[Critique] JUPITER : LE DESTIN DE L’UNIVERS
Titre original : Jupiter Ascending
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateurs : Lana Wachowski, Andy Wachowski
Distribution : Mila Kunis, Channing Tatum, Sean Bean, Eddie Redmayne, Douglas Booth, Tuppence Middleton, James d’Arcy, Terry Gilliam…
Genre : Science-Fiction/Fantastique/Aventure/Action
Date de sortie : 4 février 2015
Le Pitch :
Jupiter Jones est une jeune femme ordinaire. Immigrée russe, elle mène une existence routinière plutôt rude et ne se fait plus d’illusions au sujet de rêves qu’elle a appris à ignorer. Néanmoins, lorsque Caine, un chasseur de primes hybride venu d’une autre planète, débarque dans sa vie pour la protéger de mystérieux assaillants, tout change pour Jupiter. Elle découvre alors sa vraie condition et prend conscience de son rôle dans la destinée de l’humanité…
La Critique :
Par où commencer… Après Matrix, les Wachowski ont vite acquis le statut de cinéastes révolutionnaires. De précurseurs. Y-compris quand il engluèrent eux-même la mythologie de leur film culte à grand renfort de références philosophiques mal digérées lourdingues et souvent ridicules, comme peut en attester Matrix Revolutions. Sur un plan purement technique, là aussi les Wachowski ont su imposer un style. Avec le recul, et le poids des années pas toujours favorable à leur œuvre emblématique, cette révolution se résume plus ou moins à deux mots : bullet time. Un truc qui fut depuis utilisé à outrance, de façon parodique ou non, par d’autres réalisateurs, et qui aujourd’hui apparaît plutôt artificiel et daté. Alors qu’ils avaient débuté leur carrière avec Bound, un thriller culotté et sulfureux du plus bel effet, les Wacho se sont ensuite définitivement tournés vers la science-fiction et le fantastique. Une façon d’exprimer leur désir de proposer un cinéma spectaculaire et de donner corps à leurs idées et trouvailles. Malheureusement, depuis Matrix, les metteurs en scène n’ont jamais réussi à rééditer leur « exploit ». Bien sûr, tout ceci est subjectif, comme toute critique, et on entendra toujours des voix s’élever pour glorifier la moindre des idées des Wacho, quand bien même ces derniers ne font plus ou moins que se répéter depuis 1999, en mettant juste à jour les mêmes concepts grâce à l’évolution d’une technologie bien pratique pour éviter de faire preuve de la moindre audace.
Jupiter, leur nouveau long-métrage, va dans ce sens plus que jamais. Une question se pose alors : ceux que nous avons vite fait de catapulter au sommet de la chaîne alimentaire hollywoodienne ne sont-ils finalement pas plutôt de grands opportunistes, certes talentueux sur certains points, mais bien incapables de se réinventer ? Franchement, que l’on soit d’accord ou pas, la question mérite d’être posée.
Parler de Jupiter implique de mettre sur la table les références que le film convoque sans vergogne. Sans vergogne car parfois, il les cite carrément, comme pour affirmer avec une assurance folle un génie galvaudé et une auto-suffisance manifeste. Jupiter : Le Destin de l’Univers n’est donc rien de plus qu’un collage maladroit et feignant d’une somme folle d’idées et de concepts piqués à droite et à gauche et à peine maquillés pour coller avec un univers lui aussi largement pompé chez les autres.
Le tout porté par cette fameuse notion d’ « élue » si chère aux Wachowski. Imaginez plutôt : une personne en chie des ronds de chapeaux, mais découvre un jour qu’elle est quelqu’un de très important, dont les actes pourraient bien tout changer. Oui, comme dans Matrix, mais pas que. On pense aussi à Cendrillon. Mila Kunis nettoie justement des toilettes avant de devenir l’élue d’un vaste monde. On pense à la Sarah Connor de Terminator. Dans Jupiter, Channing Tatum -qui n’est pas un robot, mais un hybride homme/loup- est envoyé depuis les confins de l’espace pour sauver l’élue et pour lui révéler du même coup sa super condition. On pense bien évidemment à Star Wars. Mila Kunis joue Luke Skywalker et Channing Tatum, Han Solo. La profusion de créatures à la tronche en biais renforçant la filiation avec l’œuvre de Georges Lucas, bien que jamais Jupiter ne parvienne à trouver le juste équilibre et en fait en permanence des caisses, contrairement aux trois premiers volets de la Guerre des Étoiles. On pense à plein de films devant Jupiter et toujours, ou presque, on pense aussi que jamais ce dernier n’arrive à se hisser au niveau de ses références.
