[Critique] LA FORME DE L’EAU – THE SHAPE OF WATER
Titre original : The Shape Of Water
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Guillermo del Toro
Distribution : Sally Hawkins, Octavia Spencer, Doug Jones, Michael Shannon, Richard Jenkins, Michael Stuhlbarg, David Hewlett, Nick Searcy…
Genre : Romance/Drame/Fantastique
Date de sortie : 21 février 2018
Le Pitch :
Aux États-Unis, en pleine Guerre Froide, Elisa, une femme de ménage muette, fait la rencontre d’une créature humanoïde aquatique retenue prisonnière dans un laboratoire secret de l’armée. Rapidement, des sentiments naissent entre les deux êtres mais le temps presse. Torturée, étudiée, la créature n’en a vraisemblablement plus pour très longtemps avant que son sort ne soit scellé…
La Critique de La Forme de l’eau – The Shape Of Water :
À l’heure où cette critique est publiée, au lendemain de sa sortie française, La Forme de l’eau, le dixième long-métrage de Guillermo del Toro est déjà un succès. Critique en tout cas vu le nombre de récompenses qu’il a très vite accumulées, dès lors qu’il se vit récompensé par le fameux Lion d’Or en septembre 2017 à la Mostra de Venise. Un film important pour le réalisateur donc, qui a souvent été sous-évalué et qui aujourd’hui, grâce à cette histoire d’amour entre une femme muette et une créature amphibie, est enfin reconnu tel le géant du septième-art qu’il est dans ce cœur de ses fans depuis longtemps déjà. Le problème, car malheureusement, il y en a un (voire plusieurs), c’est que si La Forme de l’eau est bel et bien excellent sous bien des aspects, il cumule également suffisamment de défauts pour que le résultat final n’ait pas la puissance, la portée et l’éloquence attendue…
Piège en eaux troubles
L’histoire que del Toro a imaginée pour La Forme de l’eau est assez simple et trouve son origine dans une multitudes d’œuvres auxquelles le cinéaste rend hommage sans s’en cacher. On pense bien sûr à L’Étrange Créature du Lac Noir, de Jack Arnold, ne serait-ce que par le biais de l’apparence de la créature, mais aussi à La Belle et la Bête et pourquoi pas à Roméo et Juliette. Sans oublier l’aspect comédie musicale du film, qui de bien des façons, s’apparente à une longue chorégraphie où les mots, si ils ont leur importance, n’ont finalement rien d’indispensable. Les mots justement, trahissent del Toro et son film. Il faut bien avouer que l’écriture n’a d’ailleurs jamais été le point fort du réalisateur. Ici, il a été épaulé mais au fond, on reconnaît ses maladresses. Alors autant attaquer directement avec ce qui cloche dans La Forme de l’eau…
L’histoire est donc simple mais beaucoup des échanges entre les personnages sonnent faux. Leurs réactions aussi parfois, bien que plus rarement. Il y a aussi cet étrange agencement des scènes et ses maladresses. Certaines séquences sonnent bizarrement. Comme si, ne trouvant pas le bon angle, del Toro avait tranché. Comme si, en assemblant son puzzle, il avait forcé pour faire entrer une pièce dans l’emplacement qui n’était pas le sien. La scène de la salle de bain par exemple, est clairement loupée. Pas d’un point de vue graphique, car là le film est irréprochable, mais bel et bien car elle ne « sonne » pas. Elle ne s’intègre pas et dessert même l’émotion.
L’émotion… La première victime des imperfections émaillant le scénario de La Forme de l’eau. Parfois, elle perce, se montre percutante, mais d’autres fois, ça tombe à plat. La fin est un bon exemple. Elle est plutôt réussie mais pas dans ce qu’elle exprime par rapport à l’histoire d’amour, pourtant au centre de tout.
Idem concernant les tentatives d’injecter un peu de légèreté. Là aussi le scénario passe à côté. Discrètement ou franchement, ça dépend. L’écriture manque de tenue et de constance. Elle peut impressionner et se montrer superficielle l’instant d’après. Ce qui, au final, est plutôt déstabilisant.
Surtout que le film a des choses à dire. Là aussi, parfois il le fait bien et d’autres fois, il passe à côté.
En tout cas, il est toujours sincère et exalté. Quand il parle du racisme et de l’exclusion notamment. Fidèle à ses idéaux, del Toro nous livre un conte au sein duquel évoluent deux âmes en peine, mises au ban de la société à cause de leur condition. D’un côté, il y a Elisa, cette femme de ménage muette que personne ne voit et de l’autre cette créature considérée comme un monstre. Un monstre qui n’en est pas un face au vrai monstre, l’humain, dans ce qu’il a de plus répugnant, incarné à l’écran par Michael Shannon. Et que dire sur le personnage de Richard Jenkins sinon qu’il finit d’apporter au film une humanité vibrante qui n’excuse peut-être pas tout, mais permet en tout cas de conférer à l’ensemble une profondeur indéniable.
Love on the water
Mais heureusement, del Toro, le faiseur d’images, vient à la rescousse de del Toro, le scénariste. Il faut reconnaître à La Forme de l’eau une maîtrise parfaite. Que ce soit au niveau de la photographie, sublime, que de la mise en scène, pertinente, inspirée et audacieuse, le long-métrage est une merveille graphique. Maître des atmosphères, le réalisateur accomplit de nouvelles prouesses. Un tableau de maître aux effets spéciaux magnifiques, habité par des acteurs parfaitement dirigés. Et tant pis si Michael Shannon campe un stéréotype sur pattes car il le fait super bien et s’avère aussi menaçant que pathétique. Sally Hawkins bien sûr, est remarquable et parvient à faire passer énormément de choses avec une économie de moyens qui force le respect. Charismatique, elle met en avant un jeu puissant, mais aussi une sensualité unique. Sans oublier Richard Jenkins donc, lui aussi impeccable dans la peau d’un homme souffrant de solitude aux prises avec une sexualité incomprise, rejeté par un monde tourné vers un impitoyable progrès.
Sur le papier, avec tous ses personnages forts, sa façon d’illustrer ses thématiques et son refus de sombrer dans la niaiserie ou dans la noirceur la plus totale, La Forme de l’eau avait tout. Il n’est d’ailleurs pas interdit de le considérer comme un monument. Où alors de lui reconnaître trop de travers pour accéder à la condition de classique, tout en louant ses qualités indéniables.
En Bref…
Souvent virtuose, graphiquement impressionnant, soigné, audacieux et ambitieux, La Forme de l’eau souffre malheureusement d’une écriture en dents de scie, qui empêche l’émotion inhérente au récit et aux enjeux de s’épanouir comme elle le devrait. Bien sûr, il s’agit d’un film souvent remarquable, mais il est aussi maladroit. Mais d’une certaine façon cela participe à son identité.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : 20th Century Fox