[Critique] LES AMANTS DU TEXAS
Titre original : Ain’t Them Bodies Saints
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : David Lowery
Distribution : Casey Affleck, Rooney Mara, Ben Foster, Keith Carradine, Rami Malek, Nate Parker…
Genre : Drame/Western/Romance
Date de sortie : 18 septembre 2013
Le Pitch :
Dans une petite ville du Texas, Bob Muldoon et Ruth Guthrie viennent de commettre un braquage et se retrouvent encerclés par la police locale. Des coups de feu sont échangés et Ruth blesse un officier à l’épaule. Par amour, Bob se désigne comme coupable et se voit envoyé en taule. Alors qu’il est derrière les barreaux, Ruth donne naissance à leur fille. Quelques années plus tard, Bob s’échappe et s’apprête à rejoindre sa bien-aimée. La ville se prépare également à le voir revenir, notamment le policier Patrick, celui qui a reçu la balle pendant la fusillade et qui, en l’absence de Bob, s’est mis à courtiser Ruth, qui a assumé son rôle de mère peut-être un peu trop confortablement…
La Critique :
Il y a un joli petit drame sur le crime, triste et clairsemé, enterré quelque-part dans le premier long-métrage de David Lowery, et on arrive parfois à l’apercevoir lorsqu’on regarde au-delà des affectations surfaites du cinéaste. Effectuant son pèlerinage à partir de la fresque Terrence Malick Est Un Dieu dans la chapelle de l’histoire cinématographique, Lowery tente sa chance via tellement de techniques empruntées que Les Amants du Texas n’a jamais la chance de développer une identité qui lui soit propre.
Et c’est bien dommage, parce qu’il y a des choses formidables dedans, à commencer par le titre original, Ain’t Them Bodies Saints. Dans un Texas délavé des années 70 rempli de panneaux effrités, de voitures bonnes pour la casse et de moustaches éloquentes, Casey Affleck tient le rôle principal en Bob Muldoon, un criminel du week-end au sourire fainéant. Les cinq premières minutes du film montrent un passé confus et fuyant, où Bob et son épouse enceinte, Ruth (Rooney Mara), se retrouvent en cavale, façon Bonnie et Clyde. Leur virée à court-terme les voit encerclés par la police dans une des nombreuses fermes délabrées du film, et Bob assume le coup quand Ruth tire et blesse un policier (Ben Foster).
Scène suivante, quatre ans plus tard. Bob a enfin trouvé un moyen de s’évader de prison. Il se balade pieds nus dans la nature sauvage, rentrant chez lui pour récupérer sa femme et la fille qu’il n’a pas encore rencontré. Bien sûr, tout le monde sait exactement où il va, ce cher Bob. Ses déclarations d’amour ardentes pour Ruth, écrites à la main chaque semaine, ont été lues par toutes les autorités avant d’être postées. Le gentil flic joué par Foster, Patrick, s’amuse à traîner dans la maison du couple, ostensiblement parce qu’il attend l’arrivée de Bob, mais aussi parce qu’il a un faible pour Ruth. Le pauvre; il ne sait toujours pas que c’est elle qui l’a flingué.
Il y a aussi une histoire concernant les motivations mystérieuses d’un ancien caïd du crime (Keith Carradine), qui passe maintenant ses journées assis derrière le comptoir d’une épicerie. Trois flingueurs basanés ont également débarqué en ville, et pas besoin d’être le plus grand détective du monde pour deviner qu’ils cherchent la valise de fric que Bob trimballe avec lui. En voyant le synopsis écrit ici, on pourrait penser à une légende lyrique, et c’est un peu le sentiment qu’on éprouve en regardant le film : une vieille histoire à raconter autour du feu tard le soir. Et ce conte en particulier a une certaine inévitabilité, discrete et folklorique – mais malheureusement, il n’y a rien de discret dans la réalisation de Lowery.
Oui, Les Amants du Texas est une fable, ou un mythe, ou un chant mélancolique sur le meurtre – tiens, on peut l’appeler n’importe comment, mais il ne s’agit pas d’une histoire simple et bien racontée. Pour une raison inexplicable, Lowery traite chaque scène comme cette séquence d’ouverture, exigeant de ses deux monteurs (Craig McKay et Jane Rizzo) de réduire en purée ce qui devrait être de simples échanges de dialogues, les écrasant en fragments prismatiques qui retournent en avant et en arrière dans le temps. Des conversations sont transformées en narrations voix-off abstraites, gonflant même les énonciations les plus ordinaires en poésie complexée. Dites-moi si ça vous rappelle quelque chose : le motif visuel récurrent implique une caméra portative qui suit Rooney Mara alors qu’elle fait des pirouettes dans un champ de blé ensoleillé.
Ceci est du fond du cœur, et vient de quelqu’un qui est un grand fan de Terrence Malick : ça suffit, bordel, avec les nanas qui font des pirouettes dans ces foutus champs de blé ensoleillés ! Même le bonhomme lui-même a basculé dans l’auto-parodie avec ce plan dans À La Merveille, et David Lowery n’est pas Terrence Malick, quel que soit le nombre fois qu’il a pu voir La Balade Sauvage et Les Moissons du Ciel (beaucoup, si on juge ses choix de tableaux). Assez tôt dans le film, on se demande aussi si la mise en scène et les décors doivent beaucoup à Nous sommes tous des voleurs de Robert Altman, et puis voilà Carradine qui déboule pour boucler la boucle. Il y a les hommages au cinéma, et il y a le karaoké au cinéma. Quand, exactement, est-ce que l’un devient l’autre ?
Là encore, c’est dommage parce qu’il y a assez de matière première pour un bon petit métrage convenable. Affleck incarne Bob avec des airs rêvasseurs. C’est un idiot tellement charmant. Le fait que tout ceci pourrait mal tourner semble lui être incompréhensible. À un moment, il se prend une balle dans l’épaule et regarde son assaillant avec une confusion bien poilante:
« Tu m’as tiré dessus ? Pourquoi ? Je ne te connais même pas ! »
Ben Foster est d’habitude un des acteurs les plus cabotins qui traînent encore dans les parages, mais il joue son officier discret assez sobrement, avec une sincérité timide qui s’avère désarmante. Keith Carradine a une personnalité tellement dominante, que ça n’a presque pas d’importance que le personnage qu’il interprète soit aussi vague et flou. Seule Rooney Mara ne sonne pas vraie, une présence bien trop cosmopolite à l’écran pour être crédible en fille campagnarde.
Les Amants du Texas fut grandement salué au Festival de Sundance de 2013, où il gagna un prix bien mérité pour la photographie de Bradford Young, belle au point d’être distrayante. Mais le film lui-même est sérieusement décevant, et son réalisateur a besoin de trouver sa propre voix. Sa tentative de ressusciter les jours de gloire des 70’s est initialement captivante, mais le rythme de pétrolier lui est tristement fatal : aucune histoire ne pourrait survivre à ce déluge ralenti de grandeur mythique.
@ Daniel Rawnsley
Crédits photo : Diaphana Distribution