[Critique] LENNY

STARVIDEOCLUB | 5 avril 2016 | Aucun commentaire
Lenny-poster

Titre original : Lenny

Rating: ★★★★½
Origine : États-Unis
Réalisateur : Bob Fosse
Distribution : Dustin Hoffman, Valerie Perrine, Jan Miner, Stanley Beck, Frankie Man…
Genre : Drame/Biopic/Adaptation
Date de sortie : 11 juin 1975

Le Pitch :
La vie et l’œuvre de Lenny Bruce, le comique américain le plus célèbre et le plus controversé des années 60. Un provocateur brillant, observateur et révélateur des travers de la société, pris pour cible par les autorités de son époque…

La Critique :
« Lenny est mort d’une overdose de police ». C’est ainsi que Phil Spector, le célèbre producteur de musique, lui aussi connu pour ses frasques, a un jour réagi à propos de la disparition de Lenny Bruce. Un homme qui avant de devenir la cible du FBI et un abonné des tribunaux, qui finirent ainsi par le mener à sa perte, s’imposa comme l’une des personnalités les plus brillantes de son temps. Car il faut savoir que Lenny Bruce a quasiment inventé le stand-up. Quand on voit ses numéros, impossible de ne pas penser à Louis C.K., à Chris Tucker et même bien sûr à leurs homologues français comme Guy Bedos, qui a d’ailleurs mis en évidence, dans un de ses sketchs, l’obscénité des policiers qui permirent aux journalistes de prendre des photos du corps sans vie de Bruce à la suite de son overdose. Une obscénité que ces mêmes autorités n’ont cessé de lui reprocher de son vivant, encadrant ses spectacles et sautant sur l’occasion pour l’accabler à chaque « gros mot » ou comportement jugé déviant. Fondateur, agitateur, penseur, Lenny Bruce a marqué les esprits.

Lenny-Dustin-Hoffman

Lenny, le biopic de Bob Fosse est ainsi important à plus d’un titre. D’un point de vue « historique » tout d’abord car il permet de faire connaissance avec le personnage, puis d’un point de vue cinématographique, tant Fosse a posé, avec ce film, les bases d’un genre à part entière, voire de plusieurs. Découvrir Lenny aujourd’hui, plus de quarante ans après sa sortie en salle, c’est forcément faire le rapprochement avec tous ces biopics sortis depuis, qui pour certains, ont calqué leur structure sur celle de Lenny. Sans avoir recours au plagiat, mais en réutilisant les mécanismes mis en place par Bob Fosse dont le travail se distingue encore aujourd’hui par sa modernité et son audace flagrante. On parle donc ici d’un long-métrage à la fois très intéressant sur la forme, et parfaitement pertinent et même carrément salvateur sur le fond.

Plutôt que de raconter la vie de son sujet en commençant par le début, Bob Fosse a préféré avoir recours à une forme semi-documentaire, en entrecoupant les moments clés de la carrière de Lenny Bruce par des interviews de ses proches. Des personnes comme son agent et surtout son épouse, interprétés à l’écran par des acteurs comme Valerie Perrine, par ailleurs brillante du début à la fin dans une composition borderline qui s’avérait plutôt difficile à saisir sans tomber dans l’excès (elle a remporté le Prix d’interprétation à Cannes). Depuis, Jerry Seinfeld et Louis C.K. ont d’une certaine façon repris cette dynamique dans leurs séries respectives, en intercalant des passages pendant lesquels ils se produisent sur scène, alternant avec des scènes censées faire progresser la trame de l’épisode. Avant tout le monde, Bob Fosse avait ainsi choisi d’illustrer les idées et plus globalement la démarche de Bruce en faisant de son film une succession de scènes « live » et de moments de vie, le tout également entrecoupé d’interviews.
Très dynamique, la mise en scène du réalisateur cadre parfaitement avec la terrible énergie qui se dégage du personnage incarné par Dustin Hoffman. Jamais bien longtemps posée, la caméra est vive, les plans sont pertinents, au cœur de l’action afin de saisir les subtilités des émotions, parfois à peine retranscrites, suggérées mais puissantes. D’un noir et blanc profond, le film se pose comme une œuvre d’art à part entière. Comme le terrain d’expérimentation d’un réalisateur en avance sur son temps, visiblement très inspiré, voire galvanisé par son sujet, en accord sur la forme avec la verve d’un Lenny Bruce quant à lui parfaitement campé par un Dustin Hoffman au-dessus de tout.
Avant Woody Harrelson dans Larry Flint ou, à plus forte raison, avant Jim Carrey dans Man of the Moon, Dustin Hoffman livre une performance à fleur de peau. À la fois fragile et puissante, fort et faible, abattu et combatif, brillant et pathétique, il rend justice à Lenny Bruce avec toute l’ambivalence, la pertinence et la passion dont il a si souvent fait preuve au cours de sa remarquable carrière. Grâce à lui, c’est tout le génie du comédien de stand up qui saute au yeux. Son génie mais aussi son importance au cœur d’une société qui, nous le savons maintenant, a avancé grâce à ces perturbateurs. Sorte de rock star, au même titre que Bob Dylan et d’autres figures emblématiques des années 60, Lenny Bruce ne pouvait pas trouver un meilleur interprète ni un meilleur réalisateur. Ensemble, avec la formidable Valerie Perrine, les deux hommes capturent l’étincelle. L’essentiel. Ils livrent le portrait d’un homme hors-norme mais aussi d’une époque. Celle du Vietnam et de la contestation. Sans sortir du cadre de la vie de Lenny Bruce, sans faire une démonstration, juste avec des mots et le pouvoir de l’interprétation, ils inscrivent leur travail dans une démarche satirique, qui en dit long sur la politique, la censure, le bon goût, l’humour, les États-Unis, le sexe, la violence, l’amour et l’ambition.
On pourra bien sûr souligner quelques ellipses hasardeuses, et ces rares moments où le script se répète un peu inutilement, mais cela ne suffit pas à amoindrir le formidable impact de Lenny. Un film matriciel qui ouvrira la porte à beaucoup d’autres et qui, en cela, mérite son statut de film culte.

Un mot sur l’édition collector :

Wild Side a fait un boulot admirable avec le film de Bob Fosse. Rassemblant le DVD et le Blu-Ray dans un superbe packaging, l’édition propose aussi un passionnant ouvrage signé Samuel Blumenfeld, qui pour sa part, revient sur la genèse du long-métrage, en proposant également moult photos.

@ Gilles Rolland

Lenny  Crédits photos : Wild Side

Par Gilles Rolland le 5 avril 2016

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