est un homosexuel refoulé, fervent croyant dont l’incompatibilité entre ses croyances et son orientation sexuelle le conduit à suivre une « thérapie de réorientation » qui affectera non seulement sa vie privée mais aussi son travail. Dutch Waggenbach (Jay Karnes), est l’intello de la classe qui prend cher. Perçu comme orgueilleux et condescendant, il est extrêmement têtu et bon profiler et déteste l’échec, mais sa droiture lui interdit de franchir la ligne jaune pour résoudre une enquête. Il déteste cordialement la Strike Team et surtout Vic Mackey, et l’ambiance entre les deux est souvent électrique. Claudette (CCH Pounder) est l’autre caution morale du bercail. C’est avec Dutch, le personnage le plus proche des canons des cops shows. Elle est exaspérée par les méthodes de Vic Mackey et s’entêtera à essayer de le faire tomber. De l’autre côté de la morale, la Strike Team et surtout le tandem Vic Mackey/Shane Vendrell. Vic (Michael Chiklis) étant le chef du groupe. Il est le personnage le plus ambivalent et sombre du commissariat. Extrêmement violent avec ceux qu’il juge mauvais (dealers, tueurs, violeurs et ceux qui s’attaquent à des enfants) comme il est adorable avec ses enfants, il est perspicace, intelligent, manipulateur, menteur, charismatique. C’est le cerveau de l’équipe dans les mauvais coups. Il est prêt à tout pour s’en sortir, pour son équipe et pour sa famille. Son interprète le juge comme « un mélange entre Hannibal Lecter et Dirty Harry ». Bien que sombre et inquiétant, il est difficile pourtant de le détester. Shane en revanche est plus irréfléchi, parfois raciste, ingérable, et quand il franchit la ligne jaune, il ne s’arrête pas avant une certaine limite, contrairement à Vic. Il veut faire comme son mentor mais s’avère finalement être un chien fou.

Pour faire une bonne série, il faut de bons méchants et ceux de The Shield sont particulièrement réussis. Armadillo Quintero (Danny Pino) est un dealer, fondateur d’une réunion de deux gangs latinos rivaux. Il est aussi intelligent que cruel. Son sadisme rappelle celui des redoutables Zetas mexicains. Antwon Mitchell (Anthony Anderson) est un baron de la drogue, leader des One-Niners prétendument rangé des voitures et se donnant une certaine respectabilité auprès de la communauté noire à coup de discours prédicateurs. Il est charismatique et n’a peur de rien et de personne. Mais les meilleures nemesis de la Strike Team seront l’inspecteur des Affaires Internes Jon Kavanaugh et David Aceveda (Benito Martinez), tous ayant pour but ultime de faire tomber Vic à tout prix. Le deuxième est en quelque sorte un pendant de Mackey. Incroyablement calculateur et manipulateur, communautariste, assoiffé de pouvoir, prêt à tout pour l’avoir, y compris s’entourer de personnes sulfureuses. Sa façade de droiture se fissure au grès des saisons. Il est l’archétype du politicien douteux.

