[Critique] DELIRIUM TREMENS

CRITIQUES | 3 août 2012 | Aucun commentaire

Rating: ★★★★☆
Origine : France
Réalisateur : Mehdi J. Belhadj
Distribution : Maximilien Poullein, Prisca…
Genre : Thriller/Drame
Date de sortie : prochainement

Le Pitch :
Gabriel, un peintre alcoolique et agoraphobe, vit cloitré chez lui, où il passe ses journées à peintre et à boire. D’atroces cauchemars lui interdisent de plus tout sommeil prolongé.
Une amie, Nina, se décide à lui venir en aide et tente de le décider à se sevrer. Dès lors qu’il ne boit plus, Gabriel est transpercé de violentes transes, où il peint inconsciemment le portrait de mystérieuses inconnues. Des femmes qui sont bientôt retrouvées violées et assassinées…

La Critique :
C’est en février dernier que nous avons fait la connaissance de Mehdi J. Belhadj, un jeune réalisateur de 22 ans. Un cinéaste porté par un projet qu’il a lui-même monté de toutes pièces. À l’ancienne, c’est à dire en créant sa propre opportunité. En provoquant le destin. Dans l’interview qu’il nous a accordé (que vous pouvez retrouver ici), Mehdi J. Belhadj nous a présenté Delirium Tremens, son premier long-métrage. Un film qu’il a écrit et réalisé. Un film qu’il a financé en faisant appel à ses proches. Un film qui n’existerait pas sans la foi inextinguible de son géniteur, ni sans l’engouement et l’engagement de celles et ceux qui ont participé au projet, de près ou de loin. À commencer par les acteurs, Maximilien Poullein et Prisca, dont nous avons pu aussi recueillir les propos et les ressentis. Aujourd’hui, au terme d’une année de dur labeur, le film est enfin terminé.
Qu’on soit d’accord : la passion seule n’a jamais fait un bon film. Même si il est primordial de croire en son projet, la réussite d’une telle entreprise nécessite bien plus que cela. Quand on tourne un long-métrage avec à peine 2000€ en poche, les difficultés sont décuplées, tout comme les enjeux qui découlent de certains choix. Et l’équipe derrière Delirium Tremens a fait beaucoup de choix. Des décisions qui au final débouchent sur une œuvre personnelle, cohérente, impressionnante et superbement intense. En somme, tout l’inverse de Michael Bay (exemple pris au hasard) qui, avec ses deux derniers films, a enchainé les mauvais choix en dilapidant plusieurs dizaines de millions de dollars.

Tout à fait conscient de son manque de moyens financiers, le réalisateur de Delirium Tremens mise tout sur l’écriture et la mise en scène. En choisissant de ne situer l’action que dans quelques pièces d’une mystérieuse bâtisse, Mehdi J. Belhadj cristallise la tension qui ne cesse d’habiter le regard de Gabriel, le personnage principal et de ses échanges avec Nina, l’autre protagoniste du film. Un choix censé, car lourd de sens, qui sert le propos et muscle les ressentis inhérents à l’intrigue. L’intrigue d’ailleurs. Elle est à la fois limpide et complexe. On suit l’histoire d’un type finalement attachant dans sa détresse. Un personnage qui interroge la condition d’artiste dans ce qu’elle peut avoir de plus aliénant. Un gars qui tourne en rond, victime de son talent et de ses psychoses. Un homme pris dans le cercle vicieux d’une existence, qui ne semble pas vouloir laisser entrer la lumière salvatrice du soleil. À moins que…