On peut ainsi entendre ici ou là que Channing Tatum est le nouveau Han Solo. Vaste blague. Caine, son personnage, n’a ni le charisme, ni la cool attitude de Solo et son rôle se résume plus ou moins à celui d’un sauveur bellâtre, situé quelque part entre le Edward de Twilight et le T-800 de Terminator, avec quelques éléments de la Bête du fameux conte notamment adapté par Disney. Et peu importe si l’acteur embrasse avec fougue son rôle. Avec son look improbable et ses godasses volantes, ce dernier est condamné à rester à la surface des choses, cantonné à une condition de cliché ambulant jamais vraiment solide, et n’encourageant quasiment jamais la moindre empathie.
Pour résumer, sur la papier, Jupiter n’invente rien. En soi, ce n’est pas très grave. Des cinéastes comme Tarantino se sont fait spécialistes dans l’art de la compilation, mais encore faut-il comprendre ses références et bien les digérer. Les Wacho semblent non seulement s’être arrêtés à la surface de leurs modèles, mais ils démontrent en plus d’un je-m’en-foutisme flagrant, quand il s’agit de les réarranger à leur sauce. Morale de l’histoire : on peut mélanger plein de trucs dans l’espoir d’accoucher d’un plat savoureux, mais quand on s’y prend comme un sagouin, c’est rarement le cas.
Un tel constat peu paraître cruel envers un long-métrage aussi coûteux et aussi encensé par une large partie de la presse et des spectateurs. Lana et Andy Wachowski ont en effet su fédérer un bon contingent de fans qui se chargent de les défendre becs et ongles contre leurs détracteurs. Cela dit, le but n’est pas ici de tirer à boulets rouges sur leur nouveau film. Jupiter se charge très bien tout seul d’attirer et d’attiser la critique, et semble être fait dans le seul but de flatter des amateurs de toute façon déjà acquis à la cause des Wacho.
Grâce justement à son budget confortable, Jupiter reste évidemment de bonne tenue, sur un plan purement visuel. Surtout si on fait abstraction des énormes fautes de goûts, à l’instar de ces costumes rappelant ceux de la saga Hunger Games. Saga avec laquelle Jupiter partage d’ailleurs de nombreux points communs. Katniss n’est-elle pas aussi l’élue de son monde ? Bref passons…
Space opera visuellement tapageur, parfois virtuose et parfois brouillon, Jupiter rappelle néanmoins que les Wachoski ne sont pas des manches. Certaines scènes méritent carrément leur lot de louanges sans arriver pourtant à effacer cette méchante impression de déjà-vu aussi tenace qu’une tache de vin sur une robe de bal. Les batailles spatiales par exemple ne manquent pas de fougue, et le bouquet final brille par une maîtrise technique exemplaire, même si c’est ce déchaînement d’effets-spéciaux vient couronner un récit bas du front, digne des sagas adolescentes qui pullulent dans les salles ces dernières années. Plutôt ardu d’apprécier les prouesses visuelles du film dans ce cas là. Difficile d’éprouver de l’empathie pour des personnages stéréotypés et empêtrés dans une histoire cousue du fil blanc. Un peu plus et il serait tentant de rapprocher la démarche des Wacho de celle de Besson : prétendre offrir du neuf en maquillant du vieux. En mettre plein la vue pour cacher le vide -et parfois la bêtise- d’une histoire en forme de patchwork grossier… Vous voyez le genre.
Pas désagréable en soi, Jupiter reste un pétard mouillé, quand on prend en considération sa condition de blockbuster, ainsi que les intentions (et la prétention) de ses géniteurs. Basique de chez basique, il ne fait que vaguement dépoussiérer des thèmes déjà abordés en mieux ailleurs, y compris par les Wachowski eux-mêmes. On nous avait promis de l’inédit, mais au final, le seul truc inédit reste ce qu’il advient du personnage joué par Sean Bean. Les fans de l’acteur comprendront…
À noter également la superbe (ironie) imitation de Brando dans Le Parrain, d’Eddie Redmayne, qui à lui seul rappelle que n’importe quel acteur, aussi talentueux soit-il, peut vite sombrer lorsqu’il est mal dirigé et que son rôle se limite à une succession de mimiques ridicules.
Construit sur des enjeux trop fragiles, voire souvent anecdotiques, incapable de distiller une quelconque émotion tangible, Jupiter : Le Destin de l’univers confirme que Lana et Andy Wachowski n’ont pas fini de se regarder le nombril. Après le pseudo-philosophie-involontairement comique-et-interminable Cloud Atlas, les voilà revenus avec leur version de Star Wars. Une bonne occasion de vérifier qu’on ne se frotte pas aux classiques avec désinvolture et assurance sans en payer le prix. Et là, l’addition est salée. Mais bon… Reste un show plutôt divertissant une fois qu’on a accepté tout le reste. C’est long, Mila Kunis est canon, Channing fait les yeux doux, un éléphant pilote un vaisseau, des soldats-dragons plutôt cool parlent avec des grosses voix, ça ne vole jamais bien haut et ça se prend la tête sans arrêt. Amusant…
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Warner Bros. France