[Critique] BONE TOMAHAWK
Titre original : Bone Tomahawk
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : S. Craig Zahler
Distribution : Kurt Russell, Patrick Wilson, Matthew Fox, Richard Jenkins, Lili Simmons, David Arquette, Sean Young, Michael Paré…
Genre : Western/Horreur
Date de sortie : 11 mai 2016 (VOD)
Le Pitch :
En 1850, quelque-part entre le Texas et le Nouveau Mexique, une horde d’indiens particulièrement agressifs kidnappe plusieurs personnes, dans la petite ville de Bright Hope. Le shérif, accompagné de quelques hommes, dont le mari de l’une des personnes enlevées, décident de se lancer à la poursuite de ces mystérieux agresseurs. Ce qu’ils vont découvrir va dépasser leur entendement…
La Critique :
Diplômé d’une école de cinéma, S. Craig Zahler a commencé sa carrière au poste de directeur de la photographie sur des films à petits budgets. Écrivain, il s’est logiquement tourné vers l’écriture de scripts. On lui doit notamment celui de The Incident, du français Alexandre Courtès. Devant le peu d’enthousiasme de la profession à l’égard de son travail, l’homme s’est ensuite réfugié dans le heavy metal, en sortant plusieurs albums (notamment sous le nom Czar in Charnel Valley) et dans l’écriture, en publiant des romans. Pourtant, quelque-part, le cinéphile ne demandait qu’à sortir de sa tanière pour laisser entendre sa voix. C’est ainsi qu’est né Bone Tomahawk, sa première réalisation. Un coup d’éclat aussi surprenant que sauvage, qui synthétise à la fois plutôt curieusement, mais aussi finalement avec une logique impeccable, l’atypique parcours de Zahler. Car Bone Tomahawk n’est pas un western comme les autres. Brutal, âpre, rock and roll, il est aussi habité d’un esprit qui se refuse à toutes les formes de conventions. L’œuvre d’un artiste mis au ban d’une industrie à laquelle il vient d’asséner un terrifiant uppercut du gauche dans les mâchoires.
Les influences de Bone Tomahawk sont tout autant situées du côté de l’âge d’or du western (on pense à Ford, Peckinpah…) que de celui du film d’horreur (Carpenter bien sûr, mais pas que). Des références avouées que S. Craig Zahler respecte sans pour autant s’y reposer. Son film ne ressemble au final qu’à lui-même et s’impose avec naturel et parfois une belle insolence comme l’hybride parfait de deux styles que beaucoup d’autres avant lui ont tenté d’unir, mais jamais avec la même fougue. Ni avec la même maîtrise d’ailleurs, tant Bone Tomahawk se montre impressionnant sur tous les tableaux.
Tout débute comme un western classique. Enfin presque vu que la menace qui ne tarde pas à planer sur les habitant de cette petite ville prend rapidement des airs quasi-surnaturels. Pour autant, difficile de prévoir ce qui va leur tomber sur le coin de figure. L’ambiance est pesante, la poussière vole devant l’objectif, tout en conférant à l’image une patine pertinente, et grandement responsable de l’habile construction d’un postulat solide. Solide car simple. Finalement, au début, rien de très compliqué dans cette histoire de kidnapping au cœur du grand Ouest. Des gens, dont la doctoresse, se font enlever, et le shérif accompagné d’une poignée de volontaires, prend la route, sans trop savoir où il va ni a qui il va se frotter. C’est ainsi que débute Bone Tomahawk : comme un voyage quasi-initiatique où chaque personnage sort de sa zone de confort, si on peut employer cette expression à une époque où un simple virus pouvait raccourcir de manière considérable l’espérance de vie. Quoi qu’il en soit, le voyage à travers les terres arides se transforme en métaphore. Au fur et à mesure que les hommes avalent les kilomètres et que la fatigue se fait sentir, celui-ci devient une sorte de calvaire. Bone Tomahawk devient alors un survival. Presque naturaliste et contemplatif. Les mots comptant tout autant que les silences dans la construction de relations poussées jusque dans leurs derniers retranchements, à la faveur d’une atmosphère de plus en plus tendue, dévoilant progressivement les vraies velléités du scénario de S. Craig Zahler.
En tant qu’écrivain, Zahler a naturellement saisi l’importance d’une bonne histoire. La sienne est de la même nature que toutes les autres qui ont pu contribuer à bâtir sa cinéphilie et donné naissance à sa passion pour le cinéma. C’est d’ailleurs probablement cette même histoire, construite, étudiée, riche en thématiques savamment illustrées, sans aucune facilité, qui a su séduire les têtes d’affiches comme Kurt Russell, Matthew Fox, Patrick Wilson et Richard Jenkins. Des acteurs embarqués dans un périple au sein duquel leur condition de chasseurs est destinée à subir des bouleversements qui finissent par les changer en proies.
Pur film de genre, Bone Tomahawk n’oublie pas de soigner la caractérisation de ses personnages, offrant des partitions parfaites à la bonne expression du talent des comédiens. Taiseux, charismatique, et décidément parfaitement à son aise dans un registre qu’il a toujours affectionné, Kurt Russell fait mouche une nouvelle fois. Arborant un look proche de celui de son rôle dans Les Huit Salopards de Quentin Tarantino, il incarne à lui tout seul une idée en somme toute noble de l’Ouest américain, comme ont pu le faire si souvent John Wayne, Clint Eastwood et Kevin Costner. Exploité avec une justesse qui nous explose à la tronche à chacune de ses apparitions, Russell joue pourtant à jeu égal avec ses compagnons de route, que ce soit Richard Jenkins, encore une fois pile poil dans le ton, dans les frusques d’un personnage surprenant et attachant, Matthew Fox, brillant d’arrogance, illustrant lui aussi une facette de la légende du western made in USA, et Patrick Wilson, l’un meilleurs acteurs de sa génération, ici dans une position certes peu enviable, mais tout à fait indiquée pour lui permettre de livrer une performance mémorable, toute en retenue. Sans oublier Lili Simmons, une transfuge de la série Banshee, dont le rôle permet à Bone Tomahawk de s’inscrire dans une certaine modernité loin des discours machistes propres à certains titres phares du genre.
Sorte d’équipée sauvage en plein désert, Bone Tomahawk prend son temps. Il ne met jamais la charrue avant les bœufs et conserve un équilibre aussi fragile que remarquablement entretenu tout du long, sans jamais engendrer l’ennui. Jusqu’au moment où tout bascule dans l’horreur la plus totale et la plus graphique. C’est alors que le métrage devient une espèce de déclinaison burinée et désertique des Chasses du Comte Zaroff, ou de Predator. L’agresseur montre son vrai visage et le spectacle prend d’un coup d’un seul l’apparence d’un authentique et viscéral trip gore. Le réalisateur accélère le rythme et nous prend violemment à revers. Un peu comme Une Nuit en Enfer avant lui, le film dévoile ses véritables intentions dans les tripes et les flots d’hémoglobine. Et loin de se complaire dans une avalanche grand-guignol à destination d’un public amateur de charcuteries filmiques, Bone Tomahawk en profite alors pour dévoiler toutes ses cartes. Il offre aux réflexions initiées jusqu’alors une conclusion empreinte d’ironie et atteint un niveau à proprement parler hallucinant d’intensité.
On insiste là-dessus car il convient véritablement de le faire, mais c’est justement le côté très littéraire du film, sa façon de nourrir son récit, qui lui permet, dans son dernier tiers, de sonner avec une telle brutalité et de choquer sans avoir recours à des raccourcis ou de vulgaires jump scares. S. Craig Zahler nous a raconté une histoire qu’il souhaite achever d’une telle façon que le spectateur n’aura pas d’autres choix que de remettre en perspective tout ce qui a précédé. Le procédé est plus que malin. Un peu roublard, il témoigne surtout de l’intelligence d’un réalisateur ayant eu le contrôle total sur son œuvre.
Rares sont les films comme Bone Tomahawk. Non seulement cet hallucinant lon-métrage que personne n’a vu venir, parvient à mixer les genres sans faute de goût, mais il réussit aussi l’exploit de ne jamais sonner creux, comme beaucoup de slashers, certes divertissants, mais un peu vains, peuvent le faire. Nous avons ici affaire à un véritable western et à un authentique film d’horreur. Les deux styles étant abordés de la manière la plus radicale qui soit. Et si il est bien sûr dommage que Bone Tomahawk ne sorte qu’en vidéo, il faut aussi avouer que le format est peut-être plus adapté à sa condition d’objet filmique non identifié. Le genre qu’on regarde le samedi soir, tard dans le nuit, pour s’offrir un festin de sensations fortes. Le genre de chef-d’œuvre qui reste dans les mémoires. Classique instantané, Bone Tomahawk est fait de ce bois-là.
@ Gilles Rolland