Dans le rôle, Maximilien Poullein, un comédien de 29 ans impressionne durablement. Son regard à lui seul illustre la moelle profonde de Delirium Tremens. Alors que beaucoup en auraient certainement fait des caisses, Maximilien Poullein préfère la jouer tout en douceur. Du moins en apparence et les apparences peuvent être trompeuses. La tempête fait rage derrière le vernis du paraitre qui, dans le cas de Gabriel, ne cesse de s’effriter d’heure en heure. De quoi rendre encore plus impressionnants les accès de rage du protagoniste principal de Delirium Tremens. De quoi se souvenir longtemps de ses yeux révulsés par ses étranges transes nocturnes. Maximilien Poullein fait preuve d’un tact et d’une pertinence assez rare. Viscéral et sensitif, il ne lâche jamais la barre, ce qui est impressionnant quand on se rend compte qu’il est de toutes les scènes. Dans le calme ou dans la souffrance, physique ou mentale. La voix posée, puis beaucoup moins, les sentiments qui passent aussi par les non-dits… Maximilien Poullein habite Gabriel et on se doute que la séparation entre l’acteur et son alter-égo n’a pas du être aisée, comme nous le confiait le jeune comédien.
À ses côtés, Prisca fait entre autres office de connecteur. Elle vient du monde extérieur, pénètre dans le monde exigu et étouffant de son ami et tente de le sortir de sa détresse. Nina est un personnage énigmatique. Une sorte d’ange venue pour racheter l’âme de Gabriel. Prisca fait elle aussi preuve d’une grande sensibilité et d’un grand dévouement. Animée par l’amitié, Nina a aussi peur et Prisca traduit cette ambiguïté. Une ambiguïté croissante qui pose des questions et qui pose une ambiance. L’alchimie entre Maximilien Poullein et Prisca saute aux yeux. Ce qui donne à leurs échanges une intensité parfois troublante. Dès la première scène, la complicité est là. Que ce soit lors des transes de Gabriel, où Nina s’interroge, ou lors de cette superbe scène où les deux amis se retrouvent à peindre à l’unisson un tableau à la symbolique frappante.

Delirium Tremens traite donc de l’aliénation d’un homme coupé de tout et de tous. Gabriel est une victime. De l’alcool mais surtout de lui-même. Le film de Mehdi J. Belhadj s’inscrit dans la lignée de ces trips organiques et viscéraux, qui ont pu transcender le cinéma de genre depuis le début des années 70. Gavé aux films de John Carpenter et de ses contemporains, le réalisateur est avant tout un cinéphile. Cinéphilie qui transpire par tous les pores de son premier long-métrage. Les clins d’œil sont discrets mais nombreux, et retrouver au détour d’un plan, le portrait de Nicolas Cage ou un bout d’article sur Big John est un pur régal d’initié. Comme quand la musique emprunte cette tonalité proche des ambiances chères à Romero, dans la dernière partie du film. Ces allusions illustrent l’amour du cinéma du réalisateur et de ses acteurs. Delirium Tremens lorgne franchement vers les années 80. On pense donc à Carpenter et à Romero, mais aussi à Lynch et plus précisément à celui de Blue Velvet. Même mystère, même atmosphère à la fois oppressante et fascinante et même tendance à dégager de l’horreur une poésie lyrique inquiétante et touchante. De grandes références donc, qui n’empêchent pas Delirium Tremens d’exister par lui-même et de rester toujours humble.

La musique tient aussi un grand rôle. C’est d’ailleurs elle le troisième personnage du film. Qu’elle soit calme, au piano, ou plus enlevée, voire carrément décalée, la b.o. de Delirium Tremens occupe l’espace et habille l’intrigue. À noter les excellents morceaux Dead Light, The Tunnel par le groupe Kino Cold, dans lequel officie d’ailleurs Maximilien Poullein, mais aussi les partitions de Mehdi Belhadj et de Yohan Belhadj.

Delirium Tremens souligne l’importance d’un travail d’équipe cohérent dans un processus filmique artisanal, qui rattrape habilement son manque de budget par une mise en forme soignée et des idées à la pelle. Ce n’est pas si fréquent pour être souligné. De quoi placer en Mehdi Belhadj, Maximilien Poullein, Prisca et les autres intervenants du film, de gros espoirs pour la suite.

@ Gilles Rolland

Marie pour Delirium Tremens

Retrouvez aussi :

Interview Mehdi J. Belhadj

Interview Maximilien Poullein

Par Gilles Rolland le 3 août 2012

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