[CRITIQUE] KILLERS OF THE FLOWER MOON
Titre original : Killers of the Flower Moon
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Martin Scorsese
Distribution : Leonardo DiCaprio, Lily Gladstone, Robert De Niro, Jesse Plemons, Brendan Fraser, John Lithgow, Charlie Musselwhite, Scott Shepherd…
Genre : Drame/Adaptation
Durée : 3h26
Date de sortie : 18 octobre 2023
Le Pitch :
Dans les années 1920, dans le comté d’Osage en Oklahoma, plusieurs membres de la tribu amérindienne des Osages sont retrouvés assassinés sans que les autorités ne s’en émeuvent particulièrement. William Hale, un puissant éleveur et mécène apprécié des amérindiens, prend sous son aile son neveu Ernest Burkhart, qui revient du front français. Hale qui, sous couvert de bonnes actions, ne tarde pas à mettre en place une machination afin de flouer les propriétaires amérindiens qui, dans la région, jouissent d’une véritable prospérité en raison de la présence d’une quantité importante de pétrole sur leurs terres. Histoire vraie…
La Critique de Killers of the Flower Moon :
Si Killers of the Flower Moon est l’adaptation du livre éponyme de David Grann, publié en France en 2017 sous le titre La Note américaine, il s’agit avant tout du récit de faits authentiques survenus dans le comté d’Osage entre les années 1910 et 1930. L’histoire se focalisant tout particulièrement sur « le règne de la terreur », une période qui s’est étalée de 1921 à 1926 et durant laquelle un grand nombre d’amérindiens Osage ont été brutalement assassinés dans des circonstances souvent restées mystérieuses en raison du peu d’intérêt des autorités.
Une tragédie, l’une des nombreuses de l’histoire des États-Unis concernant le génocide global des peuples amérindiens, à laquelle Martin Scorsese s’est intéressé pour au final nous livrer un authentique chef-d’œuvre qui résonne très longtemps après la projection en raison de son caractère à la fois lyrique, cruel et impitoyable.
Il était une fois les Osage
Entouré de talentueux artisans, comme le décorateur Jack Fist (There Will Be Blood, auquel on pense beaucoup devant Killers of the Flower Moon, mais aussi The Master, La Ligne Rouge et The Tree of Life), le directeur de la photographie Rodrigo Prieto (Le Loup de Wall Street, 21 Grammes) et le compositeur Robbie Robertson (regretté membre de The Band, le groupe de Bob Dylan, déjà en poste sur The Irishman), Martin Scorsese n’a négligé aucun détail pour conférer à la tragédie des Osage la profondeur souhaitée.
Incroyablement audacieux, encore animé d’une soif de cinéma à plus de 80 ans, militant d’une forme d’art respectueuse de son public mais aussi de ses sujets, en lien avec les maîtres d’antan, Scorsese a abordé Killers of the Flower Moon avec l’énergie et la pugnacité d’un metteur en scène libre de toute entrave.
Car c’est ce qui frappe notamment devant ce spectacle à fois vibrant, déchirant et visuellement si soigné (et c’est peu dire). Loin de se reposer sur ses lauriers mais probablement conscient qu’il est, avec Steven Spielberg (et dans une moindre mesure Francis Ford Coppola et Paul Schrader) l’un des seuls représentants du Nouvel Hollywood a encore pouvoir faire du cinéma selon des règles malheureusement négligées aujourd’hui car sacrifiées sur l’autel du profit, Scorsese fait ici montre d’un courage et d’une impertinence rare.
Les fantômes de la terre brûlée
Loin de se reposer sur des gimmicks qu’il a créé et qui ont depuis été au mieux imités, au pire parodiés ou singés, Martin Scorsese préfère continuer à explorer, lorgnant vers John Ford et Sergio Leone pour enfin mettre en scène, de bien des façons, le western américain qu’il fantasme depuis longtemps. Un western qui pour autant, se refuse à embrasser le cahier des charges classique, préférant disserter sur le génocide indien à travers la terrible et injustement méconnue histoire des Osage, ce peuple tué et floué car garant d’une richesse relative à la présence de pétrole sur ses terres.
Préférant s’intéresser à la machination montée par William Hale, personnage incarné avec une justesse inouïe par un Robert De Niro au sommet de son art, qu’à l’enquête menée par le FBI, qui ne commence vraiment qu’en fin de métrage, Scorsese entend mettre à jour la perfidie d’une famille entière employée à détruire tout un peuple pour récupérer ses richesses.
Une éradication menée par des hommes qui, sous couvert d’une sollicitude feinte, a causé autant de souffrances que d’incompréhension au sein d’une tribu déjà privée de son savoir et de ses croyances car depuis des décennies colonisée par l’homme blanc.
Prisonniers de l’or noir
Naviguant entre plusieurs genres avec une aisance propre aux réalisateurs de sa trempe, Scorsese confère à l’histoire au centre de son film une véritable ampleur, accordant sa mise en scène qui se met totalement au service de son sujet.
Si on retrouve ici ou là le Scorsese de Casino, au détour d’un plan, ou via le montage, tour à tour contemplatif ou plus nerveux, le cinéaste octogénaire expérimente, évoquant autant John Ford que Terrence Malick, tout en se servant de la technologie moderne pour livrer des plans à la beauté pénétrante, histoire d’offrir à son propos une dimension poétique, gothique parfois et assurément lyrique qui fait écho à sa force évocatrice. Une démarche appuyée par la formidable partition de Robbie Robertson, dont c’est le dernier travail (il est décédé le 9 août 2023).
Fresque sur les fondations d’une Amérique sans pitié, qui s’est construite aux dépends de peuples sacrifiés, Killers of the Flower Moon jouit d’une écriture précise, avec des dialogues magnifiquement écrits. Parcouru d’ellipses remarquablement pertinentes, de légers va-et-vient dans le temps, limpide dans sa narration et ô combien puissant quand il s’agit de mettre en évidence ses thématiques mères, le film impressionne en permanence. Et si sa durée peut faire peur (3h26 tout de même), force est de constater que jamais Scorsese ne laisse la moindre chance à l’ennui. Son histoire, cette histoire, méritait cette application.
Rencontre au sommet
Organisant pour la première fois la rencontre de ses deux acteurs fétiches, à savoir Robert De Niro (10 films ensemble) et Leonardo DiCaprio (6 films ensemble), qui se retrouvent quant à eux 30 ans après Blessures secrètes de Michael Caton-Jones, Martin Scorsese prouve également encore une fois (même si on le savait déjà) quel puissant directeur d’acteurs il demeure.
Épaulé par une escouade impressionnante de seconds rôles, parmi lesquels le toujours impeccable Jesse Plemons, Brendan Fraser ou encore le génial Pat Healy, son duo de tête fait face à la révélation du film, à savoir l’étonnante Lily Gladstone. Déchirante, d’une justesse absolue aux côtés d’un DiCaprio virtuose dans la peau d’un personnage troublant car à mi-chemin du bourreau et de la victime manipulée, la comédienne incarne l’âme de Killers of the Flower Moon. Une femme qui symbolise une innocence sacrifiée au sein d’un long métrage mémorable, qui raconte l’Amérique sans faire de détour, avec une justesse et une éloquence extrêmement rares.
En Bref…
Tragédie aux accents western, Killers of the Flower Moon est un chef-d’œuvre total. Un film entièrement maîtrisé, porté par la virtuosité d’un réalisateur libre de toutes entraves et par une équipe de comédiens au sommet de leur art. Déchirant.
@ Gilles Rolland