[Critique série] TOP OF THE LAKE

SÉRIES | 20 avril 2014 | Aucun commentaire
Top-of-the-lake

Titre original : Top Of The Lake

Rating: ★★★★½
Créateurs : Jane Campion, Gerard Lee
Réalisateurs : Jane Campion, Garth Davis
Distribution : Elisabeth Moss, David Wenham, Peter Mullan, Holly Hunter, Jacqueline Joe, Robyn Nevin, Thomas M. Wright, Robyn Malcolm, Mirrah Foulkes, Calvin Tuteao, Jay Ryan, Lucy Lawless, Geneviève Lemon, Edward Campbell, Kip Chapman, Georgi Kay, Jacek Koman…
Genre : Policier/Drame
Diffusion en France : Arte
Nombre d’épisodes : 7

Le Pitch :
Tui Mitcham a 12 ans. Elle est jolie, intelligente, pleine de vie et débrouillarde. Elle pourrait profiter de son innocence comme tous les enfants de son âge. Seulement voilà, une ombre plane sur elle : elle est enceinte, vit dans une ville de montagne où la mentalité est reculée, et son père est le redoutable Matt Mitcham, un inquiétant trafiquant de drogue. Un jour, Tui disparaît. Débarquée fraîchement de Sydney pour des raisons personnelles comme professionnelle, l’inspecteur Robin Griffin compte consacrer toute son énergie à sa recherche. Une enquête qui s’avère plus difficile qu’elle ne l’avait pensé, et qui fera jaillir de vieux souvenirs….

La Critique :
C’est avec Jane Campion que j’ai découvert pour la première fois les paysages de Nouvelle-Zélande. C’était en 1993, Holly Hunter jouait du piano sur une plage de sable noir dans une scène légendaire de La Leçon de Piano. Paradoxalement, le premier décor néo-zélandais que j’ai vu à l’écran et le dernier endroit que j’ai visité là-bas : les plages de Piha et Karekare, dans l’Ouest d’Auckland. Du sable noir d’origine volcanique jaillit une lumière particulière comme dans un tableau de la période Outrenoir de Pierre Soulages. Une lumière et une atmosphère que Jane Campion avait sublimée. Déjà, à l’époque, Jane Campion, un an avant un autre film coup de poing de Lee Tamahori (L’Âme des Guerriers), montrait que le paradis total n’existait pas, que même dans le plus beau pays du monde, des choses difficiles pouvaient se passer. Vingt ans après, Top of the Lake, qui marque son retour à la télévision 23 ans après Un Ange à ma Table, joue sur ce postulat. C’est un peu comme se balader dans certaines banlieues au sud d’Auckland, comme Otahuhu, on voit l’autre côté de ce magnifique pays, malgré les beaux décors. Cette mini-série nous emmène dans une Nouvelle-Zélande plus obscure que celle qu’on connait, dans une petite communauté rurale au bord du Lac Wakatipu, grande étendu d’eau de 80 km, proche des Alpes du Sud d’un côté et de Queenstown de l’autre. Un décor qui confère une dimension fantastique à la série, renforcée par l’impact des légendes autour du lac sur les drames qui s’y jouent. La série, parfois lente, permet d’apprécier, d’admirer même ces décors majestueux.

