[Critique] LE DERNIER PUB AVANT LA FIN DU MONDE

CRITIQUES | 29 août 2013 | Aucun commentaire
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Titre original : The World’s End

Rating: ★★★★★
Origine : Angleterre
Réalisateur : Edgar Wright
Distribution : Simon Pegg, Nick Frost, Paddy Considine, Martin Freeman, Eddie Marsan, Rosamund Pike, David Bradley, Michael Smiley, Alice Lowe, Rafe Spall, Steve Oram, Julia Deakin…
Genre : Science-Fiction/Comédie/Action/Saga
Date de sortie : 28 août 2013

Le Pitch :
22 juin 1990 : cinq adolescents inséparables se lancent dans un marathon des pubs des plus ambitieux. Le but : boire une pinte de bière dans chacun des douze pubs qui jalonnent la Voie Maltée. Malheureusement, le barathon tourne court et la joyeuse équipée est contrainte de s’avouer vaincue, contente d’avoir vécu une soirée mémorable.
Une vingtaine d’années plus tard, Gary King, le leader de la troupe, n’a pas changé et entretient le même rêve, à savoir achever enfin le mythique barathon. Il décide donc de reformer le groupe, même si ses amis, entre temps, ont évolué. Mariés, posés, pris par les responsabilités et le travail, ces derniers ne sont plus très chauds, mais se laissent néanmoins convaincre. Le but est le même que jadis : finir le barathon et parvenir à rallier le dernier pub de la liste, le mythique The World’s End. Adultes, et plus aussi soudés, ces cinq mousquetaires sont néanmoins loin de se douter que cette fois-ci, ce n’est pas leur état d’ébriété qui risque de les empêcher de terminer leur quête. Dans leur ville natale, les choses ont changé. Et pas en bien…

La Critique :
Il est enfin là, le dernier volet de la Cornetto Trilogy (ou Blood and Ice Cream Trilogy), écrit par Simon Pegg et Edgar Wright et toujours réalisé par ce dernier. Il déboule, dans une configuration de salles honteuse (à peine plus de 100 copies), avec son originalité et son audace, alors que le cinéma de divertissement compte plus de remakes, de reboots, de suites ou d’adaptations. The World’s End (ou Le Dernier Pub avant la Fin du Monde, mais on va garder le titre original) fait tout d’abord plaisir pour cette seule raison. Même si il fait partie d’une trilogie. Car la trilogie Cornetto n’est pas une trilogie comme les autres. Shaun of the Dead, Hot Fuzz et The World’s End ne se suivent pas au sens strict du terme. Ils racontent trois histoires bien distinctes et les acteurs y tiennent des rôles différents. Cependant, tout est lié. Par les thématiques, la tonalité, les intentions, les clins d’œil et la capacité à mixer plusieurs styles avec brio pour déboucher sur des films stimulants, référentiels et référencés, drôles et cohérents.

Alors que la trilogie se termine, l’évidence saute aux yeux : le trio fondateur formé d’Edgar Wright, de Simon Pegg et de Nick Frost n’a pas dévié de sa route. Jamais il n’a faibli et jamais il n’a vu ses exigences à la baisse. La notoriété grandissante des deux acteurs et du réalisateur (qui va réaliser Ant Man pour Marvel), ainsi que les attentes d’une fan base elle aussi de plus en plus importante, n’ont pas influé sur leur boulot et leur dernier film forme avec les deux précédents, un ensemble monumental de pertinence. The World’s End est un chef-d’œuvre. Un long-métrage comme on en voit peu, et qui est, de par sa nature généreuse et sa capacité à inclure dans son récit un nombre assez dingue d’éléments, destiné à être vu et revu, jusqu’à devenir une référence absolue.
Ceci dit, pas besoin d’attendre longtemps pour attribuer au film le statut de culte. Car The World’s End est aussi un trip marqué par une immédiateté bienvenue et tel le grand cru qu’il demeure, il se savoure dès la première gorgée, en conservant une fois terminé ce méchant petit goût de « revenez-y ».
Difficile de parler d’une œuvre aussi riche et de rendre alors justice au travail accompli. En plusieurs points, voici pourquoi The World’s End est d’ores et déjà l’un des meilleurs films de l’année 2013.

Une pure comédie

À l’instar de Spaced, de Shaun of the Dead et d’Hot Fuzz, The World’s End est une excellente comédie. Aux stylos, Edgar Wright et Simon Pegg ont gardé ici la rythmique comique qui fait tout le sel de leur plume. Regardant dans le rétro à l’occasion de gimmicks attendus (le gag de la palissade, l’apparition du fameux Cornetto…), le film fabrique aussi sa propre partition et laisse aux cinq acteurs de la troupe, le temps de faire parler leur fibre comique. Immédiatement identifiable chez les deux meneurs, Simon Pegg et Nick Frost, elle est beaucoup plus surprenante chez Paddy Considine ou Eddie Marsan. Tout deux se fondent dans le décors et s’en donnent à cœur joie, rejoignant la liesse générale. Idem pour Martin Freeman, dont le flegme prend ici une dimension hilarante absolument délectable. Et si le film est cohérent, c’est aussi car la distribution l’est. Au sein de leur troupe, les cinq acteurs ont un rôle bien défini. Il y a Gary King, le roi ou l’allégorie du Roi Arthur et ses fidèles compagnons (leurs noms font d’ailleurs partie du champs lexical de la chevalerie). Leur Graal n’est pas une coupe, mais un pub, le bien nommé The World’s End, situé au bout d’un périple. Ces mousquetaires de la Voie Maltée sont comme les membres de la Communauté de l’Anneau. Leur quête est mystique, jalonnée de tentations et de révélations et au final, chacun est destiné à en tirer un enseignement. Ou pas d’ailleurs, mais ne spoilons pas.
Dans cette histoire, empreinte de nostalgie, Wright et Pegg casent tout un tas de gags, tous très drôles, même si certains se détachent, et chacune de ces vannes, en lien direct avec le sacro-saint humour british, a son utilité dans la fresque, car rien n’est fait au hasard.

Une fresque nostalgique

On rigole certes, mais pas seulement devant The World’s End. Plus grave que les deux autres, le troisième volet de la trilogie est aussi celui qui laisse le plus parler les émotions cachées sous le vernis de l’humour. Ne vous attendez pas à une simple farce sur des mecs bourrés confrontés à un mal venu d’ailleurs. Il y a de ça bien sûr car le film peut très bien se voir au premier degré, mais Wright et Penn ont vu plus loin. On attendait certes un truc dans le genre mais pas à ce point.
Le long-métrage traite donc du passage à l’âge adulte et des regrets. Gary, le personnage de Simon Pegg n’a pas évolué. Il s’habille pareil, conduit la même bagnole, écoute la même musique et poursuit le même objectif, qui consiste à se taper 12 pintes en une seule nuit, sans tomber dans les vaps. Ses amis sont par contre casés et plutôt réticents à se laisser embarquer. Ils symbolisent une certaine idée d’un idéal de vie répandu, tandis que Gary King personnifie une rébellion à double tranchant, qui ne cesse de brandir l’alibi de la liberté revendiquée. Le film pose de vraies questions. Est-ce une bonne idée de vouloir revivre le passé ? Doit-on suivre une voie plus sécurisante ou laisser parler ses rêves pour éviter les regrets ? Doit-on remuer la merde au risque de se la prendre de nouveau en pleine poire ? La nostalgie se change vite en mélancolie entre deux pintes de blonde et l’alcool aidant, chacun des mousquetaires est amené à changer. D’une façon ou d’une autre. Les langues se délient, les secrets ressortent et les tensions aussi. Au milieu, l’amitié demeure. Axe central de l’œuvre du trio, l’amitié est encore de mise. La Cornetto Trilogy est une affaire de potes, encore et toujours. Pour la troisième fois, Edgar Wright réalise une fable bâtie sur les fondations de l’amitié qui noue tout particulièrement deux hommes aux caractères et aux ambitions dans un premier temps différents. L’émotion perce par toutes les fêlures de ces hommes complexes en quête du bonheur ultime. Et c’est sans jamais tomber dans la guimauve que le film traduit cela. Sans cesser d’être honnête, sans laisser de côté la finesse de ses dialogues, aussi affûtés dans l’humour que dans le drame. Et sans jamais renoncer à caser, de suite après un moment plus grave, une bonne vieille scène absurde pour fluidifier le mélange.
En affirmant son aisance à mêler les émotions sans donner l’impression d’avoir le cul entre deux chaises, le trio va encore plus loin ici. Que ce soit en comédie ou en gravité, The World’s End monte dans les tours sans se priver de rien et donne à son propos une épaisseur réjouissante et -inutile de le préciser- très très rare !

Après l’horreur et l’action, voici venir la science-fiction 

C’est avant de mettre en chantier Shaun of the Dead, qu’Edgar Wright songea pour la première fois à The World’s End. Finalement placé en troisième position, il conclue une trilogie marquée par sa capacité à rendre hommage à un genre bien spécial, sans pour autant s’y reposer, et ainsi éviter de sonner comme une parodie ordinaire enfilant les figures imposées.
Geeks et fiers de l’être, Nick Frost, Simon Pegg et Edgar Wright rendent ainsi hommage à toute une batterie de films fondateurs, à commencer par  L’Invasion des Profanateurs de Sépultures de Don Siegel. En revisitant les thématiques de ce chef-d’œuvre, The World’s End se les approprie et se pose comme un nouveau classique du genre. Bien plus que Voisins du Troisième Type qui abordait le même style d’histoire, sans arriver à se détacher de la simple comédie référentielle. The World’s End va plus loin. Il lorgne le temps d’une séquence hilarante sur The Thing de John Carpenter (cinéaste au centre des influences vu qu’on pense aussi à Invasion Los Angeles) et sur des auteurs de science-fiction tels Nigel Kneale ou John Wyndham. Parfaitement assimilées, les références servent à la progression du récit et se nourrissent les unes les autres.

Bière, bastons et déflagrations

C’est logiquement quand la science-fiction déboule au milieu de ce film de potes, que l’action fait elle aussi son entrée. Edgar Wright, auteur comique redoutable, déjà remarquable de par sa capacité à avoir su faire parler la poudre dans Hot Fuzz, lâche les chiens au beau milieu de cette course à la bière et fait preuve d’une virtuosité impressionnante. Les bastons sont hallucinantes, au niveau du montage et des chorégraphies, évoquant Jackie Chan et son Drunken Master (quand Simon Pegg se tatane en essayant de ne pas renverser son verre). Lisibles et précis, les affrontements convoquent autant de codes propres aux purs films d’arts-martiaux, sans pour autant perdre leur réalisme (après tout, les héros du film ne sont pas des experts en la matière). En ayant rallié le même monteur que pour la série Spaced, Edgar Wright s’est assuré d’un atout indéniable. Dans l’action donc, et à côté, The World’s End ignore la pédale de frein et file droit devant. Ça fait mal, le sang (bleu) gicle, et les corps volent. Franchement, ça claque. Et pas qu’un peu soyez prévenu.
Au niveau des effets-spéciaux, le film explose et s’avère être le plus spectaculaire des trois. Là encore, sans tomber dans l’excès. Avec goût et modération. Une modération relative qui n’a par contre pas lieu d’être quant au déroulement des évènements. On n’en dira pas plus, mais sachez qu’on tient ici l’un des trucs les plus délirants depuis ces 10 dernières années. Au bas mot.

Florilège jubilatoire d’influences, d’humour, de tendresse, de science-fiction et d’action burnée, The World’s End est également un vrai film d’acteurs. Edgar Wright a convoqué la plupart de ses vieux amis en sachant très bien que l’émulation pèserait dans la balance. Outre Nick Frost et Simon Pegg, absolument géniaux, surprenants, émouvants, drôles et plus que jamais complémentaires, on retrouve des têtes connues comme Julia Deakin (Spaced), le fabuleux Michael Smiley (Spaced, Shaun of the Dead, mais aussi Kill List), Alice Lowe (vue dans Touristes, mais aussi Hot Fuzz) ou encore Rafe Spall (présent dans les trois films de la trilogie).
Le délire est total. Edgar Wright est un grand. Simon Pegg est un grand. Nick Frost est un grand. La clôture de ce qui restera l’œuvre matricielle de leur carrière est grandiose. The World’s End alias Le Dernier Pub avant la Fin du Monde est un chef-d’œuvre. La preuve ultime que le cinéma est plus que jamais affaire d’imagination, de talent, d’audace, et de respect. Difficile de dire si The World’s End est mieux que Shaun of the Dead ou que Hot Fuzz. À chacun de choisir, mais on est dans la continuité c’est certain. Et ça, c’est déjà un sacré compliment. Chapeau les gars, la claque est totale et on en redemande !

@ Gilles Rolland

The-Worlds-End-photoCrédits photos : Universal Pictures International France

Par Gilles Rolland le 29 août 2013

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