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Ce qui dénote également dans The Shield, c’est son réalisme. À quelques kilomètres de Hollywood, on retrouve l’envers du décor du rêve américain : crack houses, prostituées de rues camées, sex-club clandestin, violences conjugales, tueurs en série, guerre de gangs, tensions continues entre communautés, extrême pauvreté, rien n’est oublié et The Shield est une vision désenchantée de l’Amérique, à mille lieux des messages souvent véhiculés dans les séries policières. Les gangs et mafias sont assez proches de ceux qu’on connaît dans la réalité et sont pléthoriques : One-Niners (assez similaires au Bloods et aux Crips) et Spookstreets pour les gangs afro-américains, Byzantine Latinos alias Byz-Lats , Los Magnificos, Los Toros, Los Profetas pour les gangs latinos (dont les tatouages font penser aussi aux maras), K-Town Killer, La Horde…
La série de Shawn Ryan a inspiré Braquo en France, mais si, dans une fiction policière française marquée par des soupes (Julie Lescaut, Navarro…), Braquo faisait figure de rebelle qui brise les barrières, force est de constater que l’écart entre le modèle et l’inspiration pourrait être qualifié de grand fossé. Si la première saison était aussi noire que prometteuse, on a pu voir que la deuxième partie de celle-ci perdait en réalisme et la saison 2 emmenée par Abdel Raouf Dafri partait complètement en vrille, alors que The Shield ne se départit à aucun moment de ce que l’équipe du CRASH de Rampart aurait pu faire. De plus, si Braquo essaie de trouver une justification dans le comportement de son équipe de choc parti en guerre contre un méchant inspecteur de l’IGS (en partie inspirée par le personnage de Jon Kavanaugh), la série légitime les actes par la condition des flics qui franchissent la ligne jaune mais restent de bons flics et sont, au final, des victimes du politiquement correct. En revanche, dans The Shield, si Shane et Vic essaient de justifier leurs actions par la volonté de protéger l’équipe et leur famille, il n’empêche qu’au final, ces flics ripoux jusqu’à l’os agissent surtout pour leur gueule. La série arrive à ne pas cautionner les actes de la Strike Team (même si on n’arrive pas à les haïr) tout en évitant tout ton moralisateur et manichéen.
À l’image de la vie, on n’est pas dans le noir ou le blanc, mais dans le gris en permanence.
Portée par un pool de réalisateurs parmi lesquels on trouve le prometteur D.J. Caruso (Taking Lives, Paranoïak), le confirmé John Badham (War Games, Short Circuit, Meurtre en Suspens) et même Frank Darabont, (réalisateur des Evadés, et de La Ligne Verte), The Shield bénéficie d’un montage rythmé et est filmée caméra à l’épaule, ce qui lui donne ce côté sec et nerveux. La musique participe également à la dramaturgie, avec la présence d’une bande-son fournie (Coldplay, Flogging Molly, Smashing Pumpkins, Johnny Cash, mais aussi pléthore de morceaux de rap, de metal ou de musique latina).

Autre qualité du show, son casting fourni en talents. Au sein de la Strike Team, Michael Chiklis est génial et, à part la quatrième saison d’American Horror Story, n’a pas eu la carrière qu’il aurait mérité, alors que son personnage fait partie des flics cultes. Walton Goggins (Shane Vendrell) est prometteur, tout comme le sobre David Rees Snell (Ronnie) et le bluffant Kenneth Johnson (Curtis Lemansky alias Lem). Au sein de la police, les expérimentées CCH Pounder et Catherine Dent (sergent Danielle Sofer) sont à la hauteur, tout comme Jay Karnes et Michael Jace, qui a connu récemment, hélas, une véritable descente aux enfers, ainsi que la prometteuse bombe Paula Garcès (officier Tina Henlon). Dans les méchants, on retrouve du solide avec les brillants Benito Martinez (Million Dollar Baby, Alerte !), Danny Pino (qui, par la suite sera de l’autre côté de la barrière dans Cold Case et New York, Unité Spéciale), et Anthony Anderson (Perpète, Roméo doit Mourir, Fous d’Irène). Il faut ajouter à cela les guest stars toutes impeccables : le rappeur Sticky Fingaz du groupe Onyx, Kurt Sutter (producteur exécutif de The Shield, réalisateur du l’épisode diffusé sur internet, futur créateur de Sons of Anarchy), Franka Potente (Cours Lola Cours, Anatomie), Laurie Holden (The Majestic, The Walking Dead), Carl Weathers (le légendaire Apollo Creed dans la saga Rocky), et John Diehl (Larry Zito dans la série Deux Flics à Miami et plusieurs rôles notables). Mais les présences les plus remarquées sont celles des monstres sacrés Glenn Close et Forest Whitaker, et leur nomination à plusieurs prix (Emmys et Satellite Awards) est méritée (bien qu’ils auraient mérité une récompense).

Porté aussi bien par des acteurs géniaux, un réalisme frontal, une ambiguïté entre bien et mal, une bande-son impeccable que par la réalisation et le montage hyper rythmés, The Shield a fait date dans l’histoire des séries américaines. Tout comme Sur Écoute (The Wire), elle a sorti le genre policier de la naphtaline. Fruit d’une époque où les séries n’avaient pas le même budget et l’aspect cinématographiques que maintenant, la série de Shawn Ryan a été précurseur de « crime series » plus sombres et torturées (de Dexter à Breaking Bad en passant par Sons of Anarchy par exemple). Oubliez les cop-shows à la NCIS ou Esprits Criminels, on entre là dans une dimension plus réaliste. The Shield est une série culte, de celles qui montrent au monde l’autre visage d’une certaine police et du prétendu rêve américain.

@ Nicolas Cambon

The-Shield-castCrédits photos : FX

 

Par Nicolas Cambon le 7 mai 2015

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