[Critique] INTO THE ABYSS

CRITIQUES | 11 novembre 2012 | 1 commentaire

Titre original : Into the Abyss: A Tale of Death, a Tale of Life

Rating: ★★★★★
Origine : Allemagne/États-Unis/Canada
Réalisateur : Werner Herzog
Distribution : Werner Herzog, Jason Burkett, Michael Perry, Jeremy Richardson, Adam Stotler, Sandra Stotler, Kristen Willis…
Genre : Documentaire
Date de sortie : 24 octobre 2012

Le Pitch :
En 2010, le cinéaste Werner Herzog interviewe Michael Perry et Jason Burkett, responsables d’un triple meurtre au Texas. L’un est condamné à mort, l’autre à perpétuité. En parlant aux familles, à la police et aux tueurs eux-mêmes, il dresse un portrait songeur sur la peine de mort…


La Critique :
Into the Abyss nous rappelle encore une fois que Werner Herzog est un réalisateur unique. Il a toujours fait des films, mais à présent, il est probablement plus célèbre pour ses documentaires. Dans le passé, on pourrait citer des chefs-d’œuvres comme Fitzcarraldo et Aguirre : La colère de Dieu, à savoir des visions épiques de « un homme, seul face au monde », où des types ont leur propre perspective de l’environnement qui les entoure, et qui vont envers et contre tout réaliser leurs rêves. C’est pourquoi Fitzcarraldo est un exemple classique : puisque Herzog accomplit sa vision en faisant traîner physiquement le bateau par-dessus la montagne afin de raconter l’histoire du film.

Maintenant, il est plus connu pour des œuvres comme Grizzly Man (une chronique de la vie d’un activiste qui, dans une tentative à dissiper le mythe que les ours sont dangereux, alla vivre avec une famille de grizzlys et y trouva ironiquement la mort) ou The White Diamond (un documentaire sur l’exploration aérienne qui rappelle des bons souvenirs de Là-haut). En ce qui concerne Into the Abyss, c’est peut-être son film le plus bouleversant, qui observe un groupe de vies misérables et trouve quelques lueurs d’espoir, qui ne font que souligner la tristesse.

Le documentaire se centre autour de jeunes hommes en prison pour le meurtre insensé de trois personnes. Michael Perry est condamné à mort à Huntsville, au Texas, l’état d’exécution le plus productif de l’Amérique. Lorsqu’Herzog vient lui parler, il lui reste huit jours à vivre. Jason Burkett, son complice, est condamné à perpétuité. Ils ont tué parce qu’ils voulaient conduire la Camaro d’un ami. Herzog vient les interviewer. Il parle aussi à leurs amis, leurs proches, les familles des victimes. Les conversations que l’on voit à l’écran sont les premières et les dernières. Le cinéaste et son équipe ont seulement huit heures d’images à leur disposition, et le fait qu’ils présentent les réponses qu’ils cherchaient en 1h30 est remarquable.

Il n’y a aucun doute sur la culpabilité des condamnés. Le film est bien clair sur ce point là. On devine également la position d’Herzog par rapport à la peine de mort. Il est contre. Mais son œuvre n’en fait pas polémique. Herzog est quelqu’un de curieux. Ses pistes d’enquête sont toujours légèrement à gauche du centre. Lors d’une discussion avec un pasteur dans l’ouverture du documentaire, par exemple, il se sent tout à coup obligé de poser une question absurde à son interlocuteur, sur une rencontre avec des écureuils. La réponse de l’homme devient progressivement émue, et il ouvre son cœur au réalisateur.

L’absurdité est cruciale ici, puisque le sujet traité est très sérieux. Herzog semble être capable de regarder le monde dans toute sa complexité. Ce qui compte pour lui, c’est de partir à la recherche de moments de « vérité extatique », c’est-à-dire la vérité qui transcende ce qui est apparent : que ce soit dans La Grotte des rêves perdus, où il regarde les anciens dessins des grottes et essaye d’imaginer la culture qui les a produits ; ou bien dans Grizzly Man, où il parcourt les vidéos d’un homme disparu et tente de reconfigurer la vie qu’il avait vécue.

Contrairement à beaucoup de ses documentaires, Herzog lui-même ne se montre pas à l’écran. Il est discret, il garde un profil bas, et pourtant il reste accrocheur grâce à sa voix, qui est un mélange extraordinaire : douce et lyrique, mais aussi sobre et sévère. Il pose des questions simples et curieuses, et ses sujets parlent volontairement. Les faits ne l’intéressent pas beaucoup, mais il va tout droit au cœur du sujet. Toutes les personnes interviewées dans le film, sans exception, citent Dieu comme une force dans leur vie. Les tueurs, leurs proches, les familles des victimes, la police, tout le monde. Dieu a un plan. Dieu pardonnera. C’est la volonté de Dieu. Leurs vies sont entre ses mains. Ils doivent accepter la volonté du Seigneur. Qu’ils soient condamnés ou dépossédés, coupables ou bouleversés, tous trouvent du réconfort avec Dieu. Si Herzog peut en conclure quelque-chose sur leur foi, il ne le dit pas.
Into the Abyss trouve un équilibre extraordinaire. Herzog parle aux personnes que la peine capitale a aidé à tourner la page. Même si lui n’y croit pas. À aucun moment il ne prétend que les crimes atroces des deux condamnés n’ont pas été commis. Ses méthodes se montrent parfois trompeuses, dans le sens où l’on sent parfois qu’il n’entre pas dans le vif du sujet, qu’il ne pose pas de questions difficiles.
Mais cela représente sa façon de faire les choses : lorsqu’il rencontre ses interlocuteurs, il précise qu’il n’est pas là pour les juger, mais qu’il n’est pas obligé de les aimer non plus. Son honnêteté est brutale, mais il trouve toujours un moyen d’aller à l’essentiel, quoique par des manières complètement étranges et tangentielles. Pensez aux moments les plus délirants de son film Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle Orléans, où l’action se recentre tout à coup sur des iguanes, pour une raison ou une autre. Into the Abyss ne contient pas de tels surréalismes, mais il y a toujours cette lignée absurde qu’on retrouve dans toute sa filmographie, ce sens d’existence à la fois remplie de ridicule et de vivacité. Herzog a bien compris la signification du propos qu’il traite, sans en être intimidé. Il ne dramatise pas, il n’insiste pas, il n’exprime pas son avis. Il regarde. Il écoute.
Impossible de ne pas sembler prétentieux en disant ceci, mais le cinéma d’Herzog a quelque-chose de métaphysique, et ici c’est plus flagrant que jamais. Herzog chevauche la séparation entre drame et documentaire, et dans ses films, il arrive à fusionner les deux, à tel point qu’on peut s’y perdre. Herzog n’a peur de rien. « Quand ton regard pénètre longtemps au fond d’un abîme, l’abîme, lui aussi, pénètre en toi. » disait Nietzsche. En regardant Herzog, l’abîme doit se dire « Houlà… ».

@ Daniel Rawnsley

@ Crédits photos : Wild Bunch / Why Not Productions

Par Daniel Rawnsley le 11 novembre 2012

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paulus christiane
paulus christiane
11 années il y a

il est triste ce film