[Critique] LE LORAX
Titre original : Dr. Seuss’ The Lorax
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Chris Renaud et Kyle Balda
Distribution voix : en V.F. : François Berléand, Kev Adams, Alexandra Lamy / En V.O. : Danny DeVito, Ed Helms, Zac Efron, Taylor Swift…
Genre : Animation/Comédie/Adaptation
Date de sortie : 18 juillet 2012
Le Pitch :
Pour conquérir le cœur de sa jolie voisine, Audrey, le jeune Ted Wiggins s’échappe de la ville artificielle de Thneedville et part à la recherche d’un arbre vivant. Il fait la rencontre du Gash-pilleur, un ermite tapi au milieu de la désolation qu’est le monde extérieur. Le Gash-pilleur lui raconte la légende du Lorax, une créature magique et moustachue, qui parle au nom des arbres, et qui jadis, luttait pour la protection de la nature. Avec le destin de Thneedville entre ses mains, Ted et ses proches devront lutter contre les machinations du vilain chef d’entreprise Aloysius O’Hare, pour qui l’écologie est un obstacle à son business…
La Critique :
En terme de récits sur l’enfance traumatisée, Le Lorax est l’une des histoires les plus déprimantes écrites par le célèbre Dr. Seuss. La première reste le (difficilement traduisible) Butter Battle Book, l’histoire la plus effrayante. Ces deux ouvrages sont tristes et font peur parce qu’ils parlent essentiellement de la fin du monde. Quand Theodor Seuss Geisel voulait faire passer un message, il ne tournait pas autour du pot.
Le Butter Battle Book est une allégorie explicite de la Guerre Froide, et se termine sur une note ambiguë, où deux nations qui se disputent inutilement, s’apprêtent à s’incinérer les unes les autres dans un acte de destruction mutuelle assurée. En revanche, Le Lorax est une lente chronique de l’Armageddon qui commence en plein milieu d’une apocalypse arboricole avant de revenir en arrière, pour expliquer comment de telles choses en sont arrivées là. C’est de loin le conte le plus sombre du Dr. Seuss, reflétant la politique « fin des temps » du mouvement environnemental lors de sa date de publication originale en 1971, et les intentions urgentes de l’auteur. Son dénouement est ostensiblement plus optimiste que Butter Battle Book, mais aussi d’une insistance brutale, un appel direct à l’activisme qui arrive seulement après que le lecteur ait vécu la mort lente de la planète.
Résumons rapidement l’histoire du livre : un jeune garçon anonyme vivant dans un monde lugubre asphyxié par la pollution, part à la recherche du Lorax, un esprit moustachu de la nature. À la place, il rencontre le Gash-pilleur, qui lui explique que c’est lui, le responsable de la catastrophe. Dans sa jeunesse, il est arrivé dans une vallée paradisiaque et s’est mis à couper les arbres rares de Truffula, afin de fabriquer un omni-produit très utile appelé un Thneed. Le Lorax, qui parle au nom des arbres, le met en garde à plusieurs reprises contre les effets de son industrie croissante sur l’écosystème, mais le Gash-pilleur choisit de l’ignorer, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Lorsque le dernier arbre tombe (mettant fin à l’existence de la forêt et de son empire Thneed), Le Lorax, forcé d’envoyer les animaux malnutris et empoisonnés, vers des pâturages plus verdoyants, s’élève vers les cieux et disparaît, laissant derrière lui une pierre marquée de l’inscription cryptique « À Moins ». Retour au présent, où le Gash-pilleur montre la dernière graine d’arbre sur Terre, disant au garçon (et au lecteur) que le sort de l’avenir est entre ses mains.
Contrairement à d’autres ouvrages du Dr. Seuss, il est assez facile d’imaginer une adaptation cinéma du Lorax (effectivement, la première adaptation télévisée a eu du succès). Toutes les bases et la structure sont déjà posées : le Gash-pilleur a assez d’ambiguïté pour être un propre personnage à lui seul (il est plus têtu et imprévoyant que fondamentalement méchant, et son exil auto-infligé est une pénitence immédiatement convaincante), et le pitch est encore d’actualité aujourd’hui. Puisque l’histoire même du Lorax est un peu vague avec des personnages très brouillons, il suffirait d’ajouter un peu d’individualité aux diverses créatures de la forêt et leur donner leurs propres fils narratifs, pour que la fin de leur monde soit plus identifiable. Peut-être aller jusqu’à équilibrer un peu la morale pour expliquer plus valablement pourquoi tant de monde s’est contenté de fermer les yeux. On peut imaginer que de tels détails pourraient faire un bon film, peut-être le premier long-métrage inspiré d’un livre de Dr. Seuss qui soit réellement bon. À ce jour, la meilleure adaptation reste Horton.
Il faudrait également conserver le côté sombre du récit. Il y a pas moyen de contourner le problème : l’écriture du Lorax est impitoyablement déprimante, le genre de truc qui fait exprès de faire pleurer les gosses avant d’aller au lit. Une adaptation fidèle au ton du livre serait souhaitable, mais peut-être trop oppressant et sinistre pour les enfants. Voir l’extinction de petits animaux mignons pendant une heure et demie ? Autant dire que c’est La Route pour les mômes. Dit autrement, c’est compréhensible (mais pas forcément louable) que Universal Pictures trouve un moyen plus gentil de raconter l’histoire, sans que papa et maman se retapent la même conversation avec leurs bambins pleurnichards, qu’ils auraient pu avoir après le visionnage d’un film plombant comme Le Fidèle Vagabond.
