[Critique] LES BANSHEES D’INISHERIN

CRITIQUES | 29 décembre 2022 | Aucun commentaire
Les banshees d'Inisherin poster

Titre original : The Banshees of Inisherin

Rating: ★★★★★

Origine : Irlande/États-Unis/Royaume-Uni

Réalisateur : Martin McDonagh

Distribution : Colin Farrell, Brendan Gleeson, Barry Keoghan, Kerry Condon, Pat Shortt, Gary Lydon, Sheila Flitton…

Genre : Drame

Durée : 1h49

Date de sortie : 28 décembre 2022

Le Pitch :

Sur une île de la côte ouest de l’Irlande, Padraic se rend comme tous les jours chez Colm, son meilleur ami, avant d’aller au pub. Néanmoins, ce dernier annonce à Padraic qu’il ne l’apprécie plus et qu’il ne veut plus être son ami. Déconcerté, Padraic cherche à comprendre. Au point de pousser Colm dans ses derniers retranchements et de plonger toute la communauté dans un profond désarroi…

La Critique de Les Banshees d’Inisherin :

Il y a des films faciles à vendre et d’autres plus compliqués. Les Banshees d’Inisherin, la nouvelle livraison de Martin McDonagh, le réalisateur de Bons Baisers de Bruges et de l’oscarisé Three Billboards, les panneaux de la vengeance, est de ceux-là. Un long-métrage assurément exigeant, qui rompt avec à peu près tous les codes en vigueur dans le cinéma commercial d’aujourd’hui pour explorer des thématiques profondes.

Irish friendship

Une banshee est une créature issue du folklore irlandais qui apparaît juste avant la mort d’une personne. Si son comportement et son apparence ont tendance à évoluer d’une légende à l’autre, la banshee est souvent caractérisée par le cri qu’elle pousse afin d’annoncer l’arrivée de la faucheuse… Si ce n’est pas évident de prime abord dans Les Banshees d’Inisherin, qui tient avant tout son titre d’une chanson que compose le personnage incarné par Brnedan Gleeson, la banshee est bel et bien présentée en chair et en os dans le récit. Une banshee qui, comme le souligne justement Colm, le personnage de Brendan Gleeson, ne hurle pas mais se manifeste en silence, parlant juste pour semer le trouble et énoncer de sombres prédictions. Une figure presque surnaturelle qui croise la route des protagonistes à plusieurs reprises, alors que ces derniers se déchirent et détruisent brutalement des liens qui autrefois, paraissaient si simples et purs.

Les Banshees d'Inisherin

La guerre partout

Padraic et Colm vivent sur l’île (fictive) d’Inisherin, au large des côtes de l’ouest de la République d’Irlande. L’action du film se situant dans les années 1920. Régulièrement, alors que Padraic se rend au pub, empruntant des petits chemins balisés par des murailles de pierre typiques de cette région du monde, des explosions retentissent au loin, rappelant que sur l’île principale, la guerre civile fait rage. Bien loin du conflit mais en même temps si proches, les personnages ne semblent pas vraiment comprendre les tenants et les aboutissants de cette guerre, qu’ils ne tardent pourtant pas à rejouer à leur façon, en version miniature, quand Padraic et Colm se déchirent, sur l’initiative de ce dernier, qui a donc décidé de rompre tous les liens qui l’unissaient à son ami, sans raison particulière.

Auréolé d’un Oscar du meilleur film bien mérité pour son formidable Three Bilboards, Martin McDonagh retrouve le duo de Bons Baisers de Bruges et retourne sur la terre de ses ancêtres. L’occasion pour lui de mettre en scène une histoire de son cru, focalisée sur la fin de l’amitié de deux hommes amenés à se déchirer. Les Banshees d’Inisherin s’amusant à nous perdre au fil d’un récit dont l’absurdité n’a d’égal que la propension à pourtant résonner avec une évidence pour le moins cruelle de nombreuses vérités.

Fin de l’innocence

Au centre du film, Colin Farrell, qui, disons-le tout de suite, tient ici son meilleur rôle (il a d’ailleurs été récompensé à Venise), cherche à comprendre les raisons pour lesquelles Brendan Gleeson, lui aussi impressionnant, une nouvelle fois, ne veut plus lui parler ni même le voir. Piégés sur cette île minuscule, au cœur d’un village qui se résume à un pub et quelques maisons, les deux hommes deviennent les catalyseurs d’une tensions amenée à contaminer les autres habitants qui, impuissants, assistent à la fin d’une amitié qui, ils le comprennent alors, contribuait à maintenir les choses à leur place tout en les rendant confortables. Au fil de l’histoire, alors que la violence s’immisce dans le quotidien jadis si paisible de ces personnages hantés par des questions existentielles portant sur leur propre condition, Martin McDonagh interroge les rôles de chacun au sein d’une dynamique fragile.

Avec sa mise en scène proche du théâtre, alors que les sublimes paysages de l’Irlande font écho à la détresse, aux espoirs mourants et aux angoisses des personnages, Martin McDonagh ne cherche jamais à se montrer limpide quand il s’agit d’expliquer son histoire. D’où le côté très exigeant de ce film magnifiquement filmé, où chacun voit ses repères vaciller alors que là-bas au loin, le monde change dans le sang et les larmes.

Fable humaniste et cruelle

Construit sur une montée en puissance inexorable, économe en dialogues et plutôt lent dans son déroulé, contemplatif et poétique, Les Banshees d’Inisherin disserte avec brio sur les effets de la solitude, sur l’amitié bien sûr et sur le besoin de chacun de pouvoir se définir en fonction des autres. Un film dans lequel la mythologie, avec cette fameuse figure de la banshee, se heurte aux croyances judéo-chrétiennes pour mieux mettre à l’épreuve ses personnages et en particulier les plus purs, comme Padraic, son sœur Siobhan, campée par l’incroyable Kerry Condon, ou encore Dominic, l’idiot du village désigné d’office, interprété par le génial Barry Keoghan. Des personnages définis par leur gentillesse et leur simplicité. Des traits de caractère qui deviennent alors autant de faiblesses face à la cruauté et à l’absurdité de la violence. Colm, le personnage de Brendan Gleeson incarnant à lui seul cette absurdité, lui qui oppose au désir de simplicité et de bienveillance de Padraic sa volonté de laisser sa marque dans un monde pour lequel il sait ne pas compter.

La scène dans laquelle Colm explique vouloir se dédier à sa musique afin qu’on se souvienne de lui alors que Padraic lui rétorque que pour lui, le plus important est de demeurer dans la mémoire des gens qu’il aime, cristallise par ailleurs très bien la démarche du long métrage. Les Banshees d’Inisherin a donc de quoi déconcerter. Un film impressionnant de maîtrise, magnifiquement écrit et réalisé, à bien des égards unique en son genre, à ranger quelque part entre les pièces de Samuel Beckett et les scénarios des frères Coen. Même si Martin McDonagh impose sans difficulté sa brillante singularité, confirmant son incroyable talent.

En Bref…

Complexe mais limpide, immersif, triste, parfois drôle, cruel et profond, Les Banshees d’Inisherin est une merveille de cinéma. Un bijou à la noirceur insondable qui organise la lutte de l’innocence contre la noirceur d’un monde cynique et sans pitié à travers le déchirement de deux hommes sur une île isolée d’Irlande. Une merveille.

@ Gilles Rolland

Les Banshees d'Inisherin
Crédits photos Searchlight Pictures
Par Gilles Rolland le 29 décembre 2022

Déposer un commentaire

S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires