[Critique] CERTAINES FEMMES

CRITIQUES | 6 mars 2017 | Aucun commentaire
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Titre original : Certain Women

Rating: ★★★★½
Origine : États-Unis
Réalisatrice : Kelly Reichardt
Distribution : Laura Dern, Michelle Williams, Lily Gladstone, Kristen Stewart, Jared Harris, Rene Auberjonois, James LeGros…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 22 février 2017

Le Pitch :
Quatre femmes très différentes vivant en plein cœur du Montana, tentent chacune à leur façon, avec imperfection et lassitude parfois, de s’accomplir…

La Critique de Certaines Femmes :

Les films de Kelly Reichardt se déroulent dans l’espace entre les mots, à l’intérieur des pauses et des gestes. Les silences sont assourdissants et souvent, quand les gens parlent, c’est comme s’ils ne disaient rien du tout. Certaines Femmes, le sixième métrage de cette réalisatrice/scénariste/monteuse incroyablement talentueuse, est peut-être la distillation la plus pure de Reichardt et de sa sensibilité. Il pourrait en cela bien être l’un de ses meilleurs films.

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La banalité cosmique

Comme avec ses œuvres précédentes, c’est l’effet « cumulateur » qui compte ici, avec des échanges et des regards qui s’enracinent dans l’esprit et qui parfois ne fleurissent pas avant des heures, voire des jours. Le cinéma à combustion de Reichardt possède un goût qu’il faut apprendre à aimer : son second ouvrage, Old Joy, suivait la réunion de deux potes de fac qui se retrouvaient à la quarantaine pour un séjour camping (et seulement un camping ; le film se constitue de ça et rien d’autre) qui amène à tour de rôle la confrontation, la contemplation et finalement le questionnement.

Durant à peine 1h30 et tremblant d’anxiétés inhérentes à l’ère George W. Bush, Old Joy habitait le calme entre les paroles et les personnages étaient éclipsés par une Mère Nature indifférente à leurs disputes minuscules (le genre de film qu’on pourrait très bien trouver insupportable en le regardant, sans arriver à le chasser de nos pensées des semaines et des semaines plus tard). Tout ça pour dire, donc, que ce ne sont pas des films pour des spectateurs impatients. Mais quand ils finissent par atterrir, l’impact peut être séismique.

Adapté d’un livre de nouvelles signé Maile Meloy, Certaines Femmes se construit en trois courtes vignettes sur la solitude et les mauvaises communications, se chevauchant légèrement à travers la géographie du Montana et des personnages partagés, mais unies principalement par l’isolation émotionnelle des protagonistes. La première partie permet de retrouver Laura Dern en avocate stressée et amoureuse d’un ouvrier grande-gueule (Jared Harris). Une avocate occupée sur un dossier compensatoire qui est voué à l’échec. Dans la seconde, on rencontre Michelle Williams dans le rôle d’une working girl cassante qui s’efforce de sauver les apparences face à sa fille désintéressée et à son mari qui la trompe. La troisième histoire est aussi la plus déchirante : la nouvelle venue Lily Gladstone incarne une dresseuse de chevaux qui s’intéresse de façon « extrascolaire » à une prof qui fait des cours du soir, jouée par la toujours captivante (et complètement inconsciente) Kristen Stewart.

Actrices sans artifices

Ce qui nous frappe presque immédiatement à propos de ces femmes c’est à quel point elles sont épuisées. Tout le monde ici travaille trop et trop tard. Ce qui est illustré à travers des détails indicateurs comme Dern qui porte un pull toujours froissé ou Stewart s’essuyant la bouche avec une serviette de restaurant encore enroulée autour des couverts. Les films de Reichardt se surpassent aussi quand il s’agit d’être texturés et spécifiques (ce qui explique probablement pourquoi ils fonctionnent encore mieux avec des visionnages multiples), suivant leurs personnages à travers des tâches quotidiennes apparemment sans intérêt et immergeant le spectateur si profondément dans leurs mondes qu’on peut presque ressentir l’automne frais et nordique du film dans la salle climatisée de cinéma.

Les histoires dans Certaines Femmes ne se croisent pas vraiment, mais agissent plutôt comme des échos et des réverbérations. Quand Dern traîne Harris voir un autre avocat pour qu’il puisse se faire un deuxième avis, elle découvre que son client est beaucoup disposé à suivre ses conseils quand ils lui sont donnés par un homme. Cela se reflète dans une séquence atrocement prolongée durant laquelle Williams tente d’acheter du grès chez un ancien du coin (Rene Auberjonois, un favori du grand Robert Altman) qui s’obstine dans le passif-agressif en ne répondant qu’aux questions de son mari. Mais au final, personne n’écoute vraiment personne dans ce film et c’est tragique, particulièrement lorsque Stewart parle sans jamais se rendre compte des grands yeux et l’adoration totale de Gladstone, son interlocutrice.

Tout dire sans rien dire

Le film peut être très drôle par moment, à sa façon. Laura Dern possède l’un des meilleurs visages du monde pour afficher l’expression « j’ai pas le temps pour ces conneries », chose qui lui sera particulièrement utile pendant l’une des prises d’otages les plus discrètes et délibérément décevantes de ces dernières années. Et comment ne pas rire lorsqu’on apprend que le personnage de Williams – une femme plutôt banlieue et très fitness déterminée à construire la maison de campagne la plus « authentique » qui soit – a nommé sa fille Guthrie ? Parce que bien sûr !

Williams qui est la clé au film, elle qui a déjà joué chez Reichardt dans Wendy et Lucy et La Dernière Piste. Elle nous raconte l’histoire de sa vie juste avec la façon dont elle s’allume une cigarette en cachette lors d’une balade en pleine campagne, ce qui est crucial parce qu’il n’y a pas de grands speechs dans les films de Kelly Reichardt où les gens peuvent blablater au sujet de leurs sentiments. Et de toute façon, même s’ils essayaient ils ne trouveraient pas les mots. Certaines Femmes est un film concerné par le comportement, avec des émotions compliquées qui sont transmises par les actes et des inférences qui passent tragiquement inaperçus. Mais il suffit de regarder d’un peu plus près et vous verrez chacune de ces femmes (et peut-être bien même quelques-uns de leurs hommes tristes et pathétiques) tendre la main, cherchant désespérément à être entendues. C’est pour ça que le film nous brise le cœur.

En Bref…
Certaines Femmes est l’un de ces films qui pourraient nous encourager à sortir la vieille citation « il se passe rien », alors qu’en fait, il se passe tout. Ce sont les silences qui parlent dans les films de Reichardt, et ses actrices ont chacune une présence qui hante les espaces. Leurs moindres expressions sont essentielles, consignant l’action dans le détail le plus ordinaire tout en gardant leurs personnages dans un contexte plus large. Parfois, les moments calmes sont les plus forts…

@ Daniel Rawnsley

Certaines-femmes-Kristen-Stewart  Crédits photos : LFR Films

Par Daniel Rawnsley le 6 mars 2017

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