À la place, ils ont fait un film sur un teenager qui veut coucher avec sa copine.
Bon d’accord, c’est peut être un peu extrême comme description. En surface, le renouvellement du pitch du Lorax est assez logique : préserver la partie du Lorax et du Gash-pilleur sous sa forme courte et originale, et approfondir le personnage du garçon qui cherche les réponses. Mais la façon avec laquelle ils s’y prennent, c’est autre chose.
Dans la nouvelle histoire, le garçon s’appelle Ted, et son seul but dans la vie c’est impressionner sa jolie voisine Audrey, personnage sans personnalité qui veut voir un arbre vivant et promet avec enthousiasme d’offrir son affection au premier homme qui lui en apportera un. L’intrigue replace ces deux personnages dans Thneedville, une ville stérile en plastique, qui existe comme une sorte de paradis USA, coupé du triste paysage déboisé qu’est le monde extérieur. Les visites de Ted chez le Gash-pilleur et l’histoire du Lorax sont entrecoupées par la vie quotidienne de Thneedville, où les efforts de Ted sont sapés par le méchant homme d’affaires Aloysius O’Hare. Aloysius, qui est plus ou moins le « maître » de Thneedville, avec ses ventes d’air en bouteille (très drôle…) et sa crainte du retour des arbres.
Au début, la formule semble bien marcher. La joie plasticienne de Thneedville à la sauce Disney (qui remplace l’horreur habituelle d’un monde post-apocalyptique), est un excellent contraste qui montre à quel point le monde au-delà des murs est mort. La chanson introductrice sur la ville est une parodie brutale de la culture de consommation : les habitants de Thneedville savourent joyeusement leur ignorance, au sujet des conséquences de leur mode de vie sur le monde qui les entoure. Si la méthode du film pour contourner les moments tristes était d’y ajouter de l’humour satirique dans le style d’Idiocracy, ce serait un bel exemple de courage. Puis O’Hare fait son apparition, et on comprend rapidement que le film n’a pas les tripes pour condamner son public. La population de Thneedville n’est pas mauvaise, elle a juste été égarée par le bad guy, et tournera la page avec plaisir, dés que Ted et Audrey leur montreront le bon chemin. C’est également flagrant que Thneedville existe uniquement pour bassiner les spectateurs avec les courses-poursuites « marrantes » à la durée interminable, qui sont désormais obligatoires, pour les films d’animation en 3D.
Même chose pour le Gash-pilleur, qui montre son visage dans cette version. Cette fois-ci, il opte pour un compromis et devient potes avec le Lorax et les animaux, jurant de ne plus couper d’arbres après l’abattage du premier et se contentant d’en récolter le feuillage. Chose qu’il ne fait pas, bien entendu, ce qui fait de lui un personnage encore plus sombre : n’étant pas seulement insensible, il se révèle être un véritable traître.
Mais non, nous dit le film, c’est un gentil monsieur, sa culpabilité est juste mal placée, comme celle des habitants de Thneedville. Son seul vrai défaut, c’est sa volonté de faire plaisir à sa famille insupportable, qu’il embauche d’ailleurs comme main-d’œuvre initiale, et c’est leur flemmardise qui entraîne la déforestation. Les proches du Gash-piller font même partie de sa « chanson méchante », renforçant l’idée qu’il n’y a rien de vraiment mauvais à son sujet, ni au sujet de son entreprise. Pareil pour les habitants de Thneedville, ils ne sont pas méchants par nature, il y a juste quelques brebis galeuses qui les poussent dans la mauvaise direction. C’est facile de réparer l’erreur.
Et ça, c’est de la couardise. L’une des raisons pour lesquelles l’histoire originale concerne principalement le Gash-pilleur et le Lorax, est leur rôle de substitut à des groupes plus importants : en bref, nous sommes tous des Gash-pilleurs. C’est également pour cette raison que le livre s’achève sur un appel à l’action et sur une fin ouverte (ce qui n’est certainement pas le cas pour le film), pour faire comprendre au lecteur qu’un happy end n’est pas toujours garanti.
Je pourrais vous parler de l’animation (qui justifie presque à elle seule ces deux étoiles et demie), des doublages efficaces, de l’humour de maternelle, du joli spectacle visuel, du fait que le même film ait été utilisé « écologiquement » pour promouvoir un 4×4 dans une publicité, ou le fait que l’on passe finalement un bon moment (si on met notre cerveau en veille), mais il est quand même préférable de s’arrêter là. Le Lorax divertit passablement, mais c’est un film lâche. On ne peut pas asséner une leçon à son public, si on n’est pas prêt à accepter que ce dernier pourrait se sentir mal à l’aise en donnant la mauvaise réponse.
@ Daniel Rawnsley
Crédits Photos : Universal Pictures