Une lenteur qui permet également de bien développer les personnages. Et c’est d’ailleurs un des atouts de Top of the Lake, où, en seulement quelques épisodes, les personnages sont bien plus étoffés, bien plus complexes que certaines séries qui sont bien plus longues. Ici, ce sont les femmes qui sont mises en valeur, en particulier l’inspecteur, la jeune fille et le gourou. Ce sont les pierres angulaires autour desquelles la série est articulée. C’est une tendance qui se développe, et cela montre de nets progrès, rares sont les séries montrant des femmes flics à poigne, indépendantes et pas forcément glamour. L’inspecteur Robin Griffin est de celle-là. Incarnée par l’américaine Elisabeth Moss (Mad Men), c’est une femme capable de tenir tête à des machos dans un bar, de diriger une équipe de policiers pas forcément coopératifs, qui n’hésite pas à braver le danger à la recherche de la petite Tui. Mais aussi une femme déchirée entre plusieurs décisions personnelles ; qui assiste sa mère atteinte d’un cancer et dont l’enquête ouvrira en elle des blessures du passé dans sa ville natale. À la recherche de Tui, c’est elle-même qu’elle vient chercher et elle y laissera des plumes. Tui, elle, est une petite fille qui aurait dû vivre une enfance normale, mais le lourd secret qu’elle porte la pousse à partir, pour s’évanouir dans la nature. Voulant protéger l’enfant qu’elle porte, elle se montrera d’un courage et d’une force de caractère peu communs, loin de la petite fille fragile que Robin pense chercher. GJ, la gourou, jouée par Holly Hunter, qui signe sa deuxième collaboration après La Leçon de Piano (pour laquelle elle avait obtenu plusieurs récompenses et qui l’avait révélé au grand public), est sans doute le personnage le plus difficile à cerner. À la tête d’une communauté new age (comme on en voit à pas mal d’endroits en Nouvelle-Zélande, notamment en Île du Sud) composée de femmes ayant besoin de se ressourcer après des problèmes sentimentaux, elle est l’étrangère, pas du tout intégrée par la population locale. Froide, cynique et mystique, elle est également très maternelle. Si elle n’a pas d’impact direct sur les événements, elle est un havre de paix pour les différents personnages tourmentés de l’histoire. Les hommes, quant à eux, sont majoritairement oppresseurs et manipulateurs comme dans beaucoup de communautés rurales patriarcales. En particulier Matt Mitcham, le méchant de l’histoire incarné par l’écossais Peter Mullan (Braveheart, Trainspotting, Harry Potter et les Reliques de la Mort, réalisateur d’Orphans), excellent dans ce rôle. C’est un homme macho, violent, inquiétant. Montrant en public la façade d’un père éploré, et un grand charmeur, en privé c’est un baron de la drogue dangereux et prêt à tout. Sa voix très grave et ses sentiments particuliers vis-à-vis de sa mère renforcent cette impression. Incarné par David Wenham (le Faramir du Seigneur des Anneaux), le chef de la police et mentor de Robin, Al Parker, quant à lui montre l’image d’un homme très impliqué dans sa ville. Parfois borderline dans ses méthodes, affichant un côté golden boy, il s’avère être un homme bien plus sombre et éloigné de son image publique. Aucun des personnages, principaux ou secondaire, n’est réellement ce qu’il prétend, à l’image de la réalité humaine.

Top-of-th-lake-elisabeth-moss-david-wenham-and-thomas-m-wright

Ce réalisme dur et froid, on le retrouve dans tous les éléments qui composent Top of the Lake. Pas d’effets visuels, pas de manichéisme, rien que la réalité brute, y compris dans les problèmes traités, que tout pays connait, comme la drogue, le chômage, la maladie, la pédophilie, le machisme. Top of the Lake n’est pas la meilleure vitrine à la gloire du pays du long nuage blanc, mais plutôt le conte tragique du désenchantement, la recherche du bonheur d’héroïnes torturées par un lourd passé, l’une cherchant à le fuir, quand l’autre se retrouve à devoir l’affronter, mais aussi deux âmes sœurs qui partagent un douloureux secret commun. Ce réalisme froid permet aussi de ne pas jeter l’opprobre sur ce magnifique pays, étant donné que tout ce passe dans une communauté rurale restreinte, celle de Laketop, et ce sont des problèmes, très graves, que l’on trouve dans beaucoup de pays. L’intérêt de situer l’action en Nouvelle-Zélande est avant tout de mettre en valeur de somptueux décors naturels et d’imbriquer une légende maorie autour d’un lac et son impact dans les drames de l’intrigue. Top of the Lake se détache d’autre séries par non seulement l’excellente interprétation des personnages, la magnificence des paysages et la psychologie des personnages, mais surtout par un parti pris de la lenteur, le temps que tout se mette en place, le suspense grandissant…avant de donner un violent coup de poing dans le ventre et de coller un KO.

@ Nicolas Cambon

Top-of-the-lake-Jane-CampionCrédits photos : Arte 

Par Nicolas Cambon le 20 avril 2014

Déposer un commentaire

S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires