[Critique] KNIGHT OF CUPS
Titre original : Knight of Cups
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Terrence Malick
Distribution : Christian Bale, Natalie Portman, Cate Blanchett, Isabel Lucas, Teresa Palmer, Imogen Poots, Antonio Banderas, Brian Dennehy, Wes Bentley, Nick Offerman, Freida Pinto, Jason Clarke…
Genre : Drame
Date de sortie : 25 novembre 2015
Le Pitch :
Rick, un scénariste à succès, vit à Hollywood, au milieu des stars, sans trop savoir quoi attendre de la vie. Entre romances passagères, fêtes débridées et errances multiples, il s’interroge sur la finalité de son existence et sur la direction à faire prendre à celle-ci. « Il était une fois un chevalier, que son père, le souverain du royaume d’Orient, avait envoyé en Égypte, afin qu’il trouve une perle »…
La Critique :
Il est tout à fait légitime de trouver Terrence Malick surfait. De ne pas être touché par son cinéma. De même qu’il est envisageable de penser que Picasso n’a fait que des croûtes ou que les tableaux de Jackson Pollock auraient très bien pu être le fruit du défouloir pseudo-créatif d’un gosse de 5 ans auquel on aurait filé des pinceaux et une palette de couleurs. C’est souvent ce qui arrive quand on évolue dans des sphères à part. Quand on fait du contre-sens, bousculant les perceptions, les habitudes et un certain confort. On s’aliène une partie du public.
C’est véritablement avec The Tree of Life que Terrence Malick a commencé à verser dans le cinéma métaphysique pur et dur. À la Merveille continua sur cette même voie et Knight of Cups ferme la marche. Ici se clôture une trilogie portant sur le sens de la vie. Un sujet parfaitement philosophique, illustré par un artiste libre comme l’air, en pleine possession de ses moyens et qui, car il faut bien le souligner, se fout éperdument des modes et des tendances. De là à dire que Malick est l’un des réalisateurs les plus punks du moment, il n’y a qu’un pas…
Tourner avec Malick implique deux choses : ne pas vraiment savoir de quoi il retourne et ignorer si on ne va pas se retrouver coupé au montage. En tenant le rôle principal de Knights of Cups, dont l’histoire tourne à peu près autour d’un scénariste lassé du faste d’Hollywood, Christian Bale savait néanmoins qu’il serait toujours dans le produit fini. Cela dit, il affirme n’avoir eu aucun scénario à lire. Juste quelques indications sur son personnage. Malick aime l’improvisation. Il capte des moments plus qu’il ne filme des scènes. Son découpage va dans ce sens et s’apparente à un collage à première vue un peu anarchique de plusieurs images qui, apposées les unes aux autres, finissent par illustrer une somme de thématiques cadrant avec le propos central. Ici, on parle donc du sens de l’existence et de la recherche d’une alternative. D’amour aussi et de famille. Bale est au milieu, entouré de toutes sortes de personnages fantasques ou plus ordinaires, mais il ne parle pas, ou très peu. Il observe, ressent et recherche. Des trois œuvres de sa trilogie (The Tree of Life, À la Merveille et Knight of Cups donc), ce dernier volet est peut-être le moins balisé. Ce qui, quand on parle de Malick, veut vraiment dire quelque chose. Des dinosaures avaient beau s’inviter à la fête dans The Tree of Life, la structure s’avérait néanmoins assez nette. Pareil pour À la Merveille, qui suivait une trame, certes floue, mais néanmoins présente. Ici, les contours s’effacent encore un peu plus pour laisser respirer les ambitions. Celles du personnage et celles du cinéaste. Souvent, les deux ne font qu’un. Quand Bale se retrouve au milieu d’une fête typiquement hollywoodienne, où les femmes sont nues, les hommes bourrés et où il est question de pognon et de drogues, son regard est impitoyable. Il oppose d’ailleurs au luxe de la ville baignée dans un brouillard de rêves brisés et de carrières boostées par l’égo, l’immensité de l’espace, du désert ou de l’océan. Une opposition permanente. Rick, le protagoniste central, oscille entre son milieu naturel, la ville et ses studios de cinéma, et la nature sauvage. Il recherche la réponse à ses questions dans les bras d’une femme, face à la mer, tandis que les vagues viennent lécher le cuir de ses chaussures hors de prix. L’homme de Knight of Cups est au bord du gouffre pour la simple et bonne raison qu’il marche sur un fil tendu au-dessus du vide qu’est devenu son quotidien. Malick se demande si il va reprendre le contrôle ou simplement chuter pour ne jamais se relever.
Au centre de cette réflexion métaphysique abyssale et pourtant confondante de simplicité fédératrice, Terrence Malick convoque un casting féminin à tomber à la renverse. Les femmes qui symbolisent la quête de l’amour d’un homme manifestement effrayé à l’idée de se retrouver seul. Il y a d’abord cet ange sans ailes, aux yeux dans lesquels il est tentant de se noyer (Imogen Poots plus sublime que jamais), puis les mannequins sans nom, aux courbes parfaites, qui traversent l’écran telles des apparitions fugaces d’une beauté à la fois attirante et pourtant symbole de tout ce que le héros rejette. Il y a aussi l’ex-femme, cet amour déchu, charriant son lot de regrets (Cate Blanchett) et ce mannequin mystérieux et magnétique (Freida Pinto). Sans oublier cette strip-teaseuse azimutée, aussi optimiste que spontanée (Teresa Palmer), et enfin, l’incarnation d’un rêve de plus en plus lointain et pourtant si proche car omniprésent dans les songes de celui qui s’éveille éternellement insatisfait. Celle qui sera toujours inaccessible mais dont le sourire, la voix et le regard convoquent des sensations jamais vraiment accessibles sur la durée (Natalie Portman, superbe).
Au milieu de ce tourbillon de femmes, dont chacune représente une facette de la quête du chevalier, viennent se greffer des préoccupations plus terre à terre, relatives à la famille. Ce père dont on ignore comment il est devenu ce monument de colère enfouie et ce frère, lui aussi en pleine quête, qui cherche selon des méthodes radicalement différentes, à ressentir quelque chose de fort et de nouveau.
Plus que jamais, le lâcher-prise est de mise. Inutile de chercher à capturer ce qui ne peut l’être. Chacun peut y voir quelque chose. Se reconnaître au détour d’une scène. Le mieux est donc de se laisser happer. De se laisser envelopper par la beauté des images d’Emmanuel Lubezki, le directeur de la photographie, qui ne fait qu’un avec la démarche de Malick et avec les partitions d’Hanan Townshend. Knight of Cups n’appelle pas à l’analyse. Si on pense parfois à David Lynch, qui a lui aussi radicalisé son besoin d’échapper aux étiquettes en s’affranchissant des limites et des règles, les films de Malick ne tentent pas vraiment de perturber ou de déconstruire une histoire bel et bien présente. Au départ se trouve juste une idée. Un concept. Knight of Cups est une réflexion. Un monument de sensualité. Une digression sur l’homme et sa place dans le monde, l’univers, l’amour… Poète de l’image, Terrence Malick ne flatte pas son public, car il suit une route, tout en sachant très bien que dans le contexte actuel, nombreux seront ceux qui rebrousseront chemin ou refuseront tout bonnement d’embarquer. Ceux qui accrochent par contre, vivent une expérience.
D’ailleurs, peu sont les cinéastes encore capables de proposer de vraies expériences. Malick en fait partie et ce qu’il fait, même si on peut ne pas aimer, il le fait à la perfection. Tous les aspects de Knight of Cups, comme de ses précédents films, sont tels qu’ils doivent être. La cohérence est totale. La poésie aussi.
De ce déferlement de prime abord chaotique de vignettes se dégage petit à petit une émotion à fleur de peau. Avec ses voix off et ses évocations subtiles, le nouveau Malick renonce à quelques règles du langage cinématographique pour se concentrer sur l’essence même du média. Il redéfinit les contours et verse dans une sorte d’abstraction viscérale. Il multiplie les expérimentations, passant de la GoPro au Fish Eye, puis revenant à ses fameux plans contemplatifs qui sont devenus sa marque de fabrique. Il réinvente sa patte, affine toujours plus son toucher. Les sensations qui en découlent appellent l’introspection et, à la manière des grandes œuvres, parviennent à dire beaucoup, sans avoir l’air de le faire. Sublime.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : StudioCanal