[Critique] BLACK SEA
Titre original : Black Sea
Rating:
Origine : Grande-Bretagne
Réalisateur : Kevin MacDonald
Distribution : Jude Law, Scoot McNairy, Ben Mendelsohn, Jodie Whittaker, Tobias Menzies, Michael Smiley, Grigoriy Dobrygin…
Genre : Thriller/Aventure
Date de sortie : 21 octobre 2015 (DTV)
Le Pitch :
Récemment renvoyé par sa société, un capitaine de sous-marin aux abois accepte de former une équipe clandestinement, afin de retrouver un trésor englouti pour le compte d’un mystérieux employeur…
La Critique :
Pourquoi Kevin McDonald est-il désormais considéré, en France, comme un tâcheron ? Ou plutôt comme un cinéaste mineur ? Non parce que le gars est quand même l’un des meilleurs metteurs en scène actuellement en activité. Un réalisateur capable d’aborder de nombreux genres sans se départir d’une pertinence et d’un patte qui, au final, font toute la différence. Si Le Dernier Roi d’Écosse, dont la sortie fut légitimement assez large (tout en restant dans le cadre des limites inhérentes au statut « indépendant » du film), Jeux de Pouvoir, qui, de part son casting (Ben Affleck, Russell Crowe, Rachel McAdams), ne pouvait pas passer inaperçu, et L’Aigle de la Neuvième Légion, avec Channing Tatum, ont à peu près reçu l’attention qu’ils méritaient, ce n’est plus trop le cas concernant ces dernières livraisons. Quand on parle de ses longs-métrages de fiction en tout cas. Du sublime et éprouvant How I Live Now et de ce dernier Black Sea, dont la sortie directement en vidéo dénote bien d’un manque assez scandaleux d’intérêt compte tenu de la qualité du produit.
Grand documentariste auquel on doit notamment des films portant sur Mick Jagger (Being Mick) et Bob Marley (Marley), Kevin MacDonald aborde ses fictions avec ce même regard affûté. Alors que ses docs exposent la réalité, à partir de laquelle il extrait une certaine émotion relative à l’essence du personnage central ou tout simplement du sujet, ses long-métrages de cinéma racontent une histoire en restant connectés avec une certaine âpreté et s’attachent surtout à retranscrire avec un maximum d’exactitude des événements qui gagnent ainsi en épaisseur, tout en encourageant vivement l’immersion. Et justement, quand on cause d’une troupe de gars burinés qui s’embarquent pour un voyage à hauts risques dans un sous-marin, l’immersion a plutôt intérêt à être au rendez-vous. Black Sea n’a donc rien à voir avec les films d’action plutôt superficiels du genre de U-571. MacDonald ne fait rien pour accentuer inutilement la tension ou pour souligner l’aspect spectaculaire. Et tout le monde se met au pli ! Jude Law pour commencer est exemplaire de sobriété. On savait l’acteur capable d’une grande noirceur (en opposition avec les rôles de beaux gosses de sa jeunesse ou ses incursions dans la comédie comme récemment avec Spy), mais ici, force est de reconnaître que sa performance est pour le moins viscérale. Sérieux comme un pape, il illustre la souffrance et la rage qui habitent son personnage, ainsi que sa détermination maladive. À ses côtés, les excellents Ben Mendelsohn ou encore Scoot McNairy prouvent bien qu’un soin tout particulier a été porté à la distribution, pertinente à plus d’un titre. Les hommes enfermés dans cette boite de métal perdue plusieurs mètres sous la surface de l’eau, tiennent tous un rôle bien spécifique et dénotent d’un désir d’instaurer un équilibre instable. Law et ses lieutenants de fortune sont tous des bombes à retardement. Un rien peut mettre en danger l’intégrité de leur mission et logiquement, leur survie à tous.
Appliqué, Kevin MacDonald parvient à instaurer un climat oppressant, en seulement une poignée de minutes. Dès l’exposition de son intrigue, avant même l’immersion du sous-marin, il commence à resserrer l’étau, en annonçant un périple en forme de chemin de croix, au sein duquel s’entrecroisent les thématiques puissantes que sont la rédemption, le courage, ou l’avidité. Forcément, Black Sea ne cause pas uniquement d’une chasse au trésor. Tout ceci est également métaphorique. On en vient même à penser à des œuvres comme Le Convoi de la Peur, de William Friedkin, qui en leur temps ont aussi synthétisé des craintes humaines, en extrapolant à l’extrême les conséquences des travers de notre société.
Les hommes de Black Sea sont acculés. Chacun à leur façon, ils luttent contre et pour quelque chose. L’argent, comme à l’accoutumée, représente une porte de sortie. La fièvre qui prend la forme d’une folie exponentielle, possède ses aventuriers et les pousse à agir d’une telle façon que revenir en arrière n’est pas une option. En cela, vous l’aurez compris, le dernier MacDonald est une brillante œuvre de son temps. Une allégorie de la crise économique, dans un écrin rouillé qui possède une sacrée gueule.
Car au-delà de sa signification intrinsèque et de la portée de son discours, Black Sea est aussi un formidable film d’aventure. Du genre qu’on ne voit pas beaucoup. Ou du moins, qu’on ne voit pas assez à notre époque. Le danger est permanent, la souffrance suinte par tous les pores du scénario, la réalisation est affûtée, exigeante et lisible. Au fond, peu importe la destination, car c’est à la façon dont le voyage va se dérouler que Black Sea s’attache. À la rage et au désespoir qui caractérisent cette équipée sauvage au sein d’un enfer d’eau salée, dans une embarcation délabrée qui à elle seule constitue l’autre grand personnage.
Peu de longs-métrages de ce genre ont réussi à traduire avec autant de force les sensations que peuvent éprouver des hommes enfermés. Si on considère que le film de sous-marin est un genre à part-entière, celui-ci est l’un des meilleurs. Toutes les émotions sont décuplées et magnifiquement illustrées. La photographie est superbe, la musique aussi. Pourquoi un tel film n’est pas sorti en salle ? Le mystère reste entier, mais en tout cas, c’est bien dommage…
@ Gilles